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Interview du président de la République 

« Utiliser des prix de référence proches des coûts de production » (Nicolas Sarkozy)

Publié le vendredi 30 avril 2010 - 19h10

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Dans cet entretien accordé à La France agricole et Agra presse le 26 avril 2010 , le président de la République décline des mesures à court terme pour démontrer le soutien de l’Etat et d’autres, à moyen et à long termes, pour renforcer le statut d’entrepreneur des agriculteurs.

 

 

La France Agricole : Vous avez choisi de vous exprimer sur l’agriculture à un moment particulier puisqu’une grande manifestation a eu lieu à Paris cette semaine. Comment interprétez-vous ce désarroi et que peut faire l’Etat pour rassurer les agriculteurs ?

Nicolas Sarkozy : D’abord, ce n’est pas de parler de l’agriculture qui compte. Je vois beaucoup de gens qui parlent depuis longtemps d’agriculture. Ce qui compte, c’est d’agir. Les agriculteurs n’ont pas besoin qu’on leur tienne des discours sur le fait qu’ils sont le sel de la terre, l’identité de la France et qu’ils ont droit à toute l’affection et tout l’amour des uns et des autres. Il faut prendre des décisions. C’est un secteur prioritaire de l’économie française. L’Europe est la deuxième puissance et à l’intérieur de l’Europe, la France est la première puissance agricole. C’est donc stratégique pour l’économie française, pour l’indépendance de la France et la sécurité alimentaire de nos compatriotes. L’agriculture, en matière économique, c’est aussi important que le spatial, que l’aéronautique ou que l’industrie.

 

Le plan de soutien, qui a été étoffé récemment, repose sur des prêts alors que nombre d’agriculteurs sont déjà trop endettés ; envisagez-vous d’autres mesures ? 

L’agriculture connaît une crise comme elle n’en a jamais connu jusqu’à présent car cette crise touche en même temps toutes les productions et toutes les régions.

Le gouvernement a mis en œuvre un plan qui a été dépassé par son succès puisque nous avions prévu d’engager 1 milliard d’euros de prêts bancaires et que nous avons atteint 1,8 milliard d’euros. Il a été consommé en cinq mois, ce qui prouve qu’il était adapté. Mais ce plan vise à répondre à une crise conjoncturelle, il ne suffira pas à répondre aux défis structurels et c’est dans cette optique que je dois me placer. L’époque où les ministres de l’Agriculture distribuaient des subventions, que les agriculteurs étaient obligés de rembourser dix ans après, est une époque définitivement révolue. Quand Monsieur Glavany accordait des subventions, que nous sommes obligés de faire rembourser aux agriculteurs, ce n’était pas responsable, pas acceptable. Nous, nous allons plus loin, de façon structurelle, en particulier dans le cadre de la loi de modernisation présentée par Bruno Le Maire au mois de mai.  Nous allons augmenter les possibilités pour les agriculteurs de réduire leur impôt sur le revenu les bonnes années, en leur permettant de déduire une fraction de leurs cotisations sociales dues à la MSA pour l’année suivante, ce qui permet de lisser les revenus. Les bonnes années, ils pourront déduire de leurs bénéfices une avance sur leurs cotisations sociales à venir, qu’ils paieront à la MSA et, les mauvaises années, ils ne seront pas conduits à enregistrer à la fois une baisse des revenus et le paiement des cotisations. C’est une mesure qui va plus loin que la dotation pour investissement et la dotation pour aléas. En vérité, l’ensemble de ces dispositifs permettent aux agriculteurs d’échapper largement à la progressivité de l’impôt sur le revenu, ce qui est naturel puisque leurs revenus sont très irréguliers.

 

Sur les prix et le partage de la valeur ajoutée, que comptez-vous faire ?

