Pour alimenter leur guerre des prix, certaines enseignes de la grande distribution utilisent bien des pratiques abusives vis-à-vis de leurs fournisseurs agroalimentaires, et l'exécutif entendait les rappeler à l'ordre jeudi, a-t-on appris d'une source gouvernementale.
A partir de 17h00, les ministres de l'Économie, Arnaud Montebourg, et de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, ainsi que la secrétaire d'Etat à la Consommation, Carole Delga, devaient recevoir des représentants des distributeurs, des industries agroalimentaires et des agriculteurs.
Depuis des mois, les fabricants de produits alimentaires ne cessent de répéter que la situation n'est plus tenable. Ils mettent en avant les risques de destruction de valeur et d'emplois dans les filières, en cas de poursuite des pressions des enseignes de supermarchés pour revoir les prix toujours à la baisse.
Le secteur, composé essentiellement de PME, perd une entreprise par jour et estime qu'au moins 6.000 emplois ont été « détruits » en 2013, rappelait mercredi Jean-Philippe Girard, président de l'Association des industries alimentaires (Ania).
Au début de juin, industriels, coopératives agricoles et agriculteurs estimaient même dans une lettre ouverte au Premier ministre que cette bataille pourrait coûter de « 15.000 à 20.000 emplois ».
L'objectif de la réunion de jeudi est de rappeler à l'ordre la grande distribution car la Répression des fraudes (DGCCRF) a « apparemment relevé des comportements abusifs dans les relations de certaines enseignes » avec des fabricants agroalimentaires sur des contrats démarrés en mars, a expliqué à l'AFP une source gouvernementale.
Dans ce contexte, les ministres vont exiger la fin de ces comportements, encore à confirmer, auprès des distributeurs qui seront mis en garde sur les lourdes sanctions encourues, précise cette source, selon laquelle le gouvernement compte appeler tout le monde à « la responsabilité ».
« Le but du gouvernement n'est pas du tout de casser le pouvoir d'achat des Français mais d'éviter un rapport de force, [...] et de trouver le juste équilibre avec des prix raisonnables », ajoute cette source.
Leclerc inflexible
Parmi les pistes envisagées, les ministres devraient inciter les enseignes à mettre en avant l'offre française comme certaines le font cet été avec les fruits et légumes, et à éviter les « promotions à prix cassés », explique-t-elle.
Inflexible sur ce sujet, Michel-Edouard Leclerc, qui se pose comme le défenseur numéro un du pouvoir d'achat de ses clients, n'a pas attendu la rencontre pour répondre point par point.
« Sur un an, les cours des produits agricoles ont sérieusement décroché :-30 % sur la pomme de terre, -10 % sur le blé, -12 % sur le maïs, -7 % sur le sucre... Expliquez-nous pourquoi les distributeurs n'auraient pas le droit d'exiger des diminutions de tarifs », se demande le PDG de l'enseigne éponyme, dans un article publié jeudi après-midi sur son blog.
La FNSEA, Coop de France et l'Ania « ont exigé il y a encore quelques mois, d'introduire dans la loi Hamon sur la consommation, des clauses de révision de prix dans les négociations tarifaires », souligne le trublion du secteur. « Bien sûr dans leur idée, il s'agissait de répercuter uniquement les hausses. »
La loi Hamon sur la consommation, promulguée en mars, introduit une clause de « renégociation du prix permettant de prendre en compte [d]es fluctuations à la hausse comme à la baisse ».
La Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), qui représente toutes les enseignes à l'exception de Leclerc, Super U et Intermarché, attendait la réunion pour se prononcer même si elle a d'ores et déjà proposé une mesure symbolique : cesser de faire la promotion pour les comparateurs de prix qui alimentent la bataille aux prix bas.
Une proposition rejetée par M. Leclerc, créateur de Quiestlemoinscher.com, qui déclare réfléchir à une nouvelle façon de comparer les prix.
La FCD suggère également de distinguer les petites entreprises des grands groupes agroalimentaires dans les négociations.
Or, « 80 % des produits vendus dans la distribution française sont apportés par 20 % des fournisseurs, qui répondent aux nom de Nestlé, Danone, Coca-Cola, Mars, Ferrero, Procter et Gamble, Unilever... », rappelle M. Leclerc.
En décembre dernier, Leclerc avait été condamné à 500.000 euros d'amende par la cour d'appel de Paris pour des « clauses déséquilibrées » figurant dans des contrats avec des fournisseurs, dans le cadre d'une affaire datant de 2009.