Au printemps, la pousse de l’herbe peut représenter une part essentielle du menu des vaches laitières. Mais il est difficile de la valoriser parfaitement, sans la gaspiller et en assurant une couverture suffisante des besoins des laitières. En effet, la pousse dépend de la météo, des pratiques, ou encore des espèces présentes et du potentiel du sol. De même, l’ingestion par les vaches est liée à de multiples facteurs. Or, pour prendre les bonnes décisions en matière de pâturage, il faut pouvoir anticiper. « En gestion de pâturage, on raisonne en termes de jours disponibles, précise Luc Delaby, chercheur à l’Inra. Avant de fermer le silo, il faut être sûr que les pâtures apporteront une alimentation suffisante aux vaches, compte tenu de la complémentation éventuelle prévue, et de la date de réouverture envisagée. »
Anticiper la pousse
Pour aider les éleveurs à prendre les bonnes décisions à des dates clés de la saison, l’Inra et les chambres d’agriculture de Bretagne ont travaillé durant trois ans à la mise au point d’un logiciel spécifique. Il est aujourd’hui opérationnel. Pauline Defrance a travaillé sur ce projet. Elle a commencé par établir l’état des lieux des connaissances disponibles pour les mettre en relation avec les demandes exprimées. Elle s’est aperçu ainsi qu’il existait une forte demande d’outils d’aide à la gestion du pâturage, dans l’objectif d’améliorer le niveau de sécurité. En face, les connaissances acquises restaient souvent méconnues. Cependant, gérer le pâturage suppose d’anticiper la pousse. Celle-ci varie selon les espèces, les périodes et la météo. Pour calculer un stock d’herbe, il est nécessaire de connaître la hauteur de départ, mesurée à l’herbomètre. La densité est également un indicateur précieux pour lequel les références manquaient. Pauline Defrance a donc travaillé sur la croissance de l’herbe afin de définir des profils moyens adaptés à différents contextes rencontrés.
L’ingestion de l’herbe est connue
L’autre élément essentiel à l’évaluation du stock d’herbe est la consommation par les animaux. L’Inra a établi des références précises concernant l’ingestion au pâturage. « On connaît les quantités consommées par les bovins en fonction de leur âge, de leur type ou de leur niveau de production », précise Luc Delaby. Le niveau de complémentation et l’apport éventuel de fourrages complémentaires influencent l’ingestion. Les travaux antérieurs de l’Inra permettent la prise en compte de ces éléments pour affiner l’estimation de l’ingestion. Le stade de lactation n’est pas considéré. Mais à l’échelle d’un troupeau, l’influence des stades individuels sur l’ingestion globale reste négligeable.
Aujourd’hui, cet ensemble de travaux aboutit à un logiciel d’aide à la décision qui se veut un outil utilisable par l’éleveur seul ou, s’il le souhaite, aidé par un conseiller, le contrôleur laitier par exemple. Dénommé Herb’Avenir, il permet de prendre des décisions à l’échelle de l’exploitation à des dates clés de la saison de pâturage. Clair et convivial, cet outil est simple à utiliser par tous ceux qui ont une petite expérience de l’ordinateur. Au départ, il faut entrer les données structurelles de l’exploitation : nombre de parcelles, surface, espèces, effectifs d’animaux par type (génisses, vaches laitières, bovins allaitants...), niveau de production laitière, etc. La fertilisation des prairies est prise en compte. Pour les déjections animales, le logiciel intègre les valeurs d’analyses effectuées sur l’élevage s’il y en a. Sinon, il se base sur des valeurs standard. L’éleveur indique également s’il se trouve dans une zone favorable ou non à la pousse de l’herbe, au printemps et en été. Ensuite, il définit la hauteur d’herbe souhaitée au moment de la sortie des animaux des parcelles. Enfin, il renseigne la hauteur d’herbe du moment dans chaque parcelle. Il faut donc aller collecter cette information en utilisant l’herbomètre dans chacune. Cela peut paraître un peu fastidieux pour ceux qui n’ont pas l’habitude de manier cet outil. Les contrôleurs laitiers sont souvent équipés et peuvent donc aider l’éleveur. Car il est impossible de réaliser des prévisions sans un minimum d’informations sur la situation de départ.
Une fois entré cet ensemble de données, il est possible d’obtenir toutes sortes d’informations. On peut, par exemple, connaître le nombre de jours d’avance d’herbe disponible, compte tenu du régime alimentaire des animaux. On peut voir l’évolution de cette sécurité si on décide de fermer le silo, par exemple, ou encore si on écarte certaines parcelles afin de les faucher.
