Après la décision rendue jeudi par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) à la suite d'une saisine de la cour d'appel de Nancy dans l'affaire opposant le groupe Graines Baumaux SAS à l'association Kokopelli, le Réseau semences paysannes et l'association Les Croqueurs de carottes estiment que « la justice européenne condamne la biodiversité à la réclusion à perpétuité jusqu'à ce que mort s'en suive ».
« Les juges européens n'ont pas voulu suivre les conclusions courageuses de l'avocate générale qui estime que les obligations d'homogénéité et de stabilité imposées aux semences commerciales sont disproportionnées. Ce jugement confirme qu'il est urgent de réformer les directives européennes pour sauver la diversité cultivée », ont réagi lundi deux associations de défenses des semences paysannes.
La Cour de justice de l'Union européenne a estimé dans son arrêt le jeudi 12 juillet 2012 que l'Europe a raison d'imposer l'obligation de ne commercialiser que des semences de légumes recensées dans des catalogues officiels, d'autant qu'elle prévoit des dérogations sous strictes conditions pour les semences anciennes. Par ailleurs, elle considère que n'autoriser à la vente que des semences admises dans des catalogues permet d'améliorer la productivité des cultures de légumes. En outre, elle a souligné que le droit européen permet aussi des dérogations pour les variétés anciennes, non cataloguées, afin d'assurer la conservation des ressources génétiques des plantes.
« La Cour a jugé en l'absence du condamné » déplorent les associations. « Si elle avait rencontré les vraies plantes, celles qui poussent dans les champs et les jardins, et non dans les catalogues de l'industrie, elle aurait constaté qu'elles ne se reproduisent pas comme des objets manufacturés, tous identiques les uns aux autres. Cela ne fait que cinquante ans que l'industrie semencière a commencé à standardiser les semences pour les adapter partout aux mêmes engrais et pesticides chimiques », déplorent-elles.
A l'inverse, selon les associations, les semences « anciennes » ont « toutes été sélectionnées pendant des millénaires pour s'adapter, sans ces béquilles chimiques, à la diversité et à la variabilité des terroirs, des climats et des besoins humains ». Et « il n'y a que dans les lois dictées par les lobbies industriels qu'on peut prétendre les rendre homogènes et stables ; dans la vraie vie, cela revient à les interdire ».
Pour elles, « en n'autorisant à la commercialisation que des plantes homogènes et stables sans diversité génétique interne, les directives européennes aggravent la destruction de la biodiversité cultivée ».
« Les juges affirment que les conditions particulières accordées par le “catalogue de conservation” sont suffisantes, reprend le communiqué. S'ils avaient vérifié ces conditions particulières, ils auraient constaté que l'écart toléré par rapport à la norme industrielle ne laisse la place à aucune diversité génétique, et que les restrictions de commercialisation imposées ne permettent aucune viabilité économique. En deux ans et demi d'existence de ce nouveau catalogue, moins de dix variétés françaises y ont été enregistrées : n'est-ce pas la preuve de son échec ? », interrogent le Réseau semences paysannes et Les Croqueurs de carottes.
Contrairement aux juges, les deux associations estiment que les semences standardisées sont incapables de s'adapter à l'amplification des changements climatiques et donc de remplir l'objectif de productivité agricole mis en avant dans le jugement. Au contraire, « elles imposent toujours plus d'engrais et de pesticides chimiques qui nous empoisonnent, détruisent l'environnement et la biodiversité sauvage et font apparaître des pathogènes toujours plus virulents », ripostent-elles.
« Avec ou sans l'accord des juges européens, le Réseau semences paysannes et Les Croqueurs de carottes continueront à faire vivre et à diffuser la diversité cultivée dans les champs et les jardins » en poursuivant la vente des « semences de variétés traditionnelles refusées ou non inscrites au catalogue », martèle le communiqué. « D'abord parce qu'elles donnent entière satisfaction aux jardiniers, aux maraîchers et à leurs clients. En outre, parce que les directives européennes autorisent encore cette commercialisation tant qu'elle ne vise “qu'une exploitation non commerciale” comme le jardinage pour l'autoconsommation ».
Les deux associations mettent en garde contre « les projets de réforme en cours [qui] menacent de supprimer ce dernier espace de liberté ».