Je suis préoccupé par la question du partage de la valeur ajoutée. J’ai toujours pensé que les agriculteurs étaient des entrepreneurs qui ne voulaient pas vivre d’assistanat mais d’un prix qui rémunère leur savoir-faire. La question du partage de la valeur ajoutée est capitale. Je réunirai le 17 mai à l’Elysée les distributeurs, les agriculteurs et l’industrie agroalimentaire ; les distributeurs devront signer avant l’été un accord de modération de marges sur la vente de fruits et légumes en magasin lorsque les prix des fruits et légumes payés aux producteurs sont en crise. Ceci afin que le producteur ne soit pas pénalisé par des prix trop bas et les consommateurs ne soient pas pénalisés par une hausse des prix. Nous allons jouer sur les accords de modération de marges et les distributeurs qui n’accepteront pas la modération des marges seront taxés. C’est une mesure structurelle forte.

 

La perte de compétitivité des agriculteurs et des filières agroalimentaires devient alarmante, comment comptez-vous la relancer ?

Pour soutenir la compétitivité de nos agriculteurs, je vous annonce quelque chose qui est demandé depuis très longtemps : c’est l’utilisation des camions de 44 tonnes dans le secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire dès l’été prochain. Cela aura un double effet : réduire les émissions des gaz à effet de serre et, tenez-vous bien, apporter un gain de productivité de 11 % sur le prix des matières premières agricoles. C’est 80 millions d’euros par an pour ces filières. Nos partenaires européens peuvent déjà le faire, et il était important de donner satisfaction sur ce point. Je reviens aussi pour mémoire sur l’exonération totale des cotisations patronales dues à la MSA, pour les travailleurs saisonniers. Le coût du travail est maintenant de 9,29 euros à l’heure ; cela  ne nous met pas tout à fait au niveau des allemands mais ça représente une avancée considérable. Vous voyez bien la logique : l’étalement des cotisations sur les bonnes années par rapport aux mauvaises répond à une logique d’entreprise et reconnaît le statut d’entrepreneur aux agriculteurs. Et l’introduction des camions de 44 tonnes, c’est du gain de productivité ; les accords de modération de marges, c’est pour les prix parce que j’ai toujours pensé que la clé pour l’agriculture, ce sont les prix et la compétitivité, bien au-delà des subventions et des prêts bonifiés.

 

Vous avez rencontré dans l’Essonne des producteurs de céréales ; le délai que vous leur avez donné pour faire le point de la situation lors d’un comité de suivi à la fin de l’année est jugé bien long. Qu’en pensez-vous ?

Je comprends le désarroi des céréaliers. Je le comprends parce que, grosso modo, dans le bilan de santé de la Pac, nous avons réorienté 1 milliard d’euros d’aides pour mieux soutenir les éleveurs. Pourquoi ? Parce que pour défendre la Pac, il faut qu’elle soit juste. Or il se trouve que les céréaliers, en 2007 et en 2008, ont eu de très bonnes années : en 2007, c’était plus 100 % de revenu pour les céréaliers. Aujourd’hui, ils subissent, en moyenne, 80 euros de moins à l’hectare de subventions. Qu’ils ne soient pas contents, je peux le comprendre et comprendre aussi que cela crée de grandes tensions au sein du syndicalisme agricole. Mais peut-on contester l’idée que les éleveurs des zones de montagne étaient dans une situation plus grave que les céréaliers? Manque de chance, la première année d’application du bilan de santé de la Pac, le prix des céréales s’est effondré. Je comprends les difficultés des céréaliers, nous allons les aider. Ceux des agriculteurs dont l’impôt est calculé sur une moyenne de trois ans bénéficieront, en 2010, d’une année supplémentaire pour le payer. C’est une mesure qui devrait être particulièrement intéressante pour les céréaliers.

 

Vous parlez d’agriculteur-entrepreneur. La loi de modernisation met l’accent sur les dispositifs d’assurance : assurance récolte et assurance revenu. L’Etat est-il prêt à jouer son rôle de réassureur à l’avenir ?

La vérité, c’est que sur les trente dernières années, l’Etat a été l’assureur de la profession, lorsqu’il y a eu dégradation des revenus. Aujourd’hui, l’Etat soutient l’assurance récolte par une enveloppe de plus de 100 millions d’euros par an et propose 1,8 milliard d’euros de prêts bonifiés pour prendre en charge la trésorerie. N’est-ce pas de l’assurance ? L’agriculture est soumise à des aléas. A des aléas climatiques et des aléas de marchés. Les marchés sont gangrenés par la spéculation et face à ces aléas, la réponse assurancielle est la bonne réponse. Comme on s’assure pour les calamités, on doit pouvoir s’assurer contre des dégradations brutales de prix.

