Dans le Tarn, une poignée d'irréductibles reproduisent à leur échelle les techniques de harcèlement éprouvées à Notre-Dame-des-Landes pour protéger une zone humide et des petites bêtes à ventouse qui peuplent ses eaux.
Depuis plusieurs semaines, les « zadistes », inspirés par la « zone à défendre » créée dans la Loire-Atlantique, mènent la vie dure à tous ceux qui incarnent le projet qu'ils combattent. Ils ne sont pas nombreux, mais exaspèrent les gendarmes appelés plus souvent qu'ils ne le souhaiteraient à sécuriser les travaux préparatoires à un vaste projet d'aménagement.
Il ne s'agit pas ici de construire un aéroport près de Lisle-sur-Tarn, mais un barrage visant à soutenir l'étiage d'un petit affluent du Tarn et assurer l'approvisionnement en eau des exploitations agricoles voisines. Mais c'est un réservoir de biodiversité de 13 hectares qui est appelé à disparaître et la tension va grandissant à mesure que les échéances approchent au pied de la forêt de Sivens.
« On veut occuper le terrain et expérimenter d'autres modes de vies, d'autres modes de production, d'autres rapports sociaux », explique Laurent, un « anar » aux longues dreadlocks, venu comme d'autres de Notre-Dame-des-Landes pour lancer la « Zad du Sud-Ouest ».
« On est sur un grand projet inutile » qui correspond à une vision dépassée de l'agriculture, renchérit Lydie, une des participantes locales au collectif « Tant qu'il y aura des bouilles », un « tarnisme » pour désigner des terrains humides pas rentables.
Commando encagoulé
Le collectif a vu le jour en octobre quand, au bout de dix ans, la préfecture a donné son feu vert au barrage-réservoir de 1,5 million de mètres cubes sur le Tescou.
Les militants se sont installés – illégalement, reconnaissent-ils – dans une ancienne ferme appartenant au conseil général, maître d'ouvrage du barrage.
Depuis peu, ils vivent dans des conditions plus spartiates encore, dans une cabane montée à la hâte au côté d'un chapiteau. Un commando encagoulé d'une vingtaine de personnes a saccagé la ferme, se désolent les zadistes, qui en appellent aux bonnes volontés pour venir défendre la place de manière pacifique.
Ils construisent des cabanes dans les arbres et mènent des rondes. Ils veulent empêcher la déforestation prévue en février, puis la construction du barrage au printemps. Ils ont déjà fait avorter des prélèvements de reptiles et d'amphibiens. Il a fallu déployer des dizaines de gendarmes pour que des naturalistes mandatés par le conseil général collectent une soixantaine de lamproies du Planer, une espèce protégée de vertébré primitif en forme d'anguille à la bouche pourvue d'une ventouse.
En cas de destruction de zone humide, les autorités sont en effet tenues de déplacer les espèces et, pour chaque hectare noyé, de recréer 1,5 hectare de zone humide ailleurs.
Cordulies à corps fin
Pour les défenseurs du projet, il y va de l'avenir des agriculteurs. « Le barrage permettra de sécuriser ceux qui irriguent déjà et aux agriculteurs de se diversifier », par exemple dans la production de semences pour des entreprises spécialisées, source de valeur ajoutée, dit Philippe Jougla, président de la FDSEA. Il dément que le but soit de faire de la monoculture de maïs. « Ce n'est pas l'économie du Tarn et encore moins de cette vallée », dit-il.
Stéphane Mathieu, chargé de l'eau au Département, souligne aussi la nécessité de soutenir un cours d'eau dans « un bassin versant qui s'assèche dramatiquement d'année en année ».
Les adversaires leur opposent le coût élevé du barrage (8 millions d'euros) pour « l'irrigation intensive » d'une vingtaine d'agriculteurs seulement. La FDSEA parle de 80.
Ils sont vent debout contre la disparition d'une zone qui abrite 94 espèces protégées, telles les cordulies à corps fin (une espèce de libellule), les grenouilles rieuses, les pipistrelles (chauves-souris) de Kuhl, ainsi que des bois remarquables (aulnaies, frênaies), raconte Christian Conrad, membre d'un autre front du refus, le « collectif pour la sauvegarde de la zone du Testet ».
Une zone humide, c'est « une éponge naturelle qui absorbe l'eau l'hiver et la relâche doucement l'été ». Une telle « niche écologique, ça ne se recrée pas comme ça, ça prend des millions d'années », s'exclame-t-il.
Ce collectif, qui regroupe des associations de défense de l'environnement, veut lui agir contre le barrage par les voies légales mais vient d'être débouté d'une de ses actions en justice.