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Article 7 :

La course aux fourrages

Alors que la moisson approche, les éleveurs multiplient les pistes pour se procurer de la paille et assurer un minimum de stocks pour l'hiver.

Les pluies ont rafraîchi l'atmosphère mais il est trop tard pour combler le manque d'herbe de ce printemps. Face à l'ampleur du déficit, le gouvernement a mis en place une cellule de crise interministérielle chargée de coordonner les transports de fourrages.

Objectif : acheminer au moins un million de tonnes vers les zones d'élevage. La SNCF envisage de rouvrir des gares rurales désaffectées. L'armée fournira aussi une aide logistique. « La SNCF n'est intéressante que sur de longues distances, estime Daniel Prieur, secrétaire général adjoint de la FNSEA. Sinon, le transport s'effectuera par camion. » Le syndicat réfléchit aussi à des trajets par péniche. Mais la prise en charge du coût du transport reste en suspens.

La FNSEA réitère sa consigne de ne pas broyer la paille sans en demander l'interdiction. « Dans les zones céréalières, on peut en récupérer la moitié, évalue Daniel Prieur. Des offres arrivent tous les jours de l'Aube, la Marne, l'Eure-et-Loir, etc. Le problème est de centraliser les offres et les besoins. Et vérifier que les zones d'élevage s'engagent clairement sur les quantités qu'elles demandent, en contractualisant si possible. » En 2003, des céréaliers étaient restés avec de la paille sur les bras.

La Coordination rurale a demandé à l'Etat le financement et la mise en place d'un « aliment sécheresse », en réquisitionnant notamment le blé et le maïs destinés aux biocarburants (un enjeu de 2 millions de tonnes) et les sous-produits de l'industrie agroalimentaire.

De son côté, la Confédération paysanne réitère sa demande d'interdire le broyage. Pour l'instant, c'est au préfet de chaque région de décider. Or, les seules interdictions actées ne concernent pas des zones céréalières. Selon le syndicat, cette mesure calmerait la panique des éleveurs, alors que certains commencent à décapitaliser. Elle limiterait surtout la flambée du prix de la paille. Il y a urgence car, d'ici dix jours, les moissonneuses seront dans les champs du Bassin parisien.

« Certains céréaliers considèrent que le peu de paille qu'ils ont ne mérite pas d'être ramassé, note Philippe Collin, porte-parole de la Confédération paysanne. Ils n'ont pas pris conscience qu'il faut tout ramasser. »

Par solidarité, Xavier Morize, installé avec son épouse et son fils à Saint-Nom-la-Bretèche (Yvelines), a décidé de donner ses 100 t de paille. « Ce n'est pas un gros effort. Je suis aussi maraîcher et confronté à la crise en arboriculture. Ça me fait mal de voir des éleveurs obligés de vendre des animaux. Je suis prêt à leur donner ma paille, quelle que soit leur étiquette syndicale. Par ailleurs, il faudrait aussi que les concessionnaires soient solidaires en mettant du matériel à disposition. »

 

Accéder au marché

« Nous sommes prêts à nous organiser pour faire des convois de paille mais nous n'avons pas accès au marché », regrette Gérard Durand, de la Confédération paysanne. Le syndicat demande la création d'une plate-forme nationale qui centralise les offres et les demandes. Elle devrait être gérée par les chambres d'agriculture et non par un syndicat, afin que tous puissent en bénéficier.

En attendant, chaque département essaie de se débrouiller au mieux. Syndicats, chambres d'agriculture ou groupes d'éleveurs tentent de s'organiser. Dans le Cantal, la FDSEA et JA ont créé l'association « Sécheresse 2011 », à l'instar de la structure née en 2003.

« L'objectif est de centraliser les commandes de fourrages et d'en gérer les affrètements, explique Joël Piganiol, son président. Les premiers besoins exprimés s'élèvent à 20 000 t de paille. Nos contacts sont dans la Marne et l'Aube, au nord de la Loire et en Espagne. Les collectivités locales ont été sollicitées pour aider au transport. Le Conseil général a d'ores et déjà répondu favorablement. »

 

Limiter le coût du transport

Dans le Limousin, la FRSEA s'est tournée vers l'Espagne. « Mais à 120 €/t rendu ferme, c'est trop cher, estime Frédéric Lascaux, de la Confédération paysanne de la Haute-Vienne. Avec un groupe d'éleveurs, nous recherchons de la paille dans les grands bassins céréaliers mais pas trop loin afin de limiter le coût du transport. L'idéal serait d'arriver à 80 €/t rendu ferme. J'ai déjà trouvé un entrepreneur prêt à faire le trajet et à mobiliser ses collègues. »

Les collectivités locales sont sollicitées pour des coups de pouce financiers. En Charente, le conseil général a financé une opération menée par l'Association des producteurs de lait indépendants et la Coordination rurale. Il a pris en charge la fauche des jachères effectuée par les deux organisations, ainsi que le transport de ce fourrage. En Charente-Maritime, l'exemple est venu du maire de Saint-Thomas-de-Conac qui a proposé aux éleveurs de faucher les bords de route. L'initiative a été reprise par le conseil général et par d'autres départements.