 

Pour l’agriculteur de demain qui veut vivre de prix, faut-il moins d’Etat ou plus d’Etat d’après vous ?

Il  faut plus de régulation. Et il faut de la contractualisation. Les agriculteurs ne peuvent pas être en bagarre permanente avec leurs clients. La contractualisation, ça veut dire une meilleure organisation de l’offre, je pense à certains secteurs comme les fruits et les légumes dans lesquels les producteurs doivent se rassembler pour peser face à la distribution. Et  là, la présence de l’Etat est clairement aux côtés des agriculteurs pour les aider dans leur bras de fer.

 

Même si ça peut coûter un peu plus cher aux consommateurs ?

Je vous ai dit le contraire en vous parlant de l’accord sur les modérations de marges. Il ne faut pas avoir honte du soutien de l’Etat. L’Etat ne soutient-il pas la production aéronautique française, avec les avances remboursables ? Croyez-vous que la filière nucléaire française existerait sans l’Etat ? EDF, Areva ou GDF-Suez sont soit totalement à capitaux publics, soit à majorité de capitaux publics. Où en serait le développement de la voiture électrique si l’Etat n’avait pas lancé un plan en sa faveur ? Et la vente de voitures, où en serait-elle si il n’y avait pas eu la prime à la casse ? Et la production de voitures, où en serait-elle s'il n’y avait pas eu le bonus malus qui, entre parenthèses, a coûté plus cher que prévu du fait que l’on a distribué beaucoup plus de bonus que de malus ? Pourquoi culpabiliser les agriculteurs en la matière ?

Bien sûr la contractualisation et l’assurance ne suffisent pas ;  il faut poser clairement la question de la régulation agricole.

 

Que mettez-vous derrière le mot « régulation » ?

On n’est pas obligé de passer d’une économie de surproduction totale à une économie qui ne produit pas assez, où la spéculation joue un rôle considérable et où un milliard d’habitants dans le monde meurent de faim. La question de la régulation est posée au niveau européen comme au niveau mondial. Je la poserai à l’Europe comme je la poserai dans le cadre du G20. Je n’accepte pas l’idée que sur certaines matières premières agricoles, la spéculation empoche des sommes invraisemblables. On peut acheter 5 % d’une production, la revendre avant de l’avoir payée ; tout ceci se passe entre une dizaine d’intermédiaires qui spolient les producteurs agricoles du monde entier sans que les  consommateurs n’y trouvent un avantage. Clairement je dis : créons une organisation mondiale de l’agriculture pour mettre de la transparence et de l’organisation sur le marché. Il y a un problème de gouvernance mondiale de la production agricole et je ne parle pas seulement des agriculteurs européens. Les agriculteurs indiens, les agriculteurs brésiliens, les agriculteurs turcs ont autant besoin que leurs collègues européens d’une visibilité sur leurs prix. Qui oserait dire que le cacao, le café ou les céréales sont des marchés fluides, définis par l’offre ou la demande ?

Le mot stock n’est pas un gros mot, dès lors que les stocks sont bien utilisés pour réguler les productions et je m’opposerai formellement au nom de la France au démantèlement des instruments de régulation des marchés en Europe.

 

La loi de modernisation de l’agriculture vise à inciter les agriculteurs à se regrouper. Êtes-vous prêt à assouplir ou demander l’assouplissement des règles de concurrence pour que ces regroupements ne soient pas sanctionnés par le droit ?

Je vais vous répondre en vous disant trois choses : la première, c’est qu’il faut des prix de référence qui permettent une rémunération décente des productions. Je conteste aussi l’idée qu’un producteur de lait livre sa production sans même savoir le prix auquel il va être payé. D’où mon idée de développer la contractualisation. Il faut clairement changer les règles de concurrence. Je m’en expliquerai avec le président Barroso comme avec le commissaire à l’Agriculture que je dois recevoir prochainement. Enfin, il faudra certainement, dans le cadre d’un plan de développement de certaines filières, dont celle du secteur laitier, encourager les productions à plus forte valeur ajoutée. Il vaut mieux produire des fromages que de la poudre de lait qui se retrouve en concurrence avec les marchés mondiaux.

