Sous un beau soleil, une hotte sur les épaules, Jean-Pierre Coroller, 57 ans, cueille des artichauts. L'image semble idyllique, mais cet exploitant du nord du Finistère est formel : « Tous les jours, on perd de l'argent. Ça ne peut plus durer ! »
« Je n'ai jamais connu une crise comme celle-ci », assure à l'AFP l'homme au visage marqué par les dures journées de travail enchaînées depuis son plus jeune âge. « A 13 ans, j'avais déjà le panier sur le dos », raconte-t-il. « Depuis un an, on perd de l'argent, tous les jours, ça ne peut pas durer, on perd des sommes astronomiques », ajoute cet exploitant d'une parcelle de 20 hectares située en bordure de mer, à Saint-Pol-de-Léon.
La commune abrite la Sica, premier groupement français de producteurs de légumes avec 1.500 exploitants, dont Jean-Pierre Coroller. Celui-ci explique ses difficultés et celles de la profession par un climat doux qui a engendré une surproduction, mais également par des charges sociales très élevées, tout en regrettant la surcharge de travail due « aux paperasses à n'en plus finir ».
« Les charges nous étouffent, on donne 40 % à la MSA », la Mutualité sociale agricole, dont une centaine de légumiers a incendié vendredi soir l'agence à côté de Morlaix, en même temps que le centre des impôts de la ville, pour protester contre les réglementations administratives et fiscales. « Il faudrait que nos charges diminuent, on n'en peut plus et puis, quand on a la chance de faire une année un peu meilleure, on nous surtaxe », souligne l'homme aux cheveux blancs, qui, sans cautionner la violence des légumiers vendredi soir, dit la comprendre. « C'est facile de juger les gens, mais faut se mettre à notre place, c'est vraiment dur. »
« Encore plus difficile pour les jeunes »
« On n'est pas gourmands, si on pouvait gagner ne serait-ce qu'un Smic, cela nous irait », avoue ce producteur d'artichauts, mais aussi de choux-fleurs, pommes de terres nouvelles et échalotes, installé depuis 1976. Les légumiers feront part mercredi de leurs difficultés au ministère de l'Agriculture, où ils ont rendez-vous. A ses côtés, sa femme Brigitte, 52 ans, acquiesce. « On vit parce qu'on a de l'argent de côté, mais on ne vit pas de notre travail », ajoute la femme aux cheveux de jais, disant envisager l'avenir avec pessimisme.
« Je me demande ce que veut le gouvernement. S'il ne veut plus d'agriculteurs, qu'il le dise car là on est en train de couler. Il y aura des suicides, les gens vont déprimer... », prédit-elle, expliquant que, pour les jeunes exploitants, « c'est encore plus difficile car ils ont fait de gros investissements » et « certains s'endettent pour payer leurs charges ».
Originaire de Morlaix, Brigitte a vécu pendant 30 ans à Paris où elle a travaillé chez un assureur, avant de revenir dans la région s'installer avec Jean-Pierre avec qui elle a un petit garçon de 11 ans. D'un abord doux, elle se dit cependant « en colère contre ceux qui font semblant que tout va bien et qui se sucrent dans notre dos », référence aux intermédiaires, depuis le transporteur jusqu'à la grande distribution.
Les échalotes de la ferme de Kerambars sont vendues huit centimes le kilo à la Sica, mais, une fois sur les étals des grandes surfaces, leur prix passe à deux euros, explique avec amertume Jean-Pierre Coroller. « Il y a un malaise quelque part », dit-il, assurant qu'il répondra présent dans le cas de nouvelles actions des légumiers du nord du Finistère.
Dans le champ d'artichauts, une silhouette s'avance : c'est celle de Brendan Tanguy, 30 ans, un saisonnier avec, lui aussi, un panier sur les épaules. « S'il y a une autre année comme ça, il faudra que je trouve une autre ferme, mais si tous les agriculteurs ont du mal, je n'aurai plus de travail, je n'aurai plus qu'à rester chez moi... », témoigne-t-il, résigné.