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Interview de Bruno Le Maire

« Donnons à l'agriculture française les moyens de repasser à l'offensive » (VIDEO)

Publié le jeudi 20 janvier 2011 - 18h36

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Bruno Le Maire, ministre de l'Agriculture (01-2011). Photo : J.-C. Grelier

La France Agricole : Vu les tensions sur les stocks et l'évolution des cours, doit-on envisager de limiter les exportations de céréales et faut-il renforcer nos capacités de stockage ?

Bruno Le Maire : A la première partie de la question, ma réponse est « non ». C'est une décision qui relève de l'Union européenne. En revanche, je pense qu'il faut que chacun ait conscience de la gravité de la volatilité des prix des céréales. Elle est insupportable pour tous. D'abord pour les paysans. Je l'ai vu dans ma circonscription (ndlr : dans l'Eure), un certain nombre de céréaliers eux-mêmes sont préoccupés par cette volatilité qui les empêche d'avoir une visibilité satisfaisante sur leurs revenus. C'est un problème pour les filières les plus fragiles du monde agricole. Je pense en particulier à la filière animale qui ne peut pas supporter l'augmentation des coûts de l'alimentation. C'est aussi un problème pour tous les Français. Nous aurons une répercussion de cette hausse du prix des matières premières sur les prix alimentaires, au premier rang desquels le prix de la viande, de la baguette et des pâtes. Ce sont des produits de première nécessité qui vont augmenter en 2011 et cela constitue un problème politique plus général. Il est source d'instabilité dans des pays qui ne peuvent pas faire face à leurs besoins d'approvisionnement, à cause de prix trop élevés. En résumé, il existe un problème de prix mais pas un problème de stock.

 

Des relations contractuelles entre les filières céréalières et d'élevage, autour de l'alimentation animale, sont-elles envisageables ? Pouvez-vous légiférer ?

Il ne faut pas simplement les envisager, il faut les faire rapidement. Le 6 janvier, j'ai réuni la filière animale et la filière végétale pour commencer à travailler sur des contrats entre les deux filières. Je leur ai demandé de réfléchir à un projet de contrat. J'ai fixé le 15 février comme date pour la remise de ces travaux. Si les filières n'y arrivent pas, l'Etat prendra ses responsabilités et l'Etat prendra ses responsabilités avant la fin du premier semestre, conformément aux engagements du président de la République. Ce n'est pas moi qui vais vite, ce n'est pas moi qui pousse les feux, c'est l'actualité qui nous amène à réagir rapidement. Le monde n'attend pas.

 

Ne se préoccupe-t-on pas plus de la régulation quand les cours des céréales crèvent le plafond que quand ils sont au fond de la cave ?

Non. Il n'y a pas eu d'absence de réaction quand le blé était à 110 euros la tonne, puisque j'ai réuni le comité de suivi des céréales. De plus, vous ne m'avez pas entendu dire que les céréaliers étaient dans une situation très satisfaisante. Je sais bien que les rendements ne sont pas partout les mêmes en France. Dans ma seule circonscription, ils peuvent varier du simple au double. Enfin, j'ai conscience que le coût des intrants est de plus en plus élevé et a un impact évident sur le revenu. Simplement, sur les quinze dernières années, la volatilité s'est aggravée avec des cycles plus courts et des amplitudes plus fortes, passant de 20 ou 30 % à 300 %. Cette volatilité-là est inacceptable. A l'origine, il se trouve toujours des problèmes physiques : sécheresse en Russie, puis inondations en Australie et ensuite perspectives de récoltes plus faibles en Amérique du Sud. La deuxième explication importante, et à laquelle on peut remédier facilement, concerne l'absence de transparence sur les stocks. Il est urgent que nous ayons davantage d'informations sur les stocks mondiaux et régionaux. Troisième élément : les variations sont accentuées par les spéculations financières sur les produits agricoles. C'est quelque chose de nouveau qui doit être impérativement encadré et nous devons lutter contre cela. C'est l'objectif qu'a fixé le président de la République dans le cadre du G20. Les investisseurs se sont détournés des produits immobiliers et des produits financiers qui étaient devenus des produits trop risqués pour s'intéresser aux produits agricoles.

 

Concernant la viande bovine, n'êtes-vous pas déçu par les premières conclusions de l'Observatoire sur les prix et les marges entre la transformation et la distribution ?

C'est un rapport préliminaire. Ce rapport dit que personne ne s'en est mis plein les poches et qu'il n'y a pas de cagnotte cachée dans la poche des distributeurs ou des industriels. Philippe Chalmin, le président de l'observatoire, estime en première analyse que l'augmentation de la marge d'un peu plus d'un euro a été absorbée par les nouvelles règles sanitaires, que ce soit le paquet sanitaire européen ou de nouvelles règles sanitaires à la suite de la crise de la vache folle. Mais j'attends ses conclusions définitives. Deuxième conclusion très claire : les seuls dont on est sûr qu'ils n'ont vraiment rien gagné dans l'affaire depuis quinze ans, ce sont les éleveurs de bovins. Eux n'ont pas pu répercuter cette hausse de la marge sur leurs revenus. La troisième conclusion que j'en tire est très simple : il n'y a pas de solution magique et cette solution ne passera pas par une cagnotte cachée dans laquelle on irait puiser pour améliorer le revenu du producteur. Je ne vais pas mentir en disant : « Il y a plein d'argent chez le distributeur, plein d'argent chez l'industriel, je vais le prendre et vous le donner. » Cela me rendrait certainement très populaire, mais ce serait mentir. La vraie solution passe surtout par l'amélioration de la compétitivité de l'ensemble de la filière bovine et sur ce point-là je suis prêt à apporter mon aide.

 

Comment comptez-vous aider les producteurs à gagner en compétitivité ?

Gagner en compétitivité, c'est réduire le coût de production, notamment à travers la mise aux normes des bâtiments et l'amélioration de la performance énergétique. Si j'ai demandé au président de la République de mettre en place des plans de développement pour 300 millions d'euros sur trois ans, c'est notamment pour aider à financer ces mises aux normes et soutenir une réduction des dépenses d'énergie dans les bâtiments d'élevage. Deuxième bataille sur la compétitivité : celle qui va toucher l'offre du produit. Il va falloir se poser la question du type de carcasse que l'on souhaite pour dégager un meilleur revenu. Autre élément permettant de structurer l'offre : mieux évaluer les carcasses grâce aux machines à classer. Les délais de mise en place que j'ai fixés devront être respectés. Il faut aussi réfléchir à des contrats. Il n'y a pas de raison pour que la filière bovine soit la seule à ne pas avoir de dispositifs contractuels qui permettent de stabiliser le revenu, notamment sur les jeunes bovins. Posons-nous aussi la question de la compétitivité de nos abattoirs. Il en existe 286 en France au total. On sait bien que c'est une des raisons de l'écart avec l'Allemagne. Cela n'interdit pas d'avoir des abattoirs de proximité compétitifs, au contraire. Ne faut-il pas enfin organiser l'offre par bassins plutôt que d'avoir à chaque fois une approche très locale ? Est-ce que cela ne permettrait pas au producteur de mieux s'y retrouver ?

 

La viande bovine fait l'objet de nombreuses attaques, quelles sont vos réactions ?

Je suis choqué par ces attaques. On serait bien avisé de prendre conscience de leur gravité et de l'impact qu'elles peuvent avoir sur la consommation des produits. Il faut savoir y répondre. Je suis déterminé à le faire par une campagne d'information sur la viande bovine qui fait partie de notre équilibre alimentaire et qui doit être défendue comme tel.

 

Comment voyez-vous l'avenir des aides à la production bovine ?

La filière bovine ne s'en sortira pas sans le maintien de l'aide européenne. Parce que nous demandons à notre filière bovine d'obéir à des règles sanitaires, environnementales, de bien-être animal qui sont uniques au monde et qui ont un coût ne pouvant être supporté par le seul prix, par le consommateur. Donc, nous avons besoin non seulement de prix pour les producteurs mais aussi de primes.

 

Les négociations avec le Mercosur n'ouvrent-elles pas une nouvelle brèche ?

Le président de la République l'a dit clairement en Alsace : nous refusons que l'agriculture soit la variable d'ajustement des négociations commerciales européennes. Je ne vais pas faire tout ce travail avec l'interprofession bovine pour améliorer la compétitivité de notre filière bovine si c'est pour ouvrir tout grand nos frontières aux pays du Mercosur. Je ne suis pas favorable à la conclusion d'un accord déséquilibré entre l'Union Européenne et le Mercosur, et je suis totalement défavorable à un accord qui se ferait sur le dos des producteurs. Il y a une règle qui est toute simple et essentielle à mes yeux, c'est celle de la réciprocité. Vous ne pouvez pas demander aux éleveurs de respecter des règles sanitaires, environnementales et de bien-être animal si vous n'avez pas la garantie à 100 % que les produits que vous importez respectent 100 % de ces règles avec 100 % de contrôles identiques à ceux pratiqués en Europe.

 

La consommation de viande rouge est assez liée au pouvoir d'achat. A ce titre, voyez-vous des signes de reprise ?

Là encore, il faut se battre sur tous les fronts, y compris sur celui des exportations. J'ai rouvert le marché avec la Russie, vous savez qu'il y avait une barrière sanitaire et un véritable embargo mis en place par les autorités russes, qui n'avait aucune motivation. Nous avons eu des échanges vifs avec mon homologue russe pour arriver à lever cette barrière. On l'a obtenu à l'occasion de la visite de François Fillon en Russie lors d'un entretien avec M. Poutine. Donc, c'est bien la preuve qu'au plus haut niveau de l'Etat, on se bat pour lever les barrières et ouvrir les marchés à l'exportation. Je l'ai fait sur le Kazakhstan il y a quelques jours, je le ferai pour l'Algérie où il existe une difficulté particulière en ce moment. Ne faisons pas croire aux producteurs qu'il y a une solution miracle qui permettrait en quelques jours d'améliorer la situation. C'est possible si on se bat ensemble et non les uns contre les autres, producteurs contre industriels, industriels contre distributeurs, sans arriver à trouver de solution commune.

 

Que vous inspire la démarche de la filière de la viande qui porte plainte contre le dumping social allemand ?

Qu'il y ait un problème sur les différences du coût du travail en Europe, c'est une évidence. Le président de la République a décidé l'exonération totale de charges patronales dues à la Mutualité sociale agricole sur le travail occasionnel dans l'agriculture. Je précise que c'est le seul secteur économique en France qui soit exonéré totalement de toutes charges pour le travail occasionnel. Cela représente un demi-milliard d'euros de dépenses budgétaires par an. C'est un effort considérable. La solution à long terme passe par une harmonisation sociale en Europe. J'attends pour juillet le rapport demandé par la loi de modernisation sur le coût du travail permanent et j'examinerai avec beaucoup d'attention les propositions qui me seront faites sur ce sujet. Pour le reste, je n'ai pas à commenter l'initiative des producteurs. Ils mettent en tout cas le doigt sur un point important de compétitivité, le coût du travail qui est une bataille essentielle à mes yeux.

 

Vous avez demandé à Bruxelles la constitution d'un groupe à haut niveau sur la production porcine : pensez-vous que cela permettra à ce secteur de sortir la tête de l'eau à court terme ?

Là encore, une amélioration de la compétitivité et une diminution des coûts de production des producteurs passent par un regroupement des exploitations pour leur permettre d'être plus compétitives. Soyons cohérents, vous ne pouvez pas demander aux gens d'être plus compétitifs et puis d'un autre côté leur mettre des bâtons dans les roues quand ils veulent se regrouper pour être plus compétitifs. C'est pourquoi le décret relatif aux conditions de regroupement et de modernisation des installations classées d'élevage vient d'être publié au Journal officiel : il permet de simplifier considérablement les procédures en cas de regroupement d'élevages, et que pour les dossiers d'autorisations, ces dernières soient désormais accordées en un an, et non plus en deux ou trois ans comme auparavant. De plus, dans le plan de développement de 300 millions d'euros sur trois ans, il y a une enveloppe de 60 millions d'euros pour accompagner les mises aux normes des exploitations porcines.

Autre point qui me paraît important : valoriser la viande de porc française. Je me félicite que l'interprofession ait trouvé un accord sur le label VPF non seulement pour les produits non transformés, mais aussi pour les produits transformés, ce qui veut dire que la charcuterie a joué le jeu. Cela n'exclut pas d'avoir une réflexion européenne qui a démontré son efficacité dans le secteur laitier. En faisant bouger les lignes, on a obtenu de la Commission le « paquet lait » qui comprend pour une modification du droit de la concurrence grâce à ce groupe à haut niveau. Personne ne s'attendait à des conclusions pareilles.

 

Est-ce que vous pouvez nous préciser comment vont être utilisés les fonds dont vous avez annoncé le déblocage au Space ?

Les 300 millions seront affectés notamment à la modernisation des bâtiments d'élevage, à la mise aux normes et au soutien à des campagnes de promotion. Je garde les enveloppes très ouvertes selon les besoins.

 

Allez-vous donner une impulsion aux projets de biogaz dans les élevages ?

On a pris beaucoup de retard sur la méthanisation par rapport à l'Allemagne. Chacun en porte la responsabilité, y compris les pouvoirs publics. Nous avons des démarches administratives trop compliquées sur la méthanisation. Par ailleurs, le tarif de rachat du biogaz n'est pas assez élevé. Je compte bien profiter du moratoire annoncé par le Premier ministre sur les installations photovoltaïques pour demander une augmentation des tarifs de rachat du biogaz. L'Allemagne compte plus de 4.000 installations de méthanisation contre une poignée en France. Il est indispensable de développer cela rapidement parce que ce sera à la fois un complément de revenu pour les producteurs et une solution environnementale beaucoup plus satisfaisante.

 

A force de vouloir faire trop parfaitement ne finit-on pas par tout freiner ?

Les raisons qui expliquent qu'il n'y ait pas de décollage de la méthanisation sont le tarif de rachat beaucoup plus bas qu'en Allemagne et la répartition faite entre photovoltaïque d'un côté et biomasse-biogaz de l'autre. On a défavorisé le biogaz : c'est une erreur qui doit être corrigée. Je défends cette position auprès du Premier ministre. C'est un investissement lourd, entre 800.000 et un million d'euros, si vous voulez que ce soit rentable il faut des tarifs de rachat plus élevés.

 

Vous dites « profitons du moratoire sur le photovoltaïque », cela veut dire qu'on ne pouvait pas faire les deux à la fois : solaire et biogaz ?

Le choix très marqué en faveur du photovoltaïque avait sa pertinence. Mais on s'est aperçu qu'en matière de finances publiques les choses n'étaient pas soutenables. Par ailleurs, s'agissant d'agriculture, autant je suis favorable au développement des panneaux photovoltaïques sur les vrais hangars agricoles autant je suis défavorable à la création d'immenses champs photovoltaïques sur des terres agricoles désaffectées. On a un problème de foncier agricole qui est un problème majeur en France, en Europe et dans le reste du monde. Ce n'est pas le moment, alors qu'il n'y a plus assez de terres agricoles, de développer des champs de panneaux photovoltaïques.

 

Le président de la République vous a missionné pour lui faire des propositions dans le cadre de la présidence française du G20, en matière de régulation. Dans quelle direction allez-vous travailler ?

La production agricole est une question stratégique mondiale et elle a été traitée comme une question de second rang pendant des années. C'est une bonne chose que pour la première fois elle soit traitée au plus haut niveau des chefs d'Etat, au même titre que la spéculation financière, que la prolifération nucléaire ou d'autres sujets très sensibles. En plusieurs mois, on a beaucoup progressé. Chacun voit bien qu'à force de répéter les mêmes choses on commence à comprendre que, oui, la production agricole est un sujet stratégique mondial. Est-ce que le G20 est légitime pour traiter de cette question ? La réponse est clairement oui. Les pays du G20 représentent 80 % des échanges commerciaux de produits agricoles, 70 % des terres cultivées dans le monde. La volatilité est une question qui n'a jamais été traitée depuis la création de ces enceintes internationales : G20, G8... Je compte avancer dans trois directions que j'ai proposées à nos partenaires chinois, indiens, américains, russes.

Première idée : il faut de la transparence sur les stocks, l'absence de transparence nourrit la spéculation. Quand vous ne savez pas ce qui reste au fond du seau, tout le monde spécule sur le fond du seau.

Deuxième élément important : il faut une coopération entre les membres du G20. Est-il normal que l'un des premiers producteurs de céréales au monde, la Russie, lorsqu'elle a une difficulté, décide de fermer ses frontières à l'exportation entraînant une flambée subite des cours du blé sans que personne ne soit informé préalablement ? Il faut changer cela.

Troisième élément de réflexion : il faut encadrer les marchés agricoles et leur fixer des règles. Il ne s'agit pas de nier la réalité des marchés, mais d'être mieux informé, et de mieux contrôler les acteurs qui interviennent sur ces marchés. Il n'est pas normal qu'il y ait une minorité d'acteurs agricoles et une grande majorité d'investisseurs qui n'ont rien à voir avec l'agriculture. Est-ce qu'il ne faudrait pas encadrer davantage les contrats de gré à gré ? C'est une autre question que nous posons. Nous sommes dans les balbutiements de cet encadrement des marchés agricoles.

 

Les Américains pourtant taxés d'ultralibéraux ont un système de régulation quand même plus abouti que le nôtre ?

Le paradoxe, c'est comme toujours : l'Europe a un train de retard sur les Etats-Unis en matière de régulation de ses marchés agricoles. Un dispositif a été adopté aux Etats Unis, l'Europe ne s'est pas dotée d'instruments semblables.

 

Concernant l'avenir de la Pac après 2013, comment la France peut-elle militer pour une Pac forte alors qu'elle n'est pas prête à débourser plus ?

Nous avons réussi à inverser totalement la tendance, au prix d'un travail acharné et de nombreux déplacements auprès de nos partenaires, en particulier allemands. L'idée de la libéralisation a été remplacée par celle de régulation dont tout le monde discute. Je ne dis pas que tous les pays sont d'accord sur ce qu'on met derrière ce mot. Je dis simplement qu'il y a consensus aujourd'hui sur le fait que la régulation remplace la libéralisation à outrance. Ce n'est pas une mince victoire. Ensuite, depuis le 14 septembre dernier, une position commune sur la Pac a été trouvée entre la France et l'Allemagne, qui est le meilleur rempart contre tous ceux qui voudraient affaiblir la politique agricole commune. Certes, il y a des difficultés budgétaires, un problème de dette important en Europe et c'est pour cela qu'il faudra faire aussi bien, voire mieux avec des ressources identiques. Le budget de la Pac doit être préservé, avec des moyens à la hauteur de nos ambitions en matière agricole.

 

Si on reste à budget constant, il y aura donc des arbitrages ?

Nous verrons quels seront les arbitrages. Nous en discutons avec la Commission et le Parlement européens, avec les parlementaires français et mes homologues européens. L'important pour moi, c'est déjà de préserver l'enveloppe.

 

En matière de rééquilibrage des aides, jusqu'où peut-on aller à l'échelon national et, a fortiori, à l'échelle européenne ?

Le président de la République a dit que nous étions prêts à revenir sur les références historiques, parce que c'est une question de justice en Europe et une question de légitimité des aides. Il faut faire très attention : si nous voulons que nos positions soient fortes, il faut qu'elles soient justes. Si j'étais resté les deux pieds dans le même sabot à continuer à défendre les quotas laitiers et les vieilles lunes dont plus personne ne veut, je n'aurais pas été écouté. Le fait d'avoir bougé sur les références historiques nous a permis d'avoir par exemple la Hongrie, la Slovénie et d'autres pays avec nous. Par ailleurs, j'ai dit que j'étais prêt à accepter l'idée de verdissement de la Pac. Simplement, comme je l'ai déjà précisé, il y a un verdissement intelligent et un verdissement stupide. Le verdissement intelligent que je défends passe par une simplification des règles qui sont aujourd'hui trop complexes et trop lourdes pour les agriculteurs. Il passe également par une valorisation des agriculteurs et pas par une nouvelle stigmatisation. Le verdissement stupide, c'est l'accumulation de contraintes avec des règles administratives incompréhensibles et une nouvelle mise en accusation des agriculteurs. Je m'y opposerai farouchement. A partir du moment où nous avons déjà bougé sur un certain nombre de sujets et fixé les lignes de négociation, celle-ci peut commencer au milieu de l'année 2011. Nous attendons les propositions législatives de la Commission, le rapport du Parlement européen et nous nous exprimerons sur la base de ces propositions.

 

L'idée de remplacer la sacro-sainte PMTVA par une politique de l'herbe plus consistante fait son chemin. Qu'en pensez-vous ?

Si on trouve un autre système qui valorise davantage l'élevage à l'herbe, qui est spécifique de la France et de l'Europe, tant mieux. Simplement, je ne veux pas que les agriculteurs soient perdants. C'est un point capital et toute proposition qui nous amènerait à abaisser le revenu des éleveurs s'opposerait à un « niet total » de ma part.

 

Les agriculteurs craignent de se retrouver avec une conditionnalité renforcée. Va-t-on effectivement dans cette direction ?

Je ne suis pas favorable à des règles de conditionnalité toujours plus strictes, examinées de manière tatillonne et trop complexes à mettre en œuvre. Pour autant, le cap d'une agriculture durable ne changera pas. D'abord, parce que les agriculteurs ont fait des efforts considérables pour avancer dans ces directions-là et que ce serait les remettre en cause. Ensuite, parce qu'il y a une attente sociale très forte. C'est le cas par exemple en Bretagne, avec les algues vertes et il faut y répondre... On se doit d'être à l'écoute non seulement des 20 millions de paysans européens mais aussi des 500 millions de consommateurs. Ces règles sont souvent difficiles à mettre en œuvre pour les agriculteurs, parfois complexes et ont souvent un coût économique. Et donc il faut laisser aux agriculteurs le temps de les digérer avant de remettre de nouvelles règles ou de nouvelles normes. C'est pour cela que j'ai demandé une nouvelle méthode dans la mise en œuvre des règles environnementales – le président de la République s'était exprimé sur ce sujet au dernier au Salon de l'agriculture – et je souhaite maintenant que l'on laisse du temps aux agriculteurs de mettre en œuvre toutes les dispositions du Grenelle, mais rien que les dispositions du Grenelle.

Ensuite, il y a la question de l'harmonisation des règles en Europe. Il faut que les règles soient les mêmes pour un producteur français, que pour un producteur allemand, italien, espagnol... Vous ne pouvez pas demander à un producteur français de faire plus que son voisin et en même temps lui demander de faire moins cher.

Enfin, il n'est pas interdit par moment d'être un peu pragmatique dans l'application des règles et de tenir compte d'une situation locale, de regarder activement les difficultés qui peuvent se poser dans l'application de la loi sur l'eau, qui est une bonne loi. Dans le Sud-Ouest, un tout petit peu d'intelligence dans la mise en œuvre de ces dispositions, dans la mise en place des retenues collinaires et autres, permet de régler le problème. L'eau est une question cruciale pour les agriculteurs du Sud-Ouest. 

 

On a l'impression que les contrats sont un peu l'alpha et l'oméga de votre politique. N'y va-t-on pas à marche forcée ?

Ma politique, c'est la défense de l'agriculture française et elle passe par l'offensive. J'estime qu'en matière d'agriculture, on n'a pas assez été à l'initiative en France au cours des dernières années. On s'est un peu reposé sur nos lauriers, moyennant quoi, nous avons été dépassés par l'Allemagne. Nous avons connu des heures très difficiles pour notre balance commerciale. Il faut gagner sur la compétitivité, sur les marchés à l'exportation, sur la valorisation de nos produits, sur la défense des agriculteurs, sur la défense de notre modèle alimentaire et nutritionnel pour préserver la consommation de viande. Il faut être à l'offensive. Dans cette offensive, les contrats jouent effectivement un rôle important. Ce n'est pas l'alpha et l'oméga de ma politique. Simplement, je ne souhaite pas perdre de temps. Pourquoi ? Parce que les contrats sont à ce jour la seule solution qui permette de stabiliser le revenu des agriculteurs. Je vois bien que la volatilité des revenus et la variation des revenus est le problème numéro un qui se pose à eux.

J'ai lu attentivement les discours passés. J'ai vu que parfois on avait eu tendance à dire aux paysans français « ça va mieux, ne vous inquiétez pas ». C'est parce que ça va mieux, qu'il faut mettre en place des instruments qui vont vous couvrir contre ces risques.

Donc je souhaite que pour le lait, les contrats soient à la disposition des agriculteurs pour la prochaine campagne. Sinon, que se serait-il passé ? On aurait abordé la prochaine campagne laitière sans les contrats. Si les prix du lait s'effondrent, qu'est-ce que je réponds aux producteurs ? Il n'y a pas de temps à perdre. On va le faire aussi pour les fruits et légumes. 1er mars, 1er avril : contrat pour les fruits et légumes, contrat pour le lait.

Je mets cela à la disposition des producteurs. L'obligation ne pèse que sur les industriels ou sur les négociants pour les fruits et légumes. Les producteurs font ce qu'ils veulent. Je n'empiète pas sur leur liberté. Bien au contraire, je mets à leur disposition des droits nouveaux.

 

Pour les fruits et légumes, les producteurs rétorquent qu'il est difficile de s'engager sur des volumes, vu le caractère très aléatoire de la production.

Il ne m'a pas échappé que dans ce domaine on ne pouvait avoir une certitude sur la production, raison pour laquelle il est prévu d'en contractualiser qu'une partie, au choix du producteur, en fonction de ce qu'il estime pouvoir faire et ne pas faire.

 

Quel est le schéma de sortie de quotas et avant cela de la période transitoire ?

Ma responsabilité, ce n'est pas de défendre les quotas dont plus personne ne veut en Europe mais de préparer les producteurs de lait à la sortie des quotas en 2015. La réalité, c'est que la France est en sous-réalisation chronique de ces quotas, de 5 % environ. L'Allemagne est en surréalisation, de 3 à 4 % environ. Pour parler simplement, on peut continuer à se faire tondre la laine sur le dos !

Notre intérêt national est de réaliser nos quotas. Pour ça, il faut gérer les choses différemment. La gestion par département, trop étroite, a montré ses limites. La gestion par bassin doit permettre de mieux nous organiser, de gagner là aussi en termes de coûts de production, de valoriser la production française et d'en finir avec la sous-réalisation chronique. Dans la chaîne alimentaire, ceux qui sont les plus faibles sont les producteurs et il est de la responsabilité publique de les défendre. C'est pour ça que je souhaite que les producteurs puissent mieux s'organiser. S'ils sont tous seuls à négocier face à l'industriel, ils auront du mal à négocier des prix satisfaisants. S'ils sont plus nombreux, ils y arriveront.

Ça fait un an que je me bats pour une modification du droit de la concurrence européen, pour permettre justement aux producteurs de se regrouper et de négocier collectivement avec l'industriel. J'ai obtenu cette modification. C'est la première fois que le droit de la concurrence européen est modifié depuis des années et il l'est dans le secteur agricole. Désormais, les producteurs auront le droit de se regrouper jusqu'à ce qu'ils représentent 3,5 % de l'offre totale de lait européen. Ça veut dire que plusieurs milliers de producteurs français pourront se rassembler en organisation de producteurs pour négocier avec les industriels. Cela change totalement le rapport de force et ça répond à la question du prix qui est derrière les contrats.

Je souhaite que le décret sur les organisations de producteurs ne sorte que lorsque la législation européenne sera définitivement adoptée. Aujourd'hui, le principe est acquis, les producteurs pourront se regrouper mais il faut que le texte législatif européen soit adopté, c'est-à-dire à la fin de 2011. Ça ne sert à rien de sortir un décret maintenant si c'est pour le modifier dans six mois. Je précise au passage que cela n'empêche pas les producteurs de commencer à se regrouper dans le cadre des règles existantes.

 

Ce décret, quel cadre donnera t-il ?

Il permettra aux producteurs de se regrouper en organisations de producteurs non commerciales car pour les OP commerciales il n'y a pas de problème, les règles de concurrence ne s'appliquent pas puisqu'il y a transfert de propriété. Et pour les organisations de producteurs non commerciales, c'est un décret qui fixera le nombre de producteurs qui pourront se regrouper pour négocier avec les industriels. On arrivera à des chiffres qui se compteront en milliers de producteurs.

 

La réglementation sur la coexistence entre OGM et non OGM va t-elle sortir ?

Il y a une volonté de la Commission de transférer la responsabilité de cette autorisation des OGM aux Etats membres. J'y suis comme Nathalie Kosciusko-Morizet totalement opposé car ça serait une régression européenne. Concernant la question des produits étiquetés sans OGM, je souhaite que cet étiquetage soit le fait des pouvoirs publics et pas des enseignes commerciales. Donc je veux que l'on fixe des règles. C'est pour cela que j'ai travaillé avec la ministre de l'Environnement sur un projet de décret. Il est actuellement soumis au Conseil des biotechnologies qui rendra son avis. Lorsque nous l'aurons, nous sortirons le décret.

 

Votre credo semble celui du tout-internet pour les démarches administratives. Mais il y a encore des agriculteurs qui n'ont pas le haut débit et qui risquent d'êtres mis hors jeu ?

La télédéclaration, ça marche et ça répond à une vraie attente. Pour preuve, la progression de 30 à 40 % en l'espace d'un an. Pour que ça fonctionne, il faut avoir accès à l'internet et j'ai tout à fait conscience qu'il y a beaucoup de points du territoire où cela pose un problème aux agriculteurs. Je souhaite que l'on puisse accélérer les choses sur l'accès au haut débit ou très haut débit. Cela explique aussi pourquoi  je suis favorable à une approche de couverture totale du territoire. C'est un moyen de désenclavement très important.

 

Y a-t-il un virage gouvernemental sur le bio ?

Sur le bio, je veux tordre le cou à certaines contrevérités que j'ai lues. Le soutien des pouvoirs publics au développement du bio ne cesse de s'accroître année après année. On est passé de 85 millions d'euros de dépenses publiques en 2009 à 100 millions d'euros en 2010, toutes aides publiques confondues. Le montant total de subvention dont peut bénéficier une exploitation en bio aujourd'hui en France reste rigoureusement le même, c'est 4.000 euros par exploitation. On a simplement réajusté les choses, en permettant de cumuler l'aide européenne et l'aide française. C'est parce que l'on a permis ce cumul que le crédit d'impôt est un peu moins élevé. Il ne m'a pas échappé que ça pouvait poser un problème pour un certain nombre de petites exploitations, notamment dans le maraîchage. J'essaierai d'apporter des solutions dans les jours à venir.

Les résultats sont là. On a environ quatorze conversions bio ou installations en bio par jour. Les choses progressent et tant mieux puisqu'il y a un marché et qu'il n'est pas question de le laisser à des pays voisins.

 

Y.H., E.M., P.P.

 

 


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