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Article 1 :

Foncier: objectif "terres"

Appelé à nourrir plus de bouches, soumis aux pressions urbaines, promis à de nouvelles vocations énergétiques… le foncier agricole devient un objet de convoitise. Quelle sera la disponibilité des terres fertiles dans le futur? Comment éviter le gaspillage et préserver le potentiel des sols? Autant de questions revenues au premier plan pour «produire plus et mieux». Ce dossier apporte des éléments de réponse et des éclairages autant politiques qu’agronomiques.

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+ infographie : Le potentiel agricole se dégrade

 

 

«D’ici à 2050, nous allons passer de six à neuf milliards d’hommes. Pour réduire la sous-alimentation et diversifier la nourriture dans une grande partie du monde, nous devrons doubler la production alimentaire mondiale entre 2000 et 2050», estime Michel Griffon, chercheur au Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement).

Pour couvrir les nouveaux besoins alimentaires, la première tentation serait d’augmenter les surfaces cultivées. Mais la croissance démographique perturbe ce schéma: la disponibilité en terres arables a décru de 0,5 ha par tête en 1950 à 0,23 ha en 2001, avec des écarts importants entre pays riches et pays en développement. «Seule l’Amérique du Sud pourrait gagner de nouvelles terres», prévient Michel Griffon (lire l’interview ).

A ce premier défi de nourrir la planète, s’ajoute la lutte urgentissime contre le réchauffement climatique, selon Robert Levesque, directeur de Terres d’Europe-SCAFR (Société de conseil pour l’aménagement foncier et rural; elle est liée aux Safer): «Nous devons diminuer rapidement la consommation des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) pour éviter des rejets excessifs de gaz carbonique dans l’atmosphère. Mais il faut aussi favoriser la capture du carbone par les sols et les plantes, arbres compris. La capacité des sols à capturer du carbone est liée aux différents couverts végétaux et aux modes d’exploitation. Elle dépend également de la surface totale de ces sols naturels, d’où la nécessité d’en préserver un maximum.» Ce spécialiste des questions foncières prédit qu’il y aura «un conflit entre la lutte contre l’effet de serre et la satisfaction des besoins alimentaires». D’autant que dans cette équation s’ajoutent les demandes en biomasse énergétique, en biomatériaux, et le respect de la biodiversité. Sans oublier le développement des villes et des transports qui finissent par amputer une part significative de l’espace agricole. Une «exceptionnelle pression» va donc s’exercer sur les surfaces naturelles.

 

Lutter contre le gaspillage

La France jouit de conditions favorables lui permettant de mettre en culture 35% de son territoire. Mais entre 1992 et 2004, elle a perdu chaque année 73.000 ha de terres agricoles (cliquez sur l'infographie ci-contre ). «Une partie de la perte va vers la forêt, avec un passage en friches, landes et taillis», analyse Jean Cavailhés, économiste à l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) de Dijon. La forêt gagne sur des terres agricoles peu fertiles, un «phénomène économique normal, avec un bilan environnemental positif», note un brin provocateur le chercheur. Quant à l’urbanisation, elle grignote des terres souvent de très bonne qualité. Elle touche essentiellement les périphéries des grandes villes, le littoral, les grands corridors fluviaux et les grandes vallées. Au final, ce sont 60.000 ha qui sont artificialisés par an, au détriment des zones agricoles et naturelles. Ces terres sont bâties, goudronnées ou deviennent des pelouses annexées aux bâtiments. Contrairement aux idées reçues, «les deux tiers des surfaces artificialisées ne sont pas imperméabilisés, souligne Jean Cavailhés. Il s’agit de pelouses, jardins, allées… où les eaux s’infiltrent.»

Les données statistiques ne disent pas tout. «Non seulement nous gaspillons des terres à bon potentiel de production, mais nous portons atteinte au paysage. L’extension urbaine rompt des corridors écologiques et perturbe le fonctionnement des espaces ruraux par le mitage», dénonce Serge Bonnefoy, animateur du réseau Terres en villes. Il constate toutefois une prise de conscience chez certains décideurs. André Barbaroux, directeur de la Fédération nationale des Safer (FNSafer), surenchérit: «Nous vivons un paradoxe du foncier: notre pays en gaspille alors que nous en avons de plus en plus besoin. L’Allemagne, qui consomme une fois et demie moins de terres que la France, au titre de l’urbanisation, vient de décider de réduire cette consommation de moitié dans les dix ans.» Selon ce dirigeant de la FNSafer, les outils destinés à protéger les terres agricoles sont «inopérants», que le zonage soit urbain (POS, PLU, SCOT) ou agricole (ZAP, PAEN) (Voir les sigles ci-après) . Il préconise la mise en place d’un zonage pérenne des terres agricoles, opposable aux documents d’urbanisme. Il suggère aussi de maîtriser l’étalement urbain: «Il faut reconstruire la ville sur la ville. Autrement dit, utiliser les friches urbaines, densifier les villes, rénover et adapter l’existant.» Serge Bonnefoy résume: «L’agriculture périurbaine doit s’intégrer dans la planification urbaine et devenir une politique publique comme les autres.» Trop souvent, la disparition de terres agricoles est jugée secondaire par rapport à l’importance économique de projets d’urbanisation ou de zones industrielles. Et les plus-values dégagées par les changements d’usage dopent ce phénomène: le prix de la terre agricole convertie en terrain à bâtir est multiplié par 18. La moitié des terres agricoles voient leurs prix influencés par des usages non-agricoles. A l’avenir, la hausse des cours des produits agricoles pourrait se traduire par une augmentation de la valeur ajoutée à l’hectare. «Le prix des terres consacrées à l’agriculture devrait être, lui aussi, plutôt à la hausse», considère avec prudence Robert Levesque, tant il est délicat de faire des pronostics vu l’influence des taux d’intérêt.

