Utiliser des semences locales, éviter les médicaments et les pesticides, développer au maximum le pâturage : dans le Larzac, des éleveurs de brebis font le pari de l'autonomie, dans un but à la fois économique et environnemental.
Dans une grange du plateau karstique, pendant que ses bêtes paissent dans les champs à l'horizon embrumé, Laurent Reversat trie ses récoltes. De « gros grains d'orge » qu'il compte resemer pour nourrir les 320 brebis laitières de la ferme, située à Eygalières, près de La Cavalerie, dans l'Aveyron. « Comme les semences du commerce n'étaient pas forcément adaptées à nos problématiques locales, on s'est mis à faire de la sélection participative des fourrages et des céréales », explique à l'AFP celui qui a repris la ferme deux ans plus tôt, aux côtés de deux autres agriculteurs. Orge, seigle, avoine, mais aussi sainfoin, luzerne, dactyle ou trèfle : recueillies auprès des agriculteurs du coin, les variétés locales ont été choisies pour leur résistance ou leurs vertus antiparasitaires.
Ici, où les « accidents climatiques » se produisent « tous les ans », M. Reversat mélange jusqu'à cinq variétés dans le même champ pour améliorer la « résilience » des récoltes sur l'année. « La démarche principale, c'est de vivre de mon métier, c'est mon premier objectif. Et il se trouve que la démarche écologique et économique se rejoignent ». « La recherche d'autonomie est centrale, et l'autonomie est vecteur aussi de respect de l'environnement », estime le paysan, qui affirme vivre avec deux autres agriculteurs des 70.000 litres de lait vendus tous les ans sous le label biologique.
Moins de carburant, moins de carbone
M. Reversat prévoit d'être auto-suffisant en fourrage, paille et céréales l'année prochaine, et pratique le labour « agronomique » sur le sol caillouteux du causse, « à 10 centimètres de profondeur au lieu de 20 », pour économiser du carburant et libérer moins du carbone contenu dans le sol. « Nous avons un élevage qui est organisé autour du pâturage, donc peu de stockage de foin, donc peu d'action mécanique de récolte », insiste celui qui dit faire sortir ses brebis « dès que la température remonte au-dessus de zéro » sur près de 400 hectares.
Sur le plateau, M. Reversat n'est pas le seul à cultiver cette autonomie. L'agriculteur est membre de l'Association vétérinaire éleveurs du Millavois (Avem), qui rassemble 157 élevages dans la région de Millau. « Au départ, il y avait la volonté de changer les relations entre les vétérinaires et les éleveurs », explique Olivier Patout, vétérinaire salarié de l'association. « Les vétérinaires ne gagnent pas leur vie sur les médicaments. Ils vivent du conseil à l'élevage, au moyen d'une cotisation à la brebis ».
Lancée en 1979, cette structure visant à mutualiser le coût sanitaire pour les éleveurs était alors la première de ce type en France, et est aujourd'hui l'une des rares à salarier quatre vétérinaires à temps plein ou partiel. Dans les années 1980, les éleveurs ont ainsi pu recueillir des données pour évaluer précisément le coût de production d'un litre de lait, et le degré d'autonomie des exploitations.
« Les recettes toutes faites n'existent pas »
Mais c'est surtout après une série de sécheresses dans les années 2000, au cours desquelles les éleveurs avaient du mal à nourrir leurs bêtes, qu'ils décident de chercher des solutions auprès d'ingénieurs de l'Inra. En 2014 est lancé le projet Salsa, pour Systèmes Agro-écologiques laitiers du Sud-Aveyron. « C'est l'objectif de ce projet : construire des solutions pour que les fermes gardent leurs revenus, tout en préservant les ressources des territoires, dans une démarche de transition agro-écologique », précise Estelle Gressier, animatrice en agronomie à l'Avem.
Sur certains points, il y a « encore du chemin à parcourir », souligne M. Patout. Les exploitations - la moitié en agriculture biologique, l'autre en agriculture conventionnelle - ont des situations économiques et écologiques contrastées. Pâturage, production céréalière et climatologie composent « tous les éléments du puzzle » propre à chaque exploitation, selon M. Patout. Car « les recettes toutes faites n'existent pas ».