Simuler l’effet des décisions
De même, on peut évaluer l’effet d’une modification des quantités de concentrés apportés. Car si on les réduit, l’ingestion d’herbe augmente. « Cet outil permet de tester l’impact de différentes décisions », souligne Pauline Defrance, ingénieur agrotransfert. Mais il n’est pas conçu pour la gestion quotidienne de l’herbe. Et bien entendu, il s’agit de prévisions qui reposent sur des référentiels de pousse. Il reste les impondérables liés à la météo que l’on ne peut pas connaître à l’avance. Mais plusieurs options peuvent être testées. On peut comparer les stocks disponibles pour différentes conditions de pousse (favorables ou non). Une fois que les données structurelles ont été saisies, il est très facile de simuler diverses situations. Le logiciel est simple et réactif. Chaque situation simulée peut être imprimée. La comparaison entre différentes options est donc aisée. Les bilans par parcelle peuvent aussi faciliter les comparaisons avec les exploitations voisines dans le cadre de groupes d’échange, par exemple.
Un deuxième logiciel plus complet mais d’un maniement moins aisé a également été conçu. Il établit un véritable calendrier de pâturage. En fin de saison, il permet de faire un bilan incluant les rendements par parcelle, par exemple. Des formations seront proposées mais ce logiciel est d’abord destiné aux techniciens. « Cet outil permet en plus de prendre du recul », précise Pauline Defrance. Enfin, les travaux débouchent aussi sur une version papier beaucoup plus simple. Les indicateurs moins nombreux permettent une utilisation plus facile mais moins précise. A partir des hauteurs d’entrée et de sortie, de la date, et de la surface disponible par vache, l’éleveur connaît approximativement le nombre de jours disponibles restant au bout d’un mois. Cet outil se présente sous la forme d’un disque. Plusieurs versions sont prévues, en fonction du potentiel plus ou moins élevé de pousse de l’herbe.
Un partenariat entre l’Inra et la chambre d’agriculture de Bretagne Le logiciel d’aide à la gestion du pâturage est issu de la démarche agrotransfert. Il s’agit de favoriser, à l’échelle des régions, les échanges entre l’Inra et les chambres d’agriculture. En effet, la recherche dispose d’informations qu’elle ne parvient pas toujours à diffuser. Et de leur côté, les chambres font face à des demandes qu’elles ne peuvent pas toujours satisfaire, faute de références. Même si les chambres d’agriculture bretonnes s’investissent dans la recherche appliquée, elle peuvent avoir besoin des acquis de l’Inra. Dans le cadre d’agrotransfert, un groupement d’intérêt scientifique a été constitué entre l’Inra et la chambre régionale de Bretagne. Il a abouti à la création des logiciels de gestion de l’herbe. Ceux-ci seront donc disponibles gratuitement pour tous les éleveurs de la région. Mais ils sont adaptables ailleurs. Les régions intéressées devront simplement fournir des références concernant le profil de croissance de l’herbe. l’Inra pourra alors entrer les données. La Normandie, les Pays de la Loire et la Franche-Comté sont intéressées et pourraient donc disposer à terme du même outil que les Bretons. |
Témoignages : JEAN-PIERRE et ANNE-MARIE DUFEU, éleveurs en Ille-et-Vilaine, 40 VL à 8.500 kg de lait, 70 ares de pâture/VL «Un outil de qualité pour trancher» «On a expérimenté le logiciel l’an dernier et on va recommencer cette saison. Il est pratique et facile à utiliser. Cela nous permet de connaître le nombre de jours disponibles à la semaine et de décider des parcelles à faucher, par exemple. Cela va nous éviter d’être débordé par l’herbe au printemps. Il sera plus facile aussi de choisir dans quelle parcelle mettre les vaches, en fonction de la pousse. Avant, je notais tout sur un calendrier mais avec le logiciel, c’est plus précis et on dispose de davantage de sécurité pour trancher. J’avais bricolé un herbomètre et je vais l’utiliser régulièrement cette année. De toute manière, je passe souvent dans les pâtures et ce n’est pas très compliqué d’en profiter pour mesurer les hauteurs. Je crois qu’avec le temps, cet outil nous permettra aussi de mieux connaître le potentiel des différentes parcelles. Il est surtout utile pour ceux qui pâturent beaucoup. J’espère que le logiciel sortira aussi en version utilisable sur le Palm. Ce serait encore plus pratique.» |
par Pascale Le Cann (publié le 2 mars 2006)
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