Exaspérés par la faiblesse des cours de l'œuf liée à la surproduction, des producteurs bretons, qui avaient braqué les projecteurs sur leur situation en détruisant, au début du mois, des centaines de milliers d'œufs, menacent de reprendre leurs actions si les prix n'ont pas remonté d'ici à la semaine prochaine.
« Les cours sont toujours en dessous du prix de revient », explique Sébastien Saliou, producteur à Louannec (Côtes-d'Armor). Pourtant, « on est dans la période la plus importante de l'année, avec les commandes des collectivités, après les vacances », souligne ce trentenaire, à la tête avec son frère et son père d'une exploitation de quelque 82.000 poules en batteries et 6.000 en plein air.
Cet « effet rentrée », combiné avec des mesures de mise à l'écart de 15 millions d'œufs décidées par l'interprofession après les quatre actions de destruction d'œufs dans le Finistère et les Côtes-d'Armor, a certes fait grimper les prix depuis le début d'août.
Ils sont ainsi passés de 4,50 euros les 100 unités à environ 5,50 euros en moyenne, alors que les prix de revient s'établissent entre 6,50 et 7 euros, selon les producteurs, dont la grogne dure depuis plusieurs mois. La faiblesse des cours ne permet pas de couvrir leurs coûts de production et d'amortir des investissements liés à une directive européenne sur le bien-être animal.
Pour s'en sortir, Yohann, un producteur du Morbihan, n'a eu d'autre choix qu'une solution extrême, assure-t-il : abattre ses 24.000 poules, dont il n'aurait dû se débarrasser qu'en septembre. « Je perds moins d'argent comme ça », affirme-t-il. « Je remettrai des poules en octobre. Mais si la crise n'est pas résolue, la banque va me réclamer mes annuités. Et si je ne paye pas, je perds ma maison, mes terres et je mets ma famille à la rue », s'emporte cet exploitant qui s'est lancé il y a deux ans et a investi un million d'euros.
Sébastien Saliou envisage aussi de se défaire de 27.000 têtes, tout en renégociant ses annuités avec sa banque.
Le constat est partagé par les membres du collectif à l'origine des quatre actions de destruction d'œufs. Le collectif avait décidé de les suspendre dans l'attente d'une réunion de crise le 13 août à Rennes avec le ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll.
Mais mardi, à l'issue d'une réunion à Ploumagoar, près de Guingamp, certains de ses membres ont annoncé qu'ils les reprendraient si d'ici au jeudi 5 septembre les cours ne remontent pas. Une menace réitérée mercredi après une réunion à la préfecture de la Bretagne du Comité de suivi régional de la filière, mis en place à la demande de Stéphane Le Foll, ministre de l'Agriculture.
Menace sérieuse ou coup de bluff ? Dans tous les cas, le sentiment de colère et d'exaspération est bien réel. D'autant qu'un million de poules pondeuses supplémentaires vont arriver dans des exploitations, assure le collectif, dans le contexte de surproduction. Quelque 14,5 milliards d'œufs par an sont produits en France, dont près de la moitié en Bretagne, selon la direction régionale de l'agriculture.
Par ailleurs, des exploitants sont « aujourd'hui sous pression de la part des GMS (grandes et moyennes surfaces) qui ont tendance à revoir les prix des contrats » (à la baisse), a souligné mercredi le préfet de la Bretagne, Patrick Strzoda.
Pour le collectif, la solution d'urgence pour la remontée des cours passe par la réduction de 5 % de la production au niveau national, en attendant que des solutions pérennes pour l'avenir de la filière soient mises en place. M. Le Foll a demandé à deux inspecteurs généraux de travailler sur ce sujet. Leur rapport est attendu au début d'octobre.
Le collectif, dorénavant baptisé « Pour le maintien de la production d'œufs en Bretagne », a proposé aussi jeudi la création d'une caisse de péréquation, qui indemniserait « les éleveurs en cas de crise ».
Dans son exploitation, Sébastien Saliou confie travailler en moyenne 12 heures par jour et se désole : « Ce ne sont pas les heures qui pèsent, mais c'est de perdre du pognon, de creuser sa tombe. »