En l'état actuel du texte, les dispositions relatives à la contractualisation des filières dans la loi de modernisation de l'agriculture (LMA) se heurtent au droit européen de la concurrence. En effet, ce droit bannit toute recommandation sur les prix. Or, c'est précisément les pouvoirs que la profession et Nicolas Sarkozy voudraient voir accorder aux organisations de producteurs (OP).
« Les garde-fous publics doivent se limiter à encadrer la durée du contrat, à préciser les modalités de révision en cours de contrat et à proposer des formules d'indexation des prix, a recommandé Jean-Marc Belorgey, rapporteur général adjoint à l'Autorité nationale de la concurrence, à l'occasion d'un colloque organisé le 11 mars 2010 par la FNPL, la CGB et le groupe "professions juridiques" de l'ESCP. L'idée est qu'une fois le cadre législatif défini pour chaque organisation, le producteur garde l'autonomie du comportement. »
Il rappelle que le droit de la concurrence peut aussi servir les intérêts de l'agriculture. Il permet notamment de sanctionner les « abus de position dominante » et les « abus de dépendance économique ». Il n'est donc pas nécessairement dans l'intérêt des agriculteurs de demander une exception agricole. D'ailleurs, les seules exceptions admises, dans le cadre de l'article 176 du règlement européen créant l'OCM unique, sont interprétées très strictement par la Cour de justice européenne.
Pour contrer ce mauvais rôle que le monde agricole donne au droit de la concurrence, Alina Burea, responsable de l'unité "antitrust" au sein de la direction générale de la concurrence à la Commission européenne a expliqué qu'il « existe des règles qui permettent aux producteurs de renforcer leurs positions », dans le respect des règles actuelles de la concurrence. Elle s'est focalisée plus spécialement sur la filière laitière alors que le groupe à haut niveau doit publier ses réflexions à ce sujet la semaine prochaine.
Mais ces dispositions sont applicables à tous les secteurs. « Elles sont nombreuses mais souvent méconnues. Ce manque d'information est le premier obstacle à lever », a-t-elle estimé. En effet, au niveau européen, « il ne faut pas s'attendre à un miracle », a prévenu Tomas Garcia Azcarate, responsable de la coordination et des analyses économiques à court terme des marchés agricoles au sein de la direction de l'agriculture à la Commission européenne. « Les Etats membres ont des positions complètement différentes. Les pays nordiques, anglo-saxons et l'Allemