Les instituts de crédit allemands renoncent, les uns après les autres, à certaines activités jugées spéculatives sur les marchés agricoles, en réponse à des critiques grandissantes dans l'opinion publique qui risquent d'affecter leur image.
La grave sécheresse qui a sévi cet été aux Etats-Unis et en Russie a fait exploser les prix mondiaux des céréales, ravivant le débat sur la responsabilité de la finance dans un phénomène qui frappe les plus pauvres.
« Les spéculateurs sur les Bourses de contrats à terme investissent précisément maintenant dans les matières premières agricoles pour profiter de la hausse des prix. Un jeu cynique », critique l'organisation non gouvernementale (ONG) allemande Foodwatch sur son site internet. « Cela peut drastiquement tirer à la hausse les prix des denrées alimentaires et entraîner des famines dans les pays pauvres. Nous disons : halte à ce jeu immoral », affirme l'ONG.
La deuxième banque allemande, Commerzbank, les banques régionales LBBW et LBB, ou encore la banque d'investissement des caisses d'épargne DekaBank, ont annoncé ces derniers mois qu'elles cessaient d'investir dans des fonds agricoles ou à en proposer elles-mêmes à leurs clients.
Deutsche Bank, la première banque allemande, avait annoncé, en mars, qu'elle n'allait pas lancer cette année de nouveaux produits boursiers sur les produits agricoles de base, tout en maintenant son offre existante en la matière, gérée par son fonds DWS.
« Nous ne pouvons pas conseiller nos clients (sur les matières agricoles) en ayant la conscience tranquille. Parce que les médias et la classe politique pensent actuellement que cela contribue à la hausse des prix », déplore Eugen Weinberg, chef analyste des matières premières chez Commerzbank. « Même si nous ne sommes pas de cet avis, pour des questions d'image, nous ne voulons pas que (nos produits) soient assimilés à de la spéculation », explique-t-il.
Cependant, les banques allemandes jouent un rôle mineur sur les marchés agricoles. Les grandes banques d'investissement, comme les britanniques Barclays ou HSBC, sont beaucoup plus actives, comme des fonds spéculatifs, des assureurs et encore davantage les entreprises agricoles elles-mêmes, selon des spécialistes du secteur.
« Cela pourrait être très contre-productif d'interdire aux banques d'investir dans les matières agricoles », met en garde Thorsten Polleit, ancien chef économiste de Barclays Capital pour l'Allemagne, aujourd'hui chef économiste de la société de commerce de métaux précieux Degussa Goldhandel. « Les entreprises agricoles auraient des difficultés à financer leurs investissements », ce qui ferait encore augmenter les prix, selon M. Polleit.
La recherche scientifique est divisée sur un éventuel lien de cause à effet entre les Bourses agricoles et la hausse des prix alimentaires. « La plupart des études concluent que les investisseurs ne sont pas à l'origine des mouvements des prix mais qu'ils renforcent la tendance, à la hausse comme à la baisse », dessinée en fonction de l'offre et de la demande, explique Manfred Schöpe, spécialiste du secteur agricole à l'institut Ifo de Munich (sud). Sur le long terme, d'autres facteurs influencent les prix agricoles, comme l'accroissement de la population mondiale, des changements d'habitudes alimentaires à grande échelle ou la raréfaction des terres cultivables, rappelle-t-il.
Le ministre allemand du Développement, Dirk Niebel, a profité de la polémique sur la flambée des cours agricoles pour proposer dernièrement d'interdire la vente du biocarburant E10, au motif que sa production se ferait aux dépens des ressources pour l'alimentation humaine. « Mais ce biocarburant est surtout peu apprécié des automobilistes allemands, car ils redoutent qu'il ne nuise... à leur moteur », rapporte l'AFP.
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