Réformer l'agriculture déclinante du Japon est un grand enjeu de la politique du gouvernement conservateur de Shinzo Abe, mais le secteur est d'autant plus fragile qu'il est la cible des coups de boutoirs commerciaux des Etats-Unis et de l'Union européenne.
« Avec ou sans ces négociations d'accord de libre-échange, il faut de toute façon faire cette réforme », a affirmé la semaine passée le ministre japonais de l'Agriculture, Yoshimasa Hayashi, dans un entretien avec l'AFP. C'est lui qui pilote cette difficile réorganisation pour moderniser et renforcer la production agricole menacée par la concurrence étrangère. Il cite en exemple l'abandon d'ici à 2018 des subventions versées aux riziculteurs pour limiter leur production - « une première depuis 40 ans ».
Le gouvernement a un triple objectif : augmenter la taille des exploitations, rajeunir la population agricole (la moyenne d'âge est de 65 ans) et, selon le ministre, doubler en valeurs les exportations agricoles du pays d'ici à 2020. Pour l'instant, les chiffres ne sont pas reluisants. L'autosuffisance alimentaire du pays est inférieure à 40 %, et, en 2012, la balance commerciale agroalimentaire était déficitaire d'environ 55 milliards d'euros.
Depuis la réforme agraire de 1952, qui avait atomisé la propriété foncière, les gouvernements successifs se sont cassé les dents sur ce dossier, en partie à cause d'un puissant lobby agricole qui a d'importants relais dans le Parti Libéral-démocrate (PLD), la formation conservatrice du Premier ministre Shinzo Abe.
De plus, la terre agricole japonaise est un bien très rare (12,5 % du territoire), dont la valeur financière est bien supérieure à celle tirée de l'exploitation. Les propriétaires rechignent donc à vendre, quitte à laisser en friche 400.000 hectares, selon le ministre de l'Agriculture, soit 10 % de la surface agricole totale. Le gouvernement propose désormais de louer ces terres à de jeunes agriculteurs.
Pour compliquer le tout, au sein de l'OCDE, l'agriculture est l'une des plus aidées et des plus cadenassées par des barrières douanières (près de 800 % sur le riz), et le FMI vient justement de demander au Japon de la déréguler et la libéraliser. Le ministre japonais de l'agriculture croit toutefois qu'un accord de libre-échange est possible avec l'UE en 2015. « Je pense que c'est très réaliste. C'est un objectif », a déclaré Yoshimasa Hayashi.
L'ensemble UE-Japon représenterait 30 % de l'économie du monde et 40 % de son commerce, tandis que les 12 pays du partenariat trans-Pacifique (TPP) totaliseraient 40 % du PIB mondial. A eux seuls, le Japon et les Etats-Unis représenteraient près de 70 % de cette proportion.
Concernant la négociation avec l'UE, le Premier ministre japonais Shinzo Abe a insisté en mai à Bruxelles sur une conclusion d'ici à la fin 2015.
Le surplace du volet agricole
Début juillet, les deux partenaires ont bouclé un sixième tour de négociations à Tokyo et, selon une source informée, des progrès ont été engrangés, notamment avec un échange d'offres dans le domaine des services (celui sur les marchés publics devrait intervenir cet automne). En revanche, il semble que le volet agricole ait fait du surplace, notamment sur le dossier, sensible pour l'UE, des indications géographiques (IG). Sur ce point, « l'UE n'est pas pressée » et ne « bougera pas » tant qu'elle n'aura pas obtenu des avancées pour éviter de retrouver sur le marché japonais « du parmesan ou du jambon d'Aoste made in USA », analyse un spécialiste sous couvert d'anonymat.
Tokyo demande également des périodes de transition avant d'abaisser ses barrières douanières, alors que Bruxelles juge ces délais beaucoup trop longs, par exemple sur le vin - une « ligne rouge » pour l'UE. Les Japonais ont demandé 10 ans, avant de baisser à 7, mais, pour les négociateurs européens, ce point n'est pas négociable. Par ailleurs, le Japon continue de défendre bec et ongles ses cinq « vaches sacrées » : riz, bœuf, porc, céréales et produits laitiers, des denrées ultra-sensibles pour lesquelles il rechigne toujours à ouvrir son marché.
« Je pense qu'il est juste de dire que l'accès au marché de certains secteurs de l'économie japonaise, comme ceux de l'agriculture ou de l'automobile, reste historiquement fermé, comparé à l'accès dont bénéficie le Japon auprès des consommateurs américains », s'était ouvertement plaint Barack Obama en avril dernier à Tokyo.
Evoquant le processus de négociations tant avec l'UE que le TPP, Yoshimasa Hayashi avertit : « s'il est évident que cela détruit ce qui est en cours ici (la réforme agricole), alors il nous sera difficile de signer ».