 

Vous voulez donner beaucoup d’importance aux interprofessions. Sont-elles satisfaisantes dans leurs organisations actuelles ? Faut-il en élargir les membres aux syndicats agricoles minoritaires ?

L’agriculture française a bénéficié depuis quarante ans d’une organisation syndicale modérée et responsable. Cela lui a permis d’avoir une politique agricole commune conduisant l’Europe à devenir la deuxième agriculture du monde, au sein de laquelle la France est la première nation agricole. Je dis au monde agricole : vous n’avez rien à espérer de la division. Je ferai tout pour favoriser le dialogue avec les organisations les plus responsables à un moment où il y a des tentations démagogiques et populistes exacerbées par la crise. Pour autant, je parle avec tout le monde ! J’ai envoyé des signaux au monde agricole. Quand l’État prend une participation de 150 millions dans Limagrain, c’est le choix de la confiance dans l’avenir qui s’exprime. Quand l’État s’investit totalement dans le dossier Entremont, il montre là aussi sa confiance dans l’avenir. Pour tous ces dossiers, pour définir l’avenir de nos filières, il nous faut discuter avec une profession unie. Le combat, pour sauver la politique agricole commune, pour exiger la préférence communautaire, pour garantir des prix, toutes choses dont la France porte le discours, pourra-t-on la mener avec une profession divisée ? Je discute avec tout le monde même si je me suis toujours bien porté d’entretenir avec la FNSEA des rapports confiants.

 

Les rapports sont souvent passionnels entre le syndicalisme majoritaire et le président de la République. Est-ce une bonne chose ou non ?

Je n’aime pas le mélange des genres. J’ai un travail à faire. Je crois dans l’avenir de l’agriculture française et européenne qui va bien au-delà des rapports personnels qui peuvent être les miens avec le président de la FNSEA quel qu’il soit. Je ne pense pas que, parce que je serais à tu et à toi avec un dirigeant, ou que j’aurais passé des heures au Salon de l’agriculture, cela donnera plus d’espoir aux agriculteurs. Je crois au travail qu’on fera ensemble et je travaillerai avec les dirigeants agricoles quels qu’ils soient même si je vous ai dit tout le bien que je pense de l’organisation majoritaire.

 

Il y a deux époques dans les relations entre Nicolas Sarkozy et les agriculteurs. La première est celle de l’accent mis sur les efforts écologiques et sociétaux ; la deuxième, qu’on pourrait dater des élections régionales, est celle où ces efforts sont très relativisés, comme mis au second plan. Qu’est-ce qui a changé ?

C’est au Salon de l’agriculture, et non après les élections régionales que j’ai voulu répondre aux soucis des agriculteurs. A partir du moment où vous avez une profession dont les plus chanceux ont perdu 35 % de leur revenu et les moins favorisés plus de 50 %, j’ai considéré que ce n’était pas la période pour leur imposer la moindre règle supplémentaire. Est-ce déraisonnable de parler ainsi ? Sinon, c’était les faire couler. Deuxième remarque : je continue à penser que le Grenelle de l’environnement a d’abord été fait pour les agriculteurs. Les premières victimes de l’abus de pesticides, ce sont ceux qui vivent de la production agricole. Donc opposer les agriculteurs et le Grenelle de l’environnement n’a aucun sens. J’ai aussi voulu dire par là qu’il y avait un moment où il fallait enlever de la pression aux agriculteurs. Je n’ai pas l’intention non plus de mettre la compétitivité de l’agriculture française en danger face à des concurrents qui n’ont pas les mêmes règles. Je suis préoccupé quand je vois le déficit de compétitivité avec l’Allemagne pour les fruits et légumes et les produits saisonniers, quand je vois l’utilisation qu’ils font des travailleurs immigrés, en regard des conditions sociales en France. J’ai dit également qu’il n’était pas question d’imposer une taxe carbone aux agriculteurs tant qu’il n’y aurait pas une taxe carbone aux frontières de l’Europe.

