Quelques éléments abordés au cours de ces pourparlers ont déjà filtré, malgré la ’’diplomatie discrète’’ pratiquée par les protagonistes. « La tactique des négociateurs américains est particulièrement axée sur la question de l’accès aux marchés agricoles », soulignent des observateurs du dossier en France. Il s’agit d’ailleurs d’une revendication des filières agricoles aux Etats-Unis qui veulent que le cycle de Doha aboutisse à de nouvelles opportunités pour l’exportation de leurs produits. Pour l’Union européenne, il s’agirait ainsi de se rapprocher des attentes du G20 (pays émergents), pour une réduction de 54 %, en moyenne, des droits de douane agricoles, contre 39 % proposés par l’UE en octobre 2005. Mais les négociateurs américains veulent également réduire les possibilités de dérogation (’’produits sensibles’’ pour les pays développés, ’’produits spéciaux’’ pour les pays en développement). L’Europe serait ainsi amenée à faire de nouvelles concessions pour le traitement des produits sensibles. Selon des sources concordantes, leur nombre pourrait être limité à 4 % du nombre de lignes tarifaires (produits importés), contre 8 % initialement proposés par Bruxelles. Les Etats-Unis souhaitent également tirer avantage de la méthode de calcul des contingents d’importation qui doivent être mis en place pour les produits sensibles.
Produits industriels et services
Les négociateurs européens conditionnent de nouvelles avancées sur l’agriculture à des efforts équivalents de leurs partenaires. Ils demandent en outre aux pays émergents, une ouverture de leurs marchés dans le domaine des produits industriels et des services qui représentent les principaux secteurs économiques en Europe. Pour l’instant les contreparties obtenues ne sont pas suffisantes. Bruxelles ne s’est ainsi pas montrée très convaincue par le projet de Farm Bill présenté par l’administration américaine (lire l’analyse de Jean-Christophe Debar en encadré). La chancelière allemande Angela Merkel, qui assure la présidence de l’UE au 1er semestre 2007 s’est cependant clairement prononcée en faveur de la réussite du cycle de Doha. « Les positions de l’Union européenne, des Etats-Unis et des pays émergents doivent se rapprocher », avait-elle affirmé lors de son discours inaugural à Davos fin janvier.
Ce contexte entraîne une très grande vigilance en France, de la part du gouvernement et des organisations agricoles. L’offre qui avait été faite par le commissaire européen au Commerce, Peter Mandelson, en octobre 2005, avait déjà été considérée comme étant aux limites de son mandat.
Fenêtre de tir restreinte
La ’’fenêtre de tir’’ pour parvenir à une percée dans les négociations à l’OMC se limite aux prochains mois. L’agenda est en fait imposé par les Etats-Unis. Le gouvernement américain dispose de pouvoirs spéciaux (TPA, Autorisation de promotion du commerce) qui lui permettent de négocier des accords commerciaux et de les faire voter sans modification par les parlementaires. Ce mandat expire au 1er juillet. Il peut toutefois être prolongé par le Congrès qui est passé à majorité démocrate depuis les élections de novembre dernier. Pour renouveler la TPA, les élus américains voudront avoir l’assurance qu’un accord acceptable pour les Etats-Unis se dessine à l’OMC.
Les négociations à l’OMC, qui compte 150 pays membres, ne se résument pas au bras de fer euro-américain. L’Inde, où une grande partie de la population vit de l’agriculture, est ainsi très réticente sur la question de l’ouverture de son marché et souhaite pouvoir protéger certains produits. Une position en contradiction avec celle des Etats-Unis et d’autres pays exportateurs qui voient dans les pays émergents d’importants marchés potentiels. Les pays africains producteurs de coton comme le Bénin rappellent également leurs attentes pour supprimer les distorsions commerciales concernant cette production. Plusieurs pays ou groupes de pays devraient faire de nouvelles propositions au cours des semaines à venir dans différents domaines du cycle de négociations de Doha.
Avis: JEAN-CHRISTOPHE DEBAR, rédacteur en chef d’Agri US Analyse (1) «Il y aura moins d’argent pour le prochain Farm Bill»« A priori, il ne faut pas s’attendre à une réforme en profondeur de la politique agricole américaine (Farm Bill) pour les cinq ou six ans à venir. Le texte qui régit les aides américaines est en effet caduc à compter du 30 septembre 2007. Les récentes propositions de l’USDA, l’équivalent de notre ministère de l’Agriculture, n’ont pas frappé très fort. L’administration américaine n’est pourtant pas maître du jeu sur ce sujet puisque ce sont les parlementaires du Congrès qui mènent la barque. Bien que détaillées, ses suggestions sont en deçà de ce que l’on pouvait attendre de la réforme. C’est le cas en particulier en matière de subventions aux grandes cultures. Concernant les marketing loans (garantie des prix), l’USDA propose ainsi des ajustements techniques pour baisser le niveau des prix garantis. La structure du système reste cependant en place. Les paiements anticycliques seraient modifiés, en prenant pour élément déclencheur la réduction du chiffre d’affaires plutôt que celle du prix de marché des cultures. L’USDA ne préconise pas de réforme substantielle pour le lait et le sucre. On sait cependant qu’il y aura moins d’argent pour le prochain Farm Bill. Les experts s’attendent à des baisses de l’ordre de 20 à 30 %. Le Congrès américain doit rendre public courant mars ou avril ses arbitrages budgétaires. Et une fois ce cadre posé, il faudra répartir les fonds. Il y a un consensus pour faire plus d’efforts pour l’environnement, les producteurs de fruits et légumes ou les programmes d’aide alimentaire intérieure, ce qui pourrait impliquer de ponctionner les aides aux grandes cultures. Concernant les biocarburants, on s’attend aussi à ce que le Congrès en remette une louche au nom de la sécurité énergétique. Le texte final du Farm Bill pourrait être prêt d’ici l’été. Il y a cependant des éléments qui peuvent changer la donne. Un accord à l’OMC aurait ainsi des répercussions fortes pour les aides aux grandes cultures. Les Américains devraient aller au-delà de leurs propositions actuelles. Il ne faut pas négliger non plus la plainte du Brésil devant les instances de l’OMC. Après avoir contesté avec succès les aides des producteurs américains de coton, les Brésiliens visent désormais une réforme en profondeur des marketing loans et des paiements anticycliques. Une condamnation des Etats-Unis pourrait jeter un froid. Auquel cas on pourrait imaginer que les Américains choisissent d’augmenter leurs aides découplées. » Propos recueillis par Aude Fernandez _____ (1) lettre mensuelle consacrée à la politique agricole américaine |
par Philippe Chanvillard (publié le 2 mars 2007)
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