Publié le vendredi 13 décembre 2013 - 16h52
Le marché du e-commerce alimentaire foisonne d'initiatives, mais tarde à s'organiser. Les producteurs doivent investir le web s'ils veulent garder la main sur leurs débouchés et préserver leur valeur ajoutée.
En 2015, près de 15 % des ventes alimentaires se feront sur internet. Les géants de la distribution 2.0 ne s'y trompent pas : le site Vente-privée.com a lancé cet automne une plate-forme réservée à son épicerie, à grand renfort de communication sur « les produits régionaux ». Dès 2014, Amazon déclinera en Europe son concept de livraison de produits frais. De leur côté, les enseignes de la grande distribution peinent à trouver une rentabilité aux « drives », mais multiplient leurs créations pour occuper le terrain.
Structurer le marché
Pour le monde agricole comme pour les circuits alternatifs de distribution, le signal est clair : l'offre se structurera sans eux, s'ils ne marquent pas rapidement leurs positions. Or le marché se cherche encore. « Nous sommes dans un contexte de prolifération des offres et de confusion des discours », note Marc Sahraoui, directeur du développement du site Paysan.fr. Un constat partagé par l'économiste Jacques Mathé, du réseau CER France. « Les initiatives fourmillent, mais l'ensemble est encore extrêmement amateur », analyse-t-il. La bonne nouvelle, c'est que tout reste à bâtir. Encore faut-il que les agriculteurs trouvent leur place dans cette jungle.
Relever les défis logistiques
Pour un producteur isolé en pleine campagne, l'internet est avant tout un outil incontournable de mise en relation. Comme le prouvent des plates-formes telles que « Agrilocal » ou « Bio et local », qui permettent d'accrocher des acheteurs de la restauration collective.
Passer dès lors de la communication à la vente directe a des répercussions sur l'exploitation. « L'offre proposée sur le web doit être en adéquation avec la réalité des stocks ou des capacités de production. Les dysfonctionnements font fuir les clients », alerte Jacques Mathé.
Se pose ensuite la question de la livraison. Colis, tournées à domicile, dépôt dans un lieu de retrait... Le choix est vaste et, là encore, il conditionne l'organisation du travail. Dans un récent colloque pointant les difficultés logistiques des circuits courts, à Vierzon, Estelle Rondeux, de la Draaf du Centre, affirmait qu'en la matière, « il n'y a pas de place pour l'amateurisme ».
Devenir un professionnel du e-commerce demande du temps et des compétences, et de nombreux intermédiaires se ruent pour prendre le relais logistique des producteurs. Avec plus ou moins de succès. Certains sont pilotés par la profession, comme les « drives fermiers », concept porté par les chambres d'agriculture.
D'autres naissent d'initiatives privées, comme « La ruche qui dit oui ». Les commissions varient autour de 15 %. L'investissement vaut-il le coup ? Pour Guilhem Chéron, cofondateur de « La ruche qui dit oui », cela ne fait aucun doute. « Offrir une simple plate-forme de e-commerce ne suffit pas. Il est impératif d'avoir des outils performants, et donc des moyens et des compétences, pour ajouter des fonctionnalités en permanence : historique des commandes, statistiques précises, analyse des ventes... »
Une dizaine de développeurs informatiques travaillent en permanence sur son réseau. Et le succès est au rendez-vous : on compte aujourd'hui plus de trois cents ruches réparties sur le territoire. En face, les « drives fermiers » ne décollent pas. « Les schémas sont différents, explique Alain Monget, directeur du service de l'Agritourisme à la chambre d'agriculture de la Gironde. Un drive fermier se construit comme un point de vente collectif, à partir d'un groupe d'agriculteurs. Cela prend plus de temps à mettre en place qu'une ruche, dans laquelle le responsable cherche lui-même les producteurs dont il a besoin. »
Elargir la zone de vente
Pour l'économiste Jacques Mathé, la limite de ces deux systèmes tient au fait qu'ils ne proposent rien de neuf en termes de zone géographique de commercialisation. « Au contraire, ajoute-t-il, celle-ci se rétrécit car les clients ne vont pas faire deux cents kilomètres pour venir chercher un panier. » Ce qui peut poser un problème pour un producteur de foie gras en Dordogne, par exemple, qui aurait tout intérêt à vendre en dehors de son département, voire à l'étranger, pour éviter la concurrence.
D'autres sites commerçants font le pari de livrer sur toute la France : « Paysan.fr », « Mon-marché.fr », « Ecomiam »... Leur recette : miser sur les volumes. « Pour vivre de la vente sur internet, il faut proposer une large gamme de produits car la logistique coûte cher », justifie Marc Sahraoui. Près de 30 % du prix selon lui. « Il est très difficile de passer en dessous de 25 %, à moins d'augmenter encore les volumes et de multiplier les entrepôts sur le territoire. »
L'inconvénient pour le producteur est qu'il retombe dans un système de centrales. Il livre ses produits à une plate-forme, alors qu'internet lui permettrait une mise en relation directe. C'est pourquoi certains croient davantage à un modèle collectif, qui laisserait la gestion de l'infrastructure web à un tiers, mais dans lequel la logistique et la livraison seraient assurées par les producteurs. « Cela lèverait les freins qui pèsent encore sur le secteur », estime Jacques Mathé.
Référencer les initiatives
Le défi qui se pose est d'inculquer une « culture web » et « start-up » dans le monde agricole. Et d'assurer une synthèse entre le militantisme et le jeu entrepreneurial, à l'image de l'effervescence américaine en la matière, depuis les années 2000 (lire l'encadré). Bien sûr, les annuaires tentant de recenser les initiatives de vente directe se multiplient. Surtout autour des grandes villes. Mais « la plupart sont mort-nés, car il n'y a pas assez de producteurs inscrits et souvent aucun projet de valorisation derrière », note Damien Kuhn, fondateur de l'agence Producteurs locaux.
Ce dernier promet pour le printemps prochain « une plate-forme idéale pour développer les circuits courts ». Il s'agirait d'un site (www.producteurslocaux.com) fonctionnant comme un réseau social pour les producteurs, avec « un référencement qualitatif des exploitations » et le recensement de tout ce qui touche aux circuits courts dans un lieu donné (Amap, magasins, drives, ruches, GMS...). Une initiative ambitieuse, car « dans ce marché éclaté, personne n'arrive à avoir une communication forte à l'échelle nationale », regrette Marc Sahraoui.
Outre ses fonctions au sein de Paysan.fr, ce dernier préside l'association des commerces de produits frais en ligne. Avec les autres membres, il entend mener prochainement une campagne publicitaire pour « rassurer le client » sur la qualité des denrées fraîches vendues sur le web. En effet, des freins existent aussi du côté des consommateurs. Contrairement aux pays anglo-saxons, l'achat alimentaire sur internet marque en France une rupture culturelle. Même à l'ère du tout numérique, il reste difficile d'exprimer l'appétence d'un produit fermier en un clic.
Les Etats-Unis misent sur l'ère numérique du local
Le département américain de l'Agriculture a mis en place un site internet – « Local Harvest.org, real food, real farmers, real community » (en français : vraie nourriture, vrais fermiers, communauté réelle) – pour référencer l'ensemble des exploitations du pays engagées dans une démarche de circuit court. Une carte interactive permet d'avoir accès à toute l'offre de production fermière (adresse des producteurs, listes des magasins fermiers et des marchés...).
Cette initiative publique illustre le « boom » des circuits courts outre-Atlantique. « Les ventes représentaient 12 milliards d'euros en 2011, soit une augmentation de 100 % en cinq ans, souligne l'économiste Jacques Mathé. On dénombre 152.000 fermes en vente directes et, alors qu'il n'existait aucun marché de plein vent il y a encore quinze ans, on en compte 8.700 aujourd'hui ! »
Dans la célèbre Silicon Valley, haut lieu californien des initiatives techniques et économiques à effet mondial, on foisonne d'idées pour accompagner ce mouvement. Google et le site d'enchères Ebay, par exemple, investissent dans le secteur pour accompagner le recensement des producteurs d'un système de commande. Les circuits courts seraient-ils un nouvel Eldorado ?
Alain Cardinaux
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