Les six groupes de travail du Grenelle de l'environnement ont présenté le 27 septembre leurs propositions, point de départ d'un large débat, via internet et en région, qui doit aboutir à la fin d'octobre. Chaque président de groupe a pris la parole pour expliquer les conclusions et l'ambiance des débats. «C'était sportif!», a avoué Laurence Tubiana, vice-présidente du groupe 4, encore appelé groupe agriculture, où «de fortes divergences» se sont affichées. «Mais c'est aussi un groupe où les échanges ont été possibles entre des mondes qui habituellement ne se parlaient pas», sous-entendu les agriculteurs et les écologistes.
Un rapport de 1.000 pages regroupant les travaux des six groupes et des deux ateliers intergroupes OGM et déchets a été remis au ministre de l'Ecologie. «Ce ne sont pas des décisions, mais des propositions, a souligné Jean-Louis Borloo. Nous n'avons aucune autre perspective que de changer radicalement la donne et de faire cette révolution écologique pour avoir une croissance durable. » En présentant la synthèse du groupe agriculture, Laurence Tubiana a souligné qu'il ne s'agissait pas « d'un rapport de consensus.» Elle a en particulier cité les biocarburants pour lesquels «les débats avaient été très chauds». Le groupe n'est parvenu à aucun accord sur ce point, pas même sur le vocable, le rapport évoquant les agrobiocarburants. Seule recommandation : réaliser sous dix-huit mois, sous l'égide de l'Ademe, un écobilan complet de la filière. La synthèse juge «indispensable d'engager un mouvement de transformation en profondeur de l'ensemble de l'agriculture ». Pour cela, une quinzaine d'actions sont préconisées, complétées par celles du groupe biodiversité et de l'intergroupe OGM. Pour certaines d'entre-elles, comme la certification environnementale, le scénario semble avoir été écrit à l'avance par le gouvernement.
Notation environnementale. Pour aller vers «100% d'agriculture durable», le rapport propose de s'appuyer sur un dispositif de certification ou de notation environnementale. Il s'agirait de bâtir d'ici à la fin de 2008 des grilles de notation fondées sur des itinéraires techniques. Ceux-ci devraient être adaptés selon les territoires. Entreront en ligne de compte les intrants, la biodiversité, les paysages, les sols, l'énergie et les déchets. La certification présenterait plusieurs niveaux d'exigence : un niveau minimal qui aurait vocation à s'appliquer à une majorité d'agriculteurs et un niveau à haute valeur environnementale (HVE). «Le niveau d'ambition pour les minima n'est pas consensuel», a souligné Laurence Tubiana. L'objectif affiché est que la moitié des exploitations intégrent la démarche d'ici à 2012. Cela suppose de généraliser la notation environnementale à l'ensemble des exploitations ou de remettre à plat les cahiers des charges des distributeurs pour toutes les filières. A l'horizon 2013, 10% des produits (hors bio) pourraient alors être estampillés HVE. Le rapport préconise aussi d'intégrer ces prescriptions environnementales, dès 2008, dans les labels tels les AOC, les labels rouges, etc.
Agriculture biologique. Le groupe 4 propose de multiplier par trois la SAU consacrée au bio d'ici à 2010 (soit 6%) et d'arriver à 20% en 2020. Ce développement passerait par la contractualisation avec la distribution, mais aussi par des incitations financières à produire bio : relèvement du plafond des aides (non chiffré), maintien du crédit d'impôt et bonus pour l'installation des jeunes. Autre mesure: atteindre 20% de produits bio en restauration collective d'ici à 2012. Des vœux pieux au regard des objectifs du plan Barnier.
