Les incertitudes juridiques et la constitution de supercentrales d'achat ont ravivé les tensions pour les discussions annuelles sur les tarifs entre la grande distribution et ses fournisseurs. Jusqu'à la limite, et peut-être au-delà.
« Cette année, c'est très très tendu. On dit ça tout le temps, mais là on est encore monté d'un cran », selon l'Ania, représentant des industriels de l'agroalimentaire, interrogé par l'AFP.
« On est passé de 7 à 4 acteurs face à nous »
Depuis octobre et jusqu'au 28 février dernier délai, distributeurs et fournisseurs (producteurs et industriels) doivent s'accorder sur les tarifs auxquels les premiers vont payer les produits des seconds sur l'ensemble de l'année.
Mais, sur fond de guerre des prix depuis plusieurs années, Auchan et Système U ont uni leurs forces depuis septembre, suivi par Casino et Intermarché, puis Carrefour et Cora, constituant des centrales d'achat géantes, renforçant encore leur poids dans ces discussions tarifaires.
« On est passé de 7 à 4 acteurs face à nous », ce qui a contribué à durcir les postures et les demandes de baisses de prix, selon l'Ania, introduisant en outre « une complexité technique supplémentaire », source de retard.
A cela se sont ajoutés des flous liés à la récente loi Hamon, qui modifie le cadre juridique des négociations.
Une « pression supplémentaire : celle du temps »
D'où une « pression supplémentaire : celle du temps », ont expliqué les industriels.
Pour Richard Panquiault de l'Ilec, une association d'industriels, les retards semblaient même si importants à la mi-février que le risque de ne pas aboutir dans les temps apparaissait bien réel.
« Beaucoup d'entreprises anticipent déjà le fait qu'il n'y aura pas d'accord. Nous sommes devant un risque juridique inédit », déclarait-il au magazine professionel LSA.
Il existe un risque d'accord conclus, « à la va-vite, nous mettant sous la menace de demandes de compensations de marges » que réclament parfois les distributeurs pour « rattraper » des accords qui ne les satisfont pas, ajoute l'Ania.
Système U voit « comme chaque année, beaucoup de postures de la part des industriels ». « La réalité est plus nuancée : il y a des dossiers où ça coince, mais d'autres où les discussions ont déjà abouti. Après, c'est vrai que le contexte économique n'est pas bon, et cela n'aide pas à la sérénité des négociations, qui sont chaque année, plus compliquées ».
Auchan, Système U et Carrefour ont annoncé les nominations de médiateurs
Pour calmer les tensions, le gouvernement avait convoqué une table-ronde le 11 février. En vain, la réunion ayant même contribué à raviver les antagonismes en évoquant des assignations prochaines devant la justice de certains distributeurs.
Michel-Edouard Leclerc avait alors implicitement accusé Bercy de mettre de l'huile sur le feu.
Et pour l'Ania, son président Jean-Philippe Girard avait dénoncé une « situation de blocage sans précédent ». « Les pressions sur les fournisseurs se sont intensifiées et les mauvais comportements se sont multipliés », malgré les déclarations de bonne intention lancées à l'automne.
Dans une ultime tentative d'apaisement, Auchan, Système U et Carrefour ont annoncé jeudi les nominations de médiateurs pour résoudre les éventuels conflits avec leurs fournisseurs.
Cependant, à 48 heures de la date-butoir, d'un côté, les industriels s'insurgent toujours contre des demandes de baisses de prix trop importantes de la part des distributeurs, les jugeant sans rapport avec la situation des marchés et des entreprises.
Les marges des géants de l'agroalimentaire
De l'autre, la FCD, qui représente la grande distribution souligne que les marges des géants de l'agroalimentaire restent « encore sept fois plus élevées que celle de la grande distribution ». Elle ajoute que les baisses de prix, souvent justifiées par celles des matières premières, ont été compensées par des hausses de volumes, permettant largement aux fournisseurs de rentrer dans leurs frais.
Et chacun de menacer l'autre, de déréférencement ou de refus de livraisons.
En revanche, une majorité de PME annonçaient, elles, avoir bouclé leurs négociations, se félicitant que les accords signés avec la FCD et Leclerc garantissent des tarifs respectueux des petits producteurs.
Et une fois n'est pas coutume, les producteurs laitiers, d'habitude les plus virulents pour dénoncer les conditions de négociations, se sont déclarés lundi « sereins », pensant aboutir à des baisses de prix raisonnables, d'environ -2%.