Enfin, des éleveurs prospectent seuls. Ainsi, Patrick Derouet, installé avec trois associés à Orval (Manche), a sollicité son entrepreneur de travaux agricoles. « Je lui ai demandé de mettre de côté le plus de paille possible », explique-t-il. Blé, orge, colza, pois, tout est bon pour nourrir les 120 laitières et leur suite.

« La paille de colza broyée me fournira de la fibre pour mettre dans la mélangeuse. Celle d'orge sera utilisée dans les rations et celle de blé passera en litière. Mon entrepreneur n'a pas encore fixé ses tarifs, j'espère qu'il sera raisonnable. »

Cette année, la première coupe de foin fournira 4 t/ha au lieu des 5 t habituelles, et il n'y aura peut-être pas de deuxième coupe. Mais vu son prix, Patrick n'en achètera pas. Quant à la paille, le rendement sera divisé par deux. « Il nous manquera la moitié des 200 t nécessaires. »

 

 

Expert : André Le Gall, chef du département « techniques d'élevage et qualité » à l'Institut de l'élevage

« Nous avons perdu l'équivalent de 20 % du rendement annuel des prairies »

« Nous estimons qu'à cause de la sécheresse, les disponibilités fourragères seront inférieures de 14,8 millions de tonnes (Mt) de matière sèche (MS), par rapport à une année normale. Et encore, à condition que la récolte de maïs atteigne son niveau habituel. Cette perte représente 20 % du rendement annuel des prairies. Nous l'avons estimée à partir des Réseaux d'élevage à 1 t/ha de MS sur les prairies permanentes et à 1,5 t/ha de MS sur les temporaires. »

Ce déficit devrait être compensé d'abord en mobilisant les stocks de report. « Principalement chez les éleveurs laitiers. Cela représenterait 3 Mt. S'y ajoute 1,2 Mt provenant des 200.000 ha de céréales récoltées immatures. »

L'autre levier pour équilibrer le bilan fourrager est la paille. « Cette année, avec des rendements chutant de 25 %, il faudra tout ramasser et sans doute ajuster la quantité consacrée aux litières. Une fois tout cela déduit, nous aurions besoin de 4,5 Mt de paille pour alimenter les animaux. En 1976, 4 Mt ont été mobilisées. »

Le dernier moyen de combler le déficit est de réduire la consommation d'aliment. « En jouant sur les pertes d'état temporaires et sur la croissance compensatrice des animaux. C'est la base de l'élevage allaitant et des génisses. Et sans doute aussi en ajustant la taille des cheptels. »

Ce qui pourrait conduire à un surplus de 84.000 t de viande bovine sur le marché. Cet ajustement aura également lieu pour les autres espèces d'herbivores.

« Au train où vont les choses, les céréales et le maïs devraient être récoltés plus tôt. Si ensuite il pleut, l'implantation de dérobées sera possible, laissant espérer de l'herbe 40 à 50 jours plus tard avec des ray-grass italiens ou des crucifères. Cela s'ajoutera aux repousses d'automne qui, même si elles sont conséquentes, ne compenseront pas complètement le retard pris. »

 

 

Un contrat entre deux FDSEA pour acheter de la paille

Une démarche interfilières. Michel Masson et Pascal Lerousseau réfléchissent depuis deux mois à un contrat liant leurs départements pour l'achat de paille. Le premier représente la FDSEA du Loiret, un département producteur de paille, tandis que le second est élu dans la Creuse, un département très consommateur en litière.

« Le but est de sécuriser une partie des approvisionnements en stocks des exploitations », explique Michel Masson. Le contrat en cours de finalisation ne concernera, cette année, que les achats de paille.

L'objectif est de l'élargir aux pulpes et aux céréales. Il devrait être signé le 11 juin en Creuse, pour une durée de trois ans. Le prix de la paille est fixé à 15 €/t en andain. « Cela correspond à l'exportation en éléments fertilisants, explique Michel Masson. Nous ne comptons pas la matière organique. »

Sur le plan pratique, les deux fédérations se chargent de la gestion de l'opération. La FDSEA du Loiret recense les surfaces proposées par ses adhérents. Celle de la Creuse enregistre les commandes des siens. Ouvertes jusqu'au 1er juillet, elles atteignent déjà 15 000 t. « Nous allons devoir limiter la livraison à 20 t », indique Pascal Lerousseau.

La FDSEA de la Creuse s'occupe de la logistique pour le pressage et le transport. Elle s'engage à libérer rapidement les surfaces. D'une part, pour faciliter le travail des cultures suivantes et, d'autre part, pour ne pas laisser trop longtemps la paille en tas. Ainsi exposée, celle-ci attire parfois les « esprits malveillants ».

L'armée a d'ailleurs été sollicitée pour la surveillance. L'acheminement du fourrage devrait se faire par la route. Au final, le prix dans les fermes creusoises pourrait avoisiner de 75 à 80 €/t. « Si nous n'avions pas eu d'irrigation, pourtant si décriée, nous n'aurions pas eu de paille à proposer à nos collègues », observe Michel Masson. 

 

(publié le 10 juin 2011)

 

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