Il aura fallu un an et demi d’âpres discussions pour y parvenir, mais c’est chose faite: les ministres de l’Agriculture de l’Union européenne ont officiellement adopté, le 12 juin, un nouveau règlement relatif à l’agriculture biologique. Simplification et harmonisation sont les maîtres mots de ce cadre juridique flambant neuf qui se substitue à une réglementation vieille de seize ans.
Les objectifs affichés par le texte sont multiples: «créer des conditions permettant à ce secteur de se développer», «préserver et justifier la confiance des consommateurs» et favoriser l’établissement «d’une concurrence loyale sur le marché intérieur des produits biologiques» en mettant fin à la multiplicité des cahiers des charges nationaux. Ces louables intentions et les corrections apportées au fil des mois n’ont toutefois pas suffi à faire taire les critiques de certains groupements de producteurs. Si la question de la présence fortuite tolérée des OGM a cristallisé les attaques des opposants au projet (lire l'encadré ci-dessous ), d’autres mesures font débat, comme celles touchant à l’utilisation des logos. Le nouveau règlement communautaire confère en effet une importance accrue au logo européen (voir plus bas ), qui sera obligatoirement apposé sur l’emballage des produits biologiques. Il sera possible d’y adjoindre un logo national, mais ce dernier ne pourra pas être associé à un cahier des charges plus exigeant que la réglementation européenne. La mise en place de marques privées plus restrictives sera toutefois autorisée. «Le logo commun garantira une production selon des règles harmonisées, ce qui favorisera une meilleure lisibilité pour le consommateur», affirme Salvador Ferret, directeur d'Agribio Union (1) , dans le sud de la France.
«Nivellement vers le bas»
L’alignement des multiples cahiers des charges européens sur un modèle unique suscite de fortes réticences de la part d’autres opérateurs de la filière. Cela conduirait selon eux à un nivellement vers le bas des standards de l’agriculture biologique. «On s’est toujours battu pour que le cahier des charges "AB" français soit plus exigeant que le règlement communautaire actuel», signale Henri Thépaut, président de la Fnab (Fédération nationale de l’agriculture biologique).
Pour se démarquer de ce logo AB désormais «vidé de son sens», la fédération travaille à la mise en place d’une marque privée, pour maintenir le niveau d’exigence du cahier des charges français et «offrir aux consommateurs une alternative à une réglementation européenne décrédibilisée». Il reste à savoir avec qui et comment créer cette marque. Avec le risque ensuite de voir s’opposer deux types de production bio et de déboussoler le consommateur. «Je préfère une bio ouverte et pratiquée que plus exigeante mais marginale, confie Gilles Renart, d’Agralys Bio . On est à 2% de bio avec des exigences fortes, ce qui rend les économies d’échelle impossibles. Faisons un socle commun en développant la part du bio à 10% et en bénéficiant des effets volume.»
Attendre les règlements d'application
Les plus sceptiques entendent être très vigilants sur la façon dont les 42 articles du nouveau cadre juridique seront transcrits dans les règlements d’application qui mettront en oeuvre concrètement la nouvelle réglementation, qui s’applique à partir du 1er janvier 2009. L’enjeu portera notamment sur la «flexibilité». Cette nouvelle notion remplace le principe de subsidiarité qui permettait à chaque Etat membre de disposer d’une marge de manoeuvre pour adapter son cahier des charges. Tout assouplissement dans un pays pour tenir compte des conditions locales, des pratiques d’élevage particulières... devra désormais obtenir l’accord des différents Etats membres. «Ce sera le gage d’une meilleure transparence, estime Salvador Ferret. A titre d’exemple, la durée d’élevage pour les poulets bio était fixée à 70 jours en Angleterre, contre 81 jours selon le règlement européen. Ce ne sera plus possible si des Etats membres s’y opposent, et leur marché devrait s’ouvrir à nos productions. On a trop subi de distorsions de concurrence en France pour ne pas savoir que la subsidiarité n’était pas le meilleur système.» Une analyse que ne partage pas Henri Thépaut, de la Fnab: «La flexibilité permettra de faire moins que la réglementation alors que la subsidiarité permettait de faire mieux. Et quels seront les critères pris en compte par la Commission européenne pour attribuer ces dérogations?»
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(1) Union de coopératives d’agriculture biologique, basée à Salvagnac, dans le sud-ouest de la France.
OGM: le seuil de la discorde Le règlement européen spécifie que les OGM continuent à être strictement interdits dans le mode de production biologique… mais fixe un seuil de 0,9% de présence accidentelle tolérée, le même que pour l’agriculture conventionnelle. «Lorsqu’un consommateur achète un produit bio, il veut être certain qu’il n’y a pas d’OGM, s’offusque Christian Ponticelli, du Groupement d’agriculteurs biologiques du Gers. Ramener le bio à la règle générale, c’est l’empêcher de se différencier.» Condamnant ce seuil qui conduira selon lui à «une contamination généralisée», il y voit «non pas les lois du marché, mais la loi des opérateurs dominants du marché». Gilles Renart, d’Agralys Bio, conteste cette vision: «Il n’appartient pas aux agriculteurs bio de réglementer les OGM. Ils font de gros efforts en choisissant un mode de production plus favorable à l’environnement, mais ils ne vivent pas dans une bulle. Rester sur un niveau zéro serait suicidaire.» |
Un logo commun Les denrées alimentaires ne pourront porter le logo biologique que si au moins 95% des ingrédients sont issus de l’agriculture bio. Pour celles comprenant un ou plusieurs ingrédients obtenus selon ce mode de production, la référence à l’agriculture biologique ne pourra être utilisée que dans la liste des ingrédients. Le logo européen pourra être accompagné de logos nationaux ou de marques privées et devra préciser l’origine géographique des matières premières agricoles composant le produit. |
Elevage : la perte de la subsidiarité inquiète Qu’ils soient producteurs ou opérateurs, ce qui mobilise le monde de l’élevage bio, c’est la perte de la subsidiarité française et l’apparition de la flexibilité, comme le regrette Juliette Leroux, de la Fnab. «Nous ne validons pas un cahier des charges au rabais, ajoute Yannick Allar, président de Biolait. A la fois par respect de nos adhérents impliqués de longue date dans notre démarche et des engagements pris vis-à-vis de nos clients.» D’ici au printemps de 2008, le GIE compte travailler sur un cahier des charges qu’il proposera à ses partenaires pour sécuriser l’image de son lait. Pour Biolait, cette baisse des exigences est surtout une opportunité pour certains industriels de disposer d’une plus grande quantité de matière première disponible et donc de pouvoir tirer les prix vers le bas. Du côté des transformateurs, «la perte du cahier des charges français est regrettée, assure Cécile Frissur, déléguée générale du Synabio. Nous revendiquons le droit de faire plus que la réglementation. Mais, dans certains cas très spécifiques, il peut être intéressant d’explorer de nouvelles opportunités. Dans le cas de la volaille par exemple, où l’âge à l’abattage actuel est tout à fait justifié pour la vente de poulets entiers prêts à cuire ou de découpe fraîche». Mais où il serait bon d’étudier la fabrication de plats cuisinés à partir d’animaux plus jeunes pour maintenir un rapport qualité-prix intéressant. (Eric Roussel) |
par Isabelle Escoffier et Gabriel Omnès (publié le 22 juin 2007)
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