 

Vous avez dit « préférer une crise plutôt qu’une remise en cause de la Pac »  : à partir de quand estimerez-vous qu’il y a remise en cause de la Pac ?

J’ai été extrêmement choqué de voir que dans le premier projet de la stratégie de l’Union européenne pour 2020 présentée par la Commission, il n’y avait pas un mot sur l’agriculture. J’ai indiqué au président Barroso que, si cela ne changeait pas, la France quitterait la table de discussion. Cela a changé. Mais cela ne suffit pas. La Commission est en charge d’appliquer la politique européenne. La première politique européenne commune, c’est la politique agricole. La Commission devrait en être fière plutôt que de s’en excuser. Parler des atouts de l’Europe à l’horizon de 2020 en omettant l’agriculture, c’est quelque chose que je ne pouvais pas accepter. C’était trop révélateur d’un raisonnement technocratique qui ne correspond pas à ce qu’ont voulu et fait les pères fondateurs de l’Europe.

Il n’est pas normal de parler de la lutte contre la pauvreté, de la formation et de l’éducation qui ne font pas partie des compétences européennes et de ne rien dire de l’agriculture qui en fait partie. Je n’accepterai pas le démantèlement des moyens de régulation, qui nous ont permis d’éviter une grave crise du lait. Enfin, il ne serait pas prudent d’abandonner la politique agricole commune qui est l’élément clé de la sécurité alimentaire des consommateurs, après toutes les crises que nous avons connues et notamment celle de la vache folle. On a vu ce que cela pouvait produire. C’est le rôle de l’Europe de protéger la sécurité alimentaire de ses citoyens. Je n’accepterai pas non plus qu’on s’aligne sur des prix mondiaux alors que les Américains soutiennent matin, midi et soir leur agriculture. Et ils ont bien raison de le faire. Je ne vois pas pourquoi l’Europe ne ferait pas la même chose.

 

Sur le plan budgétaire, les négociations vont commencer alors que nous serons bientôt contributeurs nets…

Mais nous le sommes déjà ! Nous payons quatre milliards et demi en solde net à l’Europe. Nous n’allons pas prendre de leçons sur ce plan alors qu’il y a le chèque britannique !

On ne peut pas réduire les subventions sans restaurer la préférence communautaire et des prix dignes de ce nom qui couvrent les coûts de production des agriculteurs européens. Je ne céderai pas.

 

Vous êtes optimiste sur ce dossier ? Vous placez la barre très haut. Pourra-t-on obtenir ne serait-ce qu’une part de ce que vous demandez ?

Y a-t-il un autre choix possible ? De laisser défiler la pelote jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien ?

 

Ce serait le choix d’une restructuration plus forte du monde agricole…

Il faut évidemment restructurer notre appareil de production. Mais dans le cadre de plans de développement concertés. Je ne dis pas aux autres : « Bougez, nous, on ne bouge pas. » Mais je ne laisserai pas détruire l’agriculture française. C’est ma mission. Mon ambition est de ne pas laisser faire pour l’agriculture ce que l’on a laissé faire pour la finance.

 

Quel argument pouvez-vous présenter à la Grande-Bretagne pour qu’elle se rapproche de nos positions ?

C’est simple, il y en a deux : d’abord, êtes-vous intéressés par la sécurité alimentaire ? La crise de la vache folle qui a fait des ravages, les Britanniques ne l’ont pas oubliée. Or le seul moyen de garantir la sécurité alimentaire, c’est d’avoir une politique agricole commune. Deuxième argument, le budget : si vous trouvez que le budget est trop élevé, garantissons les prix. Ce n’est pas parce que les Américains garantissent un prix minimum à leurs céréaliers que leur pays n’est pas une grande nation libérale. Je ne demande même pas cela. Mais, simplement, une égalité des conditions de concurrence entre l’Europe et ses concurrents. On n’a pas le choix.

 

Sommes-nous autant que le gouvernement le dit sur la même longueur d’onde que l’Allemagne, concernant les questions agricoles ?

