Ils s’étaient tous donné le mot. Le 19 mars au soir, une quarantaine de présidents d’organisations professionnelles et de syndicats viticoles français ont assisté au colloque sur les droits de plantation au Parlement européen de Bruxelles. « Il fallait faire masse », explique l’un d’eux. Il fallait venir en nombre pour convaincre la Commission européenne que la viticulture tient absolument à conserver les droits de plantation.
Les autres pays viticoles ont également battu le rappel. Si bien que le colloque a attiré plus de 300 participants. Un succès pour ce genre d’événement de lobbying.
La réunion était organisée par le Parti populaire européen, le principal parti du Parlement européen, et présidée par Astrid Lulling, présidente du groupe en charge de la viticulture au Parlement.
Bruno Le Maire s’est exprimé le premier. « La France ne cédera pas tant qu’elle n’aura pas eu gain de cause, a-t-il prévenu. Ceux qui tablent sur les prochaines élections pour espérer un changement se trompent. Ce sujet n’est ni de droite, ni de gauche. Il est d’intérêt national. » Puis il a pronostiqué que le groupe de travail de haut niveau, mis en place par la Commission européenne, « établira la nécessité de maintenir les droits de plantation ».
Douze orateurs lui ont succédé. Tous ont pilonné la libéralisation des plantations. Ils ont redouté ou prédit l’industrialisation de la viticulture, son déplacement des coteaux vers les plaines et la dépopulation de zones difficiles dont la seule richesse est la vigne. Ils ont appelé à la défense des intérêts des producteurs européens.
Reposant sur un tissu d’exploitations familiales, la viticulture européenne est « un modèle unique au monde. La libéralisation des droits de plantation risque de lui porter un coup fatal », a averti Mario Catania, le ministre italien de l’Agriculture.
« On a dépensé un milliard d’euros pour arracher des vignes. Personne ne comprendrait qu’après cela, on libéralise leur plantation », a souligné le ministre autrichien de l’Agriculture.
Après une heure de critiques en règle, une autre voix s’est élevée, celle de José Ramon Fernandez, secrétaire général du Ceev (Comité européen des entreprises du vin), l’organisation qui représente le négoce.
Il a rappelé que la viticulture européenne perd des parts marchés face à ses concurrents. Or, « nous avons le patrimoine, les outils et les ressources pour renforcer notre leadership, a-t-il déclaré. Mais il faut de la flexibilité. L’interdiction de planter pour tous, dictée par Bruxelles, n’est pas l’outil adapté et souple dont nos entreprises ont besoin. Il faut un cadre qui permette aux interprofessions de gérer le potentiel de production.
Il a aussi convenu que la « viticulture a besoin de régulation économique ». Mais c’est aux interprofessions de réguler l’offre, « y compris par la gestion des droits de plantation ». Une position défendue par le négoce français.
La députée européenne anglaise Anthea McIntyre a fait entendre la seconde voix discordante du colloque : « Je suis d’une région qui devient peu à peu viticole. Nous ne sommes pas une menace. Nous n’avons pas de réglementation sur les droits de plantation. Ne nous imposez pas un système qui nous empêchera de devenir une région viticole émergente. »
Reprenant la parole, Astrid Lulling l’a avertie : « Si vous poursuivez vos plantations, vous serez soumis à la réglementation communautaire », allusion au fait que la Grande-Bretagne bénéficie d’une dérogation en raison de la petite superficie de son vignoble, dérogation qui disparaîtra si elle devient un pays producteur.
Puis Astrid Lulling a accordé la parole à Alexandra Catalao, membre du cabinet de Dacian Ciolos, le commissaire européen à l’Agriculture. Cette intervenante a commencé par une pique. « La date finale pour l’interdiction de plantation sera le 31 décembre 2018, puisque tous les pays membres sont contre la libéralisation. » Une manière de rappeler que si le réglement européen autorise les États à libéraliser les plantations dès le 1er janvier 2016, il n’impose de le faire qu’après le 31 décembre 2018.
Par la suite, Alexandra Catalao s’est voulue rassurante. Elle a dit que le commissaire avait entendu les préoccupations de la filière. Elle a expliqué que le groupe de travail de haut niveau se réunirait quatre fois cette année, le premier rendez-vous étant fixé au 19 avril. « Nous allons entendre ce groupe. Je suis là pour vous assurer que la Commission n’a pas encore pris de décision. »
Michel Dantin, député européen, rapporteur du Parlement sur le projet de réforme de la Pac, y compte bien. Il a annoncé qu’il introduira dans son rapport la proposition de « reconduire les droits de plantation sans date limite de fin ». Encore une épine dans le pied de la Commission. Face à toutes ces pressions, à quelques exceptions près, tous les participants partageaient l’avis qu’il serait inadmissible que la Commission ne cède pas.
(Article publié sur www.lavigne-mag.fr)