Dans le paysage sinistré du textile en Europe, la filière du lin, fibre ancienne dont la France est le premier producteur mondial, pourrait revenir en force dans une économie privilégiant écologie et développement durable, espèrent ses acteurs.
C'est l'un des thèmes de « LINcroyable récolte », semaine de popularisation du 3 au 9 juin 2013 de la Confédération européenne du lin et du chanvre (CELC), qui a choisi d'exposer un « champ éphémère de 1.000 m² de lin textile au cœur de Paris, place du Palais-Royal.
Dans le secteur linier, la division internationale du travail est aujourd'hui très marquée, conséquence de la mondialisation au tournant du siècle. D'un côté, trois pays européens produisent 80 % de la récolte mondiale (France 75 %, Belgique et Pays-Bas ensemble 5 %). Les champs de lin s'échelonnent le long des côtes de la Manche et de la mer du Nord, de Caen (Basse-Normandie) à Amsterdam (Hollande), dans une zone au climat idéalement équilibré entre ensoleillement et précipitations.
De l'autre, l'industrie chinoise, qui fabrique 70 % des fils (contre 20 % pour les Européens) et 80 % des tissus de lin dans le monde, doit importer de 75 % à 85 % de la production de lin « teillé » (en balles d'étoupes) aux Français, Belges et Néerlandais.
De ce fait, surfaces cultivées et volume de lin teillé vendu par la France et ses deux voisins sont, sur les quinze dernières années, en hausse tendancielle : dans des fourchettes respectives de 50.000 à 100.000 ha et de 60.000 à 130.000 tonnes, d'après les données du CELC.
Par contraste, le secteur industriel du Vieux Continent s'est réduit comme peau de chagrin, sous le coup, outre le rouleau compresseur chinois, de la fin des barrières douanières et de la disparition de marchés traditionnels du lin (sacs postaux, draps militaires, voiles, bâches, filets, etc.), le tout aggravé par l'euro fort.
Le lin, produit moderne
D'une vingtaine de grosses filatures en Europe dans les années 1990, il ne reste qu'une demi-douzaine aujourd'hui. « En Belgique, en 1982, il y avait huit filatures de lin, dont trois à Lokeren (Flandre). Maintenant, on est la seule », raconte Maurice Cock, descendant du fondateur de la filature Stanislas Cock (1.300 tonnes par an et un chiffre d'affaires de 7,5 millions d'euros).
La dernière filature française, Safilin (18 millions d'euros de chiffre d'affaires, qui s'est résolue en 2005 à délocaliser toute sa production en Pologne face à l'énorme pression sur la compétitivité, et sa concurrente italienne Linificio (30 millions d'euros de chiffre d'affaires), représentent à elles deux la moitié de la production de fil de lin européen. Ces survivants placent désormais beaucoup d'espoir dans les produits dits « techniques ».
« Le lin est presque aussi solide que la fibre de carbone mais deux fois plus léger et aussi plus souple même s'il reste plus cher », sans parler de son caractère biodégradable et recyclable, souligne le PDG de Safilin, Christian Mekerke.
A titre encore expérimental ou déjà sur le marché, le lin entre dans la composition de raquettes de tennis, de skis, de cannes à pêche, de coques de bateau de plaisance, de planches de surf, de kayaks, de carénages de moto et de profils de fenêtre. L'université anglaise de Nottingham a conçu un prototype de pales d'éolienne de 3,5 mètres avec de la mèche de lin, qui a obtenu un prix international dans la catégorie « composite bio-sourcé ».
Mais l'ambition des acteurs de la filière est aussi de réhabiliter le lin au quotidien. « On reproche au lin de gratter, d'être froissable, et de n'être qu'une fibre d'été. En réalité, c'est confortable, c'est thermorégulateur et antiallergénique », assure Olivier Ducatillion, PDG du tisseur Edouard Lemaître-Demeestere (4,5 millions de chiffre d'affaires), situé dans un grand bassin historique du lin, la vallée de la Lys (Nord), à la frontière franco-belge.
« Depuis deux, trois ans, on a une tendance appelée le "lin lavé", notamment pour le linge de maison, de table, de lit, et pour la salle de bain ». « Le lin fait une percée en raison de son caractère écologique », ajoute l'industriel, évoquant un intérêt soutenu aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en Scandinavie.