Intrants. Laurence Tubiana a souligné les divergences à propos de la réduction des pesticides, les participants s'accordant sur l'objectif général, mais pas sur le chiffrage. «Si pour certains, un objectif de réduction de 50% en dix ans devrait être affiché, il est irréaliste pour d'autres». Le groupe 4 prône l'interdiction des substances les plus dangereuses (environ 50 molécules) d'ici à deux à quatre ans en fonction des capacités de substitution disponibles. Parmi les mesures non consensuelles, figurent la séparation d'ici à trois ans des rôles de préconisateur et de fournisseur de produits phyto ou d'engrais et encore le relèvement du niveau de la redevance pour pollutions diffuses fixé dans la loi sur l'eau. En revanche, des mesures «applicables immédiatement» ont fait l'objet d'un accord : l'homologation simplifiée des substances naturelles et l'application obligatoire d'un guide des bonnes pratique de traitement. Le groupe s'est également entendu pour promouvoir des variétés végétales qui manifestent une faible dépendance vis-à-vis des intrants (eau, pesticides, azote).
Biodiversité. Le groupe 4 propose de restaurer la biodiversité ordinaire («constituer une trame verte nationale»). Pour y parvenir, il veut mettre en place, dès 2008, des bandes enherbées de cinq mètres le long de toutes les masses d'eau et de limiter l'étalement urbain via les documents d'urbanisme. Ces propositions rejoignent celles émises au sein du groupe biodiversité. Le sénateur Jean-François Legrand, président de ce groupe, a en outre évoqué la possibilité d'attribuer un bonus de points de retraite MSA aux agriculteurs réalisant des efforts.
Recherche et formation. Le groupe 4 suggère de réorienter fondamentalement, dès 2008, la recherche et la formation des agriculteurs vers des modes d'agriculture durable. Il a retenu un objectif de 20% d'agriculteurs formés en cinq ans aux techniques intégrant l'environnement (en commençant par l'agronomie et les sols).
OGM. Trois points font l'objet d'un consensus: renforcer la recherche, créer une haute autorité qui donnera au gouvernement des avis sur chaque OGM, adopter une loi sur les biotechnologies. Pas un mot cette fois sur un éventuel moratoire.
Energie. Il est question d'accroître l'autonomie énergétique des fermes (avec un objectif de 30% d'ici à 2013) et de conditionner la défiscalisation partielle de TIPP et TICGN à la réalisation de diagnostics énergétiques.Reste à savoir quels programmes seront retenus par le gouvernement, selon quelle ambition et surtout avec quel budget, car apparemment rien n'a été prévu pour cela.
Couacs et impasses des débats Curieusement, le groupe 4 a réduit ses investigations au domaine de l'agriculture et de l'alimentation alors que la consommation faisait partie de son mandat. Résultat : aucune réflexion sur la distribution, ni proposition de notation environnementale pour les produits autres qu'alimentaires. La dimension européenne et internationale a été laissée de côté. On notera aussi le peu de place accordé à la forêt dans la synthèse du groupe «biodiversité» et son silence quant à la réintroduction des grands prédateurs. |
Le «deuxième tour» de la loi sur l'eau Les débats autour de la qualité et de la ressource en eau ont cristallisé beaucoup de divergences quant aux mesures à employer. Manifestement, le Grenelle de l'environnement s'annonce comme un deuxième round pour les associations environnementales, voire pour le ministère de l'écologie, après les arbitrages intervenus lors de la loi sur l'eau et qui leur avaient fortement déplu. Au registre des mesures non consensuelles, l'idée d'une redevance sur les engrais chimiques (perçue au niveau des distributeurs) refait par exemple surface. Son produit serait affecté au financement de mesures agroenvironnementales. Même chose pour la redevance irrigation qu'il est proposé d'augmenter significativement dès 2008, tout en affectant les fonds à des dispositifs d'économie en eau d'irrigation et à l'accroissement de la ressource. En revanche, un consensus s'est dégagé pour généraliser la couverture des sols dès la prochaine campagne, étendre partout la gestion collectivede la ressource en eau (quotas géréspar la profession) et lancer dès 2008 des opérations innovantes telles que la réutilisation d'eaux usées ou la recharge de nappes. L'assentiment général a également été recueilli pour protéger les aires d'alimentation des captages d'ici à 2012, via des modifications de pratiques agricoles. Ces contraintes supplémentaires sont un «véritable service environnemental qui devra être rémunéré en tant que tel» peut-on lire dans la synthèse. |
par Aurore Coeuru (publié le 5 octobre 2007)
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