On l’est tellement que le ministre de l’Agriculture, Bruno Le Maire, sera prochainement invité à un conseil des ministres de l’Allemagne pour aborder notamment ces sujets.

 

Certains parlent de points de TVA pour financer les politiques européennes.

Sur la TVA, je ne serais pas opposé à ce que, sur quelques produits, on puisse expérimenter une augmentation du prix payé par le consommateur en échange d’une augmentation du prix payé au producteur. Cela pose de difficiles problèmes de répartition de cette taxe au regard des règles européennes, mais nous l’avons fait pour le poisson et cela ne fonctionne pas si mal. Je suis prêt à l’étudier pour certaines productions agricoles.

 

Pour quels produits ?

Je pense aux fruits et légumes, si les accords de réduction de marge ne suffisaient pas.

 

Les négociations à l’OMC achoppent souvent sur l’agriculture. Est-ce que cela ne va pas vous empêcher d’instituer une préférence communautaire renouvelée comme vous le souhaitez ?

L’Europe doit savoir se défendre. À quoi sert-il d’imposer aux éleveurs français des règles de bien-être animal si nous continuons à importer de la viande de pays qui ne respectent aucune des règles du bien-être animal ? À quoi sert-il d’imposer aux agriculteurs français et européens des règles environnementales si nous continuons à importer en franchise de toute taxe des produits de pays qui ne s’imposent aucune règle environnementale. À quoi sert-il d’imposer à nos éleveurs la traçabilité pour les animaux si on importe des viandes qui ne répondent à aucune de nos normes ? C’est cela la préférence communautaire.

 

Alors pourquoi interdit-on les OGM ?

Pour l’instant, on n’interdit pas les OGM en général. Seul le Monsanto 810 a été interdit. Il y a des études qui sont en cours. On en attend les résultats tout en appliquant le principe de précaution, notamment en ce qui concerne les risques de dissémination en plein champ. Il n’est quand même pas absurde que je souhaite avoir des rapports précis sur l’impact des OGM. On critique beaucoup le principe de précaution mais il a du sens. Prenons le cas du nuage volcanique qui s’est étendu sur l’Europe. Imaginez qu’aucune précaution n’ait été prise et que nous ayons eu un crash d’avion. Je pense que tous ceux qui ont dénoncé le principe de précaution n’auraient pas été lents à dénoncer l’irresponsabilité des pouvoirs publics.

 

Cependant, vous-même, sur le plan personnel, êtes-vous plutôt favorable à ce type de technologie ou plutôt réservé ?

Si vous aviez le moindre doute sur mon intérêt pour les technologies innovantes, intéressez-vous au grand emprunt. J’ai veillé personnellement à ce qu’il y ait 1,350 milliard d’euros sur les biotechnologies. Est-ce que cela ne répond pas à votre question ? Et 150 millions d’euros investis dans Limagrain, est-ce que cela ne répond pas aussi à votre question ? Ce qu’il faut dire, aussi, et notamment au monde agricole, c’est que nous avons la meilleure recherche fondamentale du monde pour développer les biotechnologies du blé. L’Inra est le premier institut à avoir séquencé la totalité du génome du blé.

 

Il faut pour vous que l’agriculture utilise tous les outils de modernisation ?

Évidemment ! La clé pour l’agriculture, c’est la modernisation. Mais en même temps, j’ai des responsabilités plus larges, concernant la santé des Français par exemple, ou au regard de mes engagements européens. Voyez ce qui s’est passé en Bretagne, du fait du non-respect d’un certain nombre de règles européennes sur l’environnement. Voyez ce que cela coûte aujourd’hui de réparer les dégâts. Sortons du débat entre les innovateurs et les obscurantistes ! Entre les deux, j’ai choisi la voie du pragmatisme. Et puis, l’investissement dans l’agriculture française, ce n’est pas seulement les OGM. C’est aussi la qualité, la plus forte valeur ajoutée, les appellations contrôlées. Je me battrai pour qu’on protège les appellations contrôlées. Au fond, qu’est-ce que c’est qu’une appellation contrôlée ? De la qualité et de la plus-value sur le produit qui est fabriqué.

 

Un autre domaine souffre d’un débat concernant ses intérêts économiques et écologiques, c’est celui des biocarburants. Y croyez-vous et désirez-vous les soutenir ou non ?

Je crois à la possibilité pour les agriculteurs d’avoir des productions diversifiées. Je crois, en agriculture, à la pluriactivité. Cela veut dire : une production agricole principale et une partie de la production consacrée aux biocarburants, de même, que, quand cela est possible, au tourisme, aux chambres d’hôtes, etc. Pour les biocarburants, nous n’avons pas renoncé à nos objectifs, notamment de 7 % de part dans la consommation de carburant en 2010. En termes de soutien, ils nous coûtent 900 millions d’euros par an. Cela ne veut pas dire qu’on demande aux exploitations agricoles de se convertir complètement aux biocarburants ! Mais l’objectif fixé est ambitieux. En même temps, je souhaite qu’on travaille sur les biocarburants de seconde génération.

 

En ce qui concerne les retraites, dont la réforme est en préparation, les retraites agricoles pourront-elles à cette occasion rejoindre celles du régime général. L’autonomie du régime agricole est-elle en jeu ?

Sur les retraites agricoles, j’ai tenu scrupuleusement mon engagement. En trois ans, nous avons augmenté de 15 % le minimum vieillesse. Cette augmentation concerne beaucoup les agriculteurs. J’avais promis 25 % sur la totalité de mon quinquennat. On le fait au rythme de 5 % par an. Il n’y a pas que cela : la pension de réversion pour les veuves est passée de 55 % à 60 %. Et, enfin, nous avons créé un minimum de pension unique pour les retraites agricoles qui concerne 200.000 retraités.

 

Et pour l’avenir ?

À la demande de Jean-Michel Lemétayer, j’ai veillé à ce que le syndicalisme agricole soit consulté en tant que tel sur la question des retraites.

 

Vous estimez que le régime agricole doit se fondre dans le régime général ?

Chaque régime peut conserver ses spécificités, mais dans une approche commune. Ainsi de la pénibilité du travail. S’il y a un secteur qui connaît ce qu’est la pénibilité du travail, c’est le secteur agricole.

 

Angela Merkel a récemment, en des termes très chaleureux, soutenu son secteur viticole. En France, la filière viticole a plutôt l’impression qu’on lui met des bâtons dans les roues pour communiquer et s’exprimer sur les chaînes de télévision par exemple. Le carcan anti-alcool n’est-il pas trop contraignant ?

Il y a un problème de santé publique qui touche le tabac et l’alcool. Je dois veiller à ce que ces impératifs soient respectés. Ils ont permis de sauver des milliers de personnes et de faire économiser beaucoup d’argent à la sécurité sociale. Je ne reviendrai pas sur ces impératifs. Ceci dit, la filière viticole doit être soutenue et encouragée. Et c’est du reste pour cela que nous avons autorisé la publicité du vin sur internet.

 

Vous êtes un citadin, sans attache agricole particulière. Qu’est-ce qui vous intéresse dans le monde agricole ?

Ce qui me plaît chez les agriculteurs, c’est que ce sont des gens qui aiment leur travail. J’adhère à la valeur travail et je la respecte. Ce sont des femmes et des hommes qui ne demandent rien. Qui veulent qu’on les laisse vivre du produit de leur travail. Ils sont libres, notamment de travailler plus que les autres, et ils veulent que cela dure. Ils ne se plaignent pas. Si d’autres catégories avaient perdu, comme eux, 50 % de leur revenu sur un an, que ne se serait-il pas passé ! Je respecte les agriculteurs parce qu’ils sont durs au mal. Leurs valeurs sont des valeurs que je comprends parce que je les partage. C’est aussi un milieu que j’apprécie parce qu’il est franc et dit ce qu’il pense. C’est enfin un métier dans l’avenir duquel je crois. Les agriculteurs me disent : aidez-nous à vivre de notre travail. J’ai été élu pour les aider. Chaque jour je le fais. Ma détermination est totale.

 

Propos recueillis par Eric Maerten et Hervé Pagnol

 

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