Un rapport ministériel (1) confirme le bien-fondé scientifique et technique du plan d'action gouvernemental de 2011 contre la prolifération des algues vertes en Bretagne, centré sur la réduction des flux d'azote d'origine agricole.
En revanche, il souligne que la responsabilité de cette prolifération des algues vertes ne peut « être imputée aux seuls agriculteurs d’aujourd’hui ». En effet, affirme le rapport, « les caractéristiques de la situation bretonne actuelle, et notamment les accumulations importantes de phosphore en zone littorale – qui alimentent les ulves et expliquent le caractère inopérant d’une action éventuelle sur les flux de cet élément – résulte de l’action de multiples acteurs pendant plusieurs décennies ».
Ce rapport, rédigé par le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) du ministère de l'Ecologie et par le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) du ministère de l'Agriculture, bouclé en mars 2012 et diffusé le 22 mai, a été commandé dans le contexte conflictuel de la responsabilité de l'agriculture bretonne sur la prolifération des algues vertes dans ses bassins côtiers.
Une caution scientifique par trois experts
Il a été soumis, pour sa partie faisant le « bilan des connaissances scientifiques » sur le sujet, à un comité de lecture composé de « trois chercheurs internationalement reconnus, qui l'ont validé dans leurs domaines respectifs de compétences ».
La mise en oeuvre du plan de lutte gouvernemental de 2011, qui consiste en une réduction « drastique » des nitrates dans les eaux, « est rendue difficile du fait des interrogations qui sont formulées au sujet des principaux paramètres critiques retenus par les expertises scientifiques (IFREMER, CEVA, INRA...) mobilisées pour fonder l'action publique, rappellent les auteurs du rapport. Ces interrogations sont exprimées par le monde agricole, lui-même directement concerné par l'objectif de réduction des rejets azotés dans les cours d'eau, elles sont construites sur une mise en cause de la fiabilité technique et scientifique de ces expertises, ce qui interpelle les pouvoirs publics. »
La mission a donc passé en revue « les facteurs de l’environnement contribuant à la croissance des algues vertes et dont la modification permet d’expliquer le phénomène de leur développement massif ».
Ils en concluent qu'aucun des facteurs physiques (lumière, température, pluviométrie, hydrodynamique côtière) comme biologiques et écologiques (espèce d’ulve, faune herbivore, effet des perturbations comme les marées noires) n’a connu d’évolution marquée pouvant expliquer de telles proliférations. « Par contre, parmi les facteurs chimiques, les apports au milieu marin d’azote et de phosphore (ceux de silicium étant restés stables) sont impliqués fortement : ils ont augmenté de façon considérable à partir des années 1960 et leur concentration s’est accrue dans les zones de prolifération d’ulves », précise le rapport.
Réduire sans attendre les flux d'azote agricole, agir à plus long terme sur le phosphore
Mais c’est bien « l’action sur les apports d’azote qui est la plus efficace et la plus efficiente pour éradiquer le phénomène du "bloom" algal en zone côtière », indique-t-il. En effet, « la part agricole représente au moins 90 % des apports azotés et ne semble pas régresser. Elle est de 50 à 60 % pour le phosphore, en croissance relative du fait des efforts en cours sur les réseaux d’assainissement, précise le document. Il apparaît donc que la réduction des apports azotés liés aux activités agricoles et d’élevage reste l’objectif le plus pertinent pour limiter la prolifération des algues vertes ».
Dit d'une autre manière, la mission considère que, « dans les conditions de la Bretagne », une action sur les apports azotés « s’avère indispensable et potentiellement efficace pour maîtriser les proliférations d’ulves à court terme », alors qu'une action « centrée uniquement sur le phosphore serait au contraire peu efficace à court et moyen terme sur ces proliférations ».
Pour autant, elle demande « une politique visant à protéger ou à restaurer à plus long terme et durablement la qualité des milieux tant marins que d’eau douce vis-à-vis des différentes proliférations algales (macro et microalgues) » afin de réduire ces deux types d’apports.
Car, pour les apports de phosphore, des actions à long terme au niveau des activités agricoles et de leurs apports diffus « pourront permettre des progrès substantiels, en complément des marges de progrès encore disponibles pour améliorer la collecte et le traitement des eaux usées, notamment en zones rurales », détaille le rapport.
La mission s'est également attelée à la mise en place d'une « modélisation complexe mais précise et efficace du phénomène de prolifération des ulves », permettant de « rendre compte de la localisation et de l’ampleur des échouages observés, d’expliquer les variations constatées entre les sites et de prévoir le résultat d’une action sur chacun des facteurs étudiés ».
Solliciter les sciences humaines et sociales vers un "nouveau modèle économique breton"
Le rapport détaille les propositions et pistes de recherches à mettre en place pour parvenir à ces réductions et à maintenir la prolifération des algues vertes.
Dans le domaine des sciences de la nature, il met principalement l'accent sur une meilleure connaissance des flux d’azote et de phosphore pendant la période de croissance des ulves, et « sur l’amélioration du savoir-faire en génie écologique (intérêt et limites de l’utilisation de diverses infrastructures écologiques, compréhension de leur mode d’action) ».
Dans les domaines des sciences de l’homme et de la société, le rapport propose d’encourager à court terme des travaux sur l’utilisation de la biomasse des ulves, des techniques de traitement des lisiers permettant d’en réduire la charge en phosphore, la diffusion de modèles existants de production agricole moins intensifs et l’élaboration de nouveaux systèmes de production plus durables.
A plus long terme, il propose de solliciter les sciences humaines et sociales pour mieux comprendre la diversité des « représentations » des différentes parties prenantes vis-à-vis des problèmes environnementaux, et d'analyser les situations de confrontation et de blocage. Il suggère aussi de « mobiliser les différents acteurs dans un travail de prospective, pour élaborer ensemble ce que pourrait être un "nouveau modèle économique breton" intégrant les activités de production agricole, de transformation et de diffusion de cette production ainsi que les autres usages économiques et sociaux du territoire et répondant aux critères de la durabilité ».
(1) « Bilan des connaissances scientifiques sur les causes de prolifération des macroalgues vertes – Application à la situation de la Bretagne et propositions » - rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) du ministère de l'Ecologie et du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) du ministère de l'Agriculture aux ministres concernés. (pdf – 147p)