Olexandre Verjikhovski égrène un épi de blé et embrasse du regard le champ baigné de soleil. « C'est un trésor, si on l'exploite correctement », dit-il. A l'image de ce céréalier, l'Ukraine ruinée par la guerre reporte ses espoirs sur ses terres fertiles pour rebondir.
Trois moissonneuses-batteuses flambant neuves s'activent dans l'exploitation de ce jeune patron de 29 ans, à la tête de la société agricole AgroKIM, à une centaine de kilomètres au nord de Kiev. Autour, le village de Mala Divytsa offre un paysage moins reluisant avec ses routes défoncées et ses maisons délabrées.
Malgré la grande pauvreté des campagnes ukrainiennes, le secteur agricole constitue le seul voyant au vert pour l'économie ukrainienne, dont la crise s'est transformée en marasme avec la guerre engagée avec les séparatistes prorusses de l'Est au printemps 2014. Ce conflit dans le bassin minier et sidérurgique du Donbass, qui a fait plus de 6.800 morts, a privé le pays de près du quart de sa production industrielle.
Face à une chute vertigineuse de son produit intérieur brut (-6,8% l'an dernier, probablement plus cette année), Kiev tente également d'échapper au défaut de paiement en négociant avec ses créanciers privés une restructuration de sa dette. En revanche, la récolte de céréales a atteint l'an dernier un niveau record depuis l'indépendance de l'ex-république soviétique en 1991, à plus de 63 millions de tonnes. Cette performance, que Kiev espère approcher cette année, a permis au pays d'exporter 34,5 millions de tonnes sur la campagne agricole qui vient de s'achever, faisant des fertiles terres noires ukrainiennes l'une des principales sources de maïs, blé et orge de la planète.
Objectif 100 millions de tonnes
Dans son exploitation, Olexandre Verjikhovski nuance ces bons chiffres avec la baisse des prix des matières premières agricoles sur les marchés internationaux. « Nous avons travaillé avec zéro bénéfice », explique le céréalier. Dans le même temps, la chute de la monnaie a entraîné une forte hausse des taux d'intérêt et des prix du matériel, engrais et semences importés.
« Nous travaillons sans aucune visibilité : quels seront les prix, avec quels crédits, à quels taux d'intérêt ? », renchérit Olexandre Pyssanka, ingénieur agronome dans son exploitation. Rien d'étonnant que les investisseurs étrangers rechignent à placer des fonds dans le secteur agricole ukrainien : « Personne ne veut prendre de risque ».
« L'année passée a été dure en termes d'investissements », concède le ministre de l'Agriculture, Olexiï Pavlenko, dans un entretien à l'AFP. « Vu la situation dans l'est de l'Ukraine, peu d'entreprises étaient prêtes à investir dans l'économie ukrainienne ».
Le ministre se montre cependant plus optimiste pour la suite. Selon lui, les entreprises américaines se préparent à livrer du matériel agricole à l'Ukraine pour un total d'un milliard de dollars. L'Union européenne et la Chine ont fait part de leur intérêt.
Pour M. Pavlenko, la production nationale de céréales pourrait atteindre d'ici à cinq ans 100 millions de tonnes par an, ce qui pourrait lui ouvrir de nouveaux marchés, comme l'Iran, après l'accord trouvé avec les grandes puissances sur son programme nucléaire.
Le potentiel de croissance est jugé d'autant plus important dans ce pays où les terres agricoles occupent plus de 70% du territoire que les rendements y sont encore très faibles, à quatre hectares par tonne en moyenne contre sept en France.
« Tout le monde se concentre sur les céréales, mais l'ensemble du secteur agricole présente des possibilités d'investissements très lucratives », pour les fruits et légumes par exemple, relève Olena Garmach, porte-parole de la société financière IFC, filiale de la Banque mondiale.
Vendre les terres ?
Pour encourager l'arrivée d'investissements, certains acteurs du secteur, dont M. Verjikhovski, plaident en faveur d'une libéralisation du marché des terres agricoles, qui ne peuvent actuellement pas être vendues mais seulement louées à long terme.
Le gouvernement reste pour l'instant réticent et parie sur une simplification administrative et un vaste programme de privatisations touchant 254 entreprises agricoles, souvent déficitaires. Les experts mettent cependant en garde : outre l'instabilité économique, le secteur est surtout pénalisé par la corruption endémique.
« Si un marché de la terre est mis en place mais que la corruption reste élevée, l'économie instable et la monnaie volatile, il ne servira à rien. Personne n'achètera de terres », estime Mykola Vernytski, directeur de la société de conseil ProAgro.