Le manque de visibilité à long terme des producteurs de grandes cultures perturbe la performance des exploitations et l'imprévisibilité des cours accentue les écarts de performance entre les producteurs. Du point de vue de la production de blé, la France doit veiller à s'accorder avec les standards internationaux de qualité si elle veut rester dans la course de l'exportation.
Le congrès Orama (Sommet du végétal), organisé les 23 et 24 janvier 2013 à Evreux (Eure), a proposé une table ronde relative à la capacité des acteurs de la filière céréalière à répondre aux marchés. Philippe Chalmin, professeur à l'université Dauphine, Jean-Philippe Everling, directeur de Granit Négoce (Axéréal), et Jean-Marie Seronie, directeur de CER France Manche, ont animé le débat.
« Nous sommes au début de l'année 2013 et nous venons de voir la troisième crise des marchés en cinq ans, a indiqué Philippe Chalmin. Celle de 2007-2008 a été initiée par le phénomène climatique El Nino en Amérique du Sud. Celle de 2010 est survenue avec la sécheresse en Russie et l'embargo qui a suivi. Enfin, 2012 a été marqué par une grave sécheresse aux Etats-Unis. »
Malgré les difficultés climatiques de l'année, la production mondiale de grains reste élevée : 2,8 milliards de tonnes de céréales et oléagineux. Cependant, ce n'est pas suffisant. Les stocks sont bas, et ne représentent que 20 % de la consommation mondiale. « Nous sommes sur le fil du rasoir, les pertes sur la mer Noire représentent 15 Mt de céréales, or, la demande alimentaire du Maghreb et du Moyen-Orient se maintient. »
En maïs, les exportatons américaines ont fortement chuté et ont difficilement été compensées par l'origine brésilienne. Pour 2013, Cyclope (société d'études, spécialisée dans l'analyse des marchés mondiaux des matières premières, dirigée par le professeur Chalmin), prévoit un prix moyen inférieur à 2012 dans la situation d'une climatologie normale.
L'agriculture et l'agroalimentaire occupent le cinquième poste positif de la balance commerciale française, rappelle Jean-Philippe Everling. Soit l'équivalent de 100 Airbus A320 par an ». Les exportations captent 50 % de la production française de blé (le prix payé au producteur est fait par l'export). Depuis 2007-08, on exporte plus sur les pays tiers que sur l'Union européenne. Avant, c'était l'inverse. Ce que l'on exporte vers les pays tiers, c'est du blé meunier (très peu de blé fourrager). 40 % de la demande mondiale de blé est située en Afrique.
« Les bilans sont tendus mais il reste des stocks ; nous ne sommes pas dans une situation de pénurie », insiste Jean-Philippe Everling. Pour alimenter ces marchés de proximité, il faut avoir du blé de qualité. Depuis quelques années, le taux de protéines des blés français est un peu juste. Les Allemands produisent des blés avec un taux de protéines supérieur aux nôtres. Historiquement, ils alimentent les marchés de l'Afrique de l'Ouest, de l'Iran et de l'Arabie Saoudite. Mais lorsque l'Allemagne a un petit problème de qualité, elle se reporte sur les clients de la France (un peu moins exigeants en termes de protéines).
« Par contre, si la France à un problème de qualité, cela risque de nous fermer de nombreux marchés, explique l'exportateur. Il faudrait que nous arrivions à 78 de PS, 11,5 de protéines avec des blés plus secs. Lorsque l'on vend sur l'Egypte, les critères sont fixés à 11,5 de protéines et 11 % d'humidité. Si les taux sont un peu limite, on peut vite avoir 10 €/t de réfaction. Il faut s'enlever de la tête qu'on a les meilleurs blés du monde et que les blés de la mer Noire sont mauvais. C'était vrai il y a dix ans, mais la Russie a fait de nombreux progrès. Le standard russe est aujourd'hui à 200 de W et 12,5 de protéines. »
« Le contexte de marché est actuellement porteur et c'est un message d'espoir qui se dégage actuellement pour les producteurs de grandes cultures, estime Jean-Marie Séronie. Cependant, un élément nouveau rythme la vie des exploitations depuis 2006-07 : l'imprévisibilité des cours. Cela change complètement le comportement du producteur et cela devrait être un signal pour faire évoluer le mécanisme de soutien de la Pac. »
La première conséquence de ce phénomène nouveau est le creusement des écarts de performance entre les exploitations. « En moyenne, nous avons sur trois ans des valeurs ajoutées (produits moins charges directes) qui varient de 1 à 3, constate le spécialiste. Si on ramène cette valeur ajoutée au produit brut, le rapport est de 1 à 2. La valeur ajoutée varie de 20 à 40 % du chiffre d'affaires en moyenne. Cette efficacité à un plafond situé entre 45 et 50 %. » Les écarts sont d'autant plus élevés que les cours sont importants. Quand on regarde les prix moyens de vente entre les 10 % qui ont le mieux vendu et les 10 % qui ont le moins bien vendu, les écarts sont de 20 €/t avant 2007, entre 70 et 75 €/t en 2007, de 20 €/t en 2009 et de 70-75 €/t en 2011.
« Pour améliorer les performances des exploitations, la tendance à suivre est celle du regroupement, estime Jean-Marie Séronie. L'ensemble des compétences de chef d'entreprise agricole sont difficiles à acquérir tout seul. La voie d'avenir est de garder la structure familiale des exploitations en améliorant leurs compétences grâce à des alliances (assolement en commun par exemple) ».