 

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Perte d’une tonne de terre par hectare

En dix ans, l’agriculture a perdu l’équivalent d’un département français principalement pour cause d’urbanisation. Il reste à préserver l’existant. Or le potentiel agronomique d’une partie de nos sols se dégrade. «Près de 18% de la surface du territoire français sont concernés par l’érosion, notamment la Haute-Normandie, le Bassin parisien et le Sud-Ouest (cliquez sur la carte ci-contre )», souligne Pierre Stengel, directeur scientifique à l’Inra d’Avignon. Selon la Commission européenne, l’érosion présente la principale menace pesant sur les sols: elle aboutit à la perte irréversible de surfaces cultivables (lire l'article "Dégradation des sols en Europe : 38 milliards d'euros par an "). Les pertes de terre atteignent une tonne par hectare et par an en France. Certaines zones culminent à 40 tonnes. «Les agriculteurs y sont sensibles. Ils savent qu’ils ne peuvent pas cultiver en présence de ravines. En revanche, le grand public imagine souvent que nous ne pouvons agir que sur l’eau et l’air, mais pas sur le sol. Pourtant, en Australie, les consommateurs peuvent déjà acheter du pain à base de blé produit selon des pratiques qui limitent l’érosion», indique Luc Thiébaut, professeur d’économie et politique de l’environnement à l’Etablissement national d’enseignement supérieur agronomique de Dijon (Enesad).

Un bon taux de matières organiques limiterait l’érosion hydrique. Mais il diminue dans certaines régions. «En Bretagne et en Lorraine, des prairies ont été reconverties en cultures annuelles. Ce retournement a entraîné une baisse du taux de matières organiques. En revanche, le Bassin parisien connaît aujourd’hui une légère hausse de ce taux grâce à l’évolution des pratiques culturales des agriculteurs, précise Pierre Stengel, de l’Inra. Le brûlage des pailles ne se pratique plus. Les labours deviennent moins profonds. Du coup, les restitutions au sol augmentent.» La matière organique joue un rôle pivot dans les fonctions du sol, comme le rappelle un rapport de l’Ifen (Institut français de l’environnement) sur le stock de carbone dans les sols agricoles paru en 2007: «En libérant des éléments nutritifs lors de leur minéralisation, les matières organiques favorisent la fertilité. Elles augmentent la résistance du sol au compactage, son aération et sa réserve en eau, favorisant la biodiversité du sol. Elles permettent enfin de piéger les pollutions par rétention des métaux toxiques ou de micropolluants organiques.»

 

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Contaminations inventoriées

Autre danger qui guette les sols: la pollution, même si elle diminue. Les contaminations ponctuelles de la terre par des éléments traces métalliques ont généralement une origine industrielle (cadmium, plomb…). L’Ifen, l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise des énergies) et l’Inra réalisent actuellement un inventaire complet des sites pollués. Les épandages de boues de stations d’épuration ont aussi fait des dégâts par le passé, mais un dispositif réglementaire de 1998 permet d’exclure certaines zones de ces épandages. Enfin, l’agriculture elle-même est incriminée: application des pesticides, épandage de lisier riche en zinc et cuivre, pulvérisation de cuivre sur les vignes… «L’accumulation du cuivre dans le sol pose un réel problème. Il affecte la biologie du sol et est toxique pour la majorité des cultures si le vignoble est arraché ou si l’érosion «transfère» l’élément», déclare Pierre Stengel.

 

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Bagarre pour le foncier

La faible disponibilité des terres provoque des conflits d’occupation du territoire. Pour Jean Salmon, éleveur dans les Côtes-d’Armor et ancien vice-président de l’APCA (Assemblée permanente des chambres d’agriculture), «les bagarres pour le foncier vont se poursuivre». Selon lui, si le rapport des agriculteurs à la terre a beaucoup évolué depuis les années 1960, les outils mis alors en place, comme les Safer, gardent toute leur pertinence à condition qu’ils évoluent. «Avant les années 1960, la terre était d’abord un patrimoine privé. De 1960 à 1990, elle a été considérée et gérée comme un support de l’outil de production. Les agriculteurs devaient produire pour nourrir le monde. Désormais, la terre est vue par tout le monde comme un patrimoine collectif à préserver. Après le dossier de l’environnement, le dossier de la consommation de l’espace devient prépondérant.» Jean Salmon admet que la pénurie de foncier sera un facteur limitant pour les agriculteurs, mais sans pessimisme: «Nous sommes à la veille de réaliser des prouesses technologiques. Comptons sur des améliorations génétiques, sur de meilleurs parcours techniques… La France aurait tort de ne pas être à la pointe de la technologie. Nous sommes condamnés à être économiquement durables et écologiquement performants.»

 

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Sigles et abréviations

Cirad: Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement.

SCAFR: Société de conseil pour l’aménagement foncier et rural (liée aux Safer).

Inra: Institut national de la recherche agronomique.

POS: plan d’occupation des sols.

PLU: plan local d’urbanisme.

SCOT: schéma de cohérence territoriale.

ZAP: zone agricole protégée.

PAEN: périmètre de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains.

Enesad: établissement national d’enseignement supérieur agronomique de Dijon.

Ifen: Institut français de l’environnement.

Ademe: Agence de l’environnement et de la maîtrise des énergies.

APCA: assemblée permanente des chambres d’agriculture.

 

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dossier réalisé par Aurore Coeuru, Florence Melix et Marie-Gabrielle Miossec

(publié le 25 janvier 2007)



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