Vincent Martin, expert de la FAO (1), où il dirige le programme de prévention des crises de santé animale, a accordé à l'Agence France-Presse (AFP) un entretien sur la nouvelle crise de grippe aviaire. Nous le reproduisons ci-dessous.
Pourquoi les virus, comme le H5N1 ou le H7N9, apparaissent-ils systématiquement en Asie et particulièrement en Chine ?
C'est une combinaison de facteurs, dont un développement rapide et massif des productions avicoles et porcines associé à de fortes densités de population, en grande partie encore rurale. Dans les élevages traditionnels, les contacts homme-animal sont fréquents et étroits. Or la Chine abrite la moitié de la population porcine mondiale ainsi qu'environ 5 milliards de volailles, dont 70 % de la population mondiale de canards. Le Sud héberge une grande partie des élevages de palmipèdes (canards et oies) en plein air, donc en contacts fréquents avec les oiseaux sauvages. Ils sont ensuite commercialisés, vivants, sur des marchés qui représentent un risque élevé de maintien, de concentration et de diffusion de l'infection.
Mais cette promiscuité entre les volailles et les humains est vraie ailleurs aussi, en Afrique par exemple.
La différence avec l'Afrique, ce sont les densités de populations animales et humaines, bien plus importantes en Asie, vivant au sein d'écosystèmes variés où l'on trouve de vastes zones humides, et où se côtoient faune sauvage et fortes concentrations en volailles domestiques.
L'élevage industriel est-il également favorable à l'émergence des virus ?
Concernant le H5N1, des études scientifiques ont clairement identifié les zones d'émergence et de persistance du virus au Vietnam, en Thaïlande et en Chine dans les zones d'élevages traditionnels de palmipèdes en plein air. L'élevage en batterie ne présente pas ces caractéristiques. Dans le cas du H7N9, l'écologie du virus n'est pas encore totalement élucidée et demandera des études scientifiques supplémentaires.
Craignez-vous une extension du virus aux pays voisins ?
Il y a en effet un risque de dissémination au sein de la Chine ou au-delà de ses frontières, notamment parce que ce virus est bassement pathogène, n'entraînant aucune mortalité ou baisse de production chez les volailles domestiques, et donc très difficile à détecter. Il faut donc mettre en place des mesures de surveillance actives et ciblées, au niveau des marchés et des élevages, à savoir des campagnes de prélèvements testés ensuite en laboratoires. Les pays voisins doivent faire de même et renforcer leurs mesures de surveillance pour s'assurer que le virus n'est pas présent et pouvoir réagir rapidement si tel devait être le cas.
Si le virus doit voyager, quel sera son principal vecteur ?
Nous étudions la question en ce moment avec des spécialistes internationaux de l'épidémiologie. Si le commerce peut être considéré comme le principal vecteur (pas seulement pour les virus influenza, mais d'une manière générale), le rôle de la faune sauvage dans l'épidémiologie du H7N9 reste à déterminer. En tout état de cause, si risque il y a, il ne devrait se matérialiser qu'à l'automne : le sens des migrations, plein nord en ce moment en Chine, ne semblerait pas favorable à une dissémination vers l'Europe où l'Afrique. Mais ce risque devra être revu lors des migrations d'automne. Nous avons donc quelques mois devant nous pour mieux comprendre le rôle de la faune sauvage dans ce cas précis.
Peut-on craindre un cycle de transmission d'un homme à l'autre ?
Le virus se transmet déjà à l'homme, mais à ce stade, les mammifères représentent des « culs de sacs épidémiologiques », c'est-à-dire que la transmission ne va pas plus loin. Il faut à présent maintenir la vigilance et effectuer des campagnes de surveillance d'autres espèces, comme le porc, et vérifier sa capacité à les infecter. Des études en ce sens sont en cours en ce moment même.
Comparé au H5N1, le H7N9 vous paraît-il plus virulent, plus dangereux ?
Pas nécessairement plus dangereux, mais plus sournois puisqu'il est difficile à détecter chez les volailles. Les hommes servant de sentinelles « révélatrices de l'infection ». Mais les virus influenza font preuve d'une grande plasticité, ils peuvent évoluer rapidement, notamment pour revêtir une forme hautement pathogène. Une vigilance accrue et des programmes de surveillance intensifs doivent être mis en place dès à présent, en Chine et dans les pays de la région pour mieux comprendre l'écologie du virus. Mais jusqu'à présent, la gestion de la crise en Chine a été spectaculaire, par sa réactivité et sa transparence. C'est important de le souligner.
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(1) FAO : Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture.