L'Inde, longtemps importatrice, rejoint cette année les grands exportateurs de blé, faisant jeu égal avec l'Ukraine, à la faveur de récoltes en forte hausse et d'une conjoncture mondiale tendue.
Avec 94 millions de tonnes (Mt), l'Inde, deuxième producteur mondial de blé derrière la Chine, s'apprête cette année à exporter 5 Mt de blé, selon le Conseil international des céréales (CIC, basé à Londres), alors qu'elle luttait encore récemment pour l'autosuffisance ou devait même parfois importer. La dixième puissance économique mondiale comptait encore, en 2011, quelque 400 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté.
« Vu le taux de croissance des surfaces en blé et celui des rendements, de 2,2 % et 2,4 % par an sur les cinq dernières années, l'Inde pourrait très bien continuer de s'imposer parmi les grands exportateurs et devrait représenter 4 à 6 % des exportations mondiales dans les cinq ans », parie Christopher Narayanan, spécialiste des matières première agricoles à la Société générale à New York. Et cela, « même si elle continue de privilégier sa consommation intérieure qui ne cesse de croître, elle aussi, d'environ 1,9 % chaque année », ajoute-t-il. Les habitudes alimentaires indiennes, surtout en ville, s'occidentalisent et la consommation de pain et de pâtes s'ajoute à celle des traditionnels nan et chapatti (la galette et le pain traditionnels).
L'Inde a commencé à exporter du blé en 2011, après un embargo de quatre ans destiné à protéger les approvisionnements nationaux, rappelle Vedika Narvekarun, analyste de la société Angel Broking, à Bombay, qui voit également son pays « s'imposer pour quelques temps parmi les principaux acteurs ».
Sur ce point, les observateurs sont divisés : s'agit-il là d'une saison exceptionnelle, avec des stocks bien garnis, d'un « one shot » ?, comme le pense Leandro Pierbattisti, analyste argentin spécialiste des marchés internationaux à France Export Céréales, qui penche plutôt pour un effet conjoncturel.
L'envolée des prix mondiaux est, il est vrai, incitative : depuis 2000, la tonne de blé est passée de moins de 130 euros à près de 270 aujourd'hui, avec des poussées de fièvre en 2007-2008, 2010 et de nouveau en août dernier.
Simultanément, la production mondiale est en baisse cette saison, avec de graves déficits autour de la mer Noire (-44 % en Russie, -36 % en Ukraine, -53 % au Kazakhstan), grande région exportatrice en proie à la sécheresse, comme le centre et le sud des Etats-Unis.
Augmentation de la demande mondiale, notamment des grands émergents, et multiplication des aléas climatiques : tout concourt à tirer les cours vers le haut.
Précisément, relève Vedika Narvekar à Bombay, « le blé indien s'avère compétitif sur le marché international, 5 à 6 % moins cher que celui de Russie ou d'Ukraine autour de 305 USD la tonne » (240 euros environ). « Les récoltes de 2012 sont un peu moins importantes que celles de 2011, année record, mais elles ont été plus mauvaises ailleurs », résume Michel Ferret, responsables des marchés à l'organisme public FranceAgriMer.
Outre les excédents bien réels, cet expert fait aussi valoir « les faibles capacités de stockage » qui, selon lui, incitent l'Inde à vendre rapidement une production qui se dégrade. D'ordinaire, elle commerce surtout avec les marchés de proximité, le Bengladesh, le Pakistan, l'Asie du Sud. Mais cette année, « avec le ralentissement général de l'économie et le nombre de cales vides, les tarifs du fret maritime sont très bas », note Michel Ferret.
On retrouve ainsi du blé indien en Afrique de l'Est, en Tanzanie, au Kenya, en Ouganda, et il est même possible qu'elle ait vendu aussi dans le bassin méditerranéen, poursuit-il. L'Iran même aurait passé commande, indique Leandro Pierbattisti. Un échange sous forme de « troc, du type blé contre pétrole » avec Téhéran, affecté par les sanctions économiques et financières internationales. Ce que le vice-ministre iranien du Commerce, Abbas Ghobadi, a pris la peine de démentir au début de novembre : « L'Iran n'a pas importé du tout de blé d'Inde ni du Pakistan, et il n'y a eu aucune importation de blé contre du pétrole », a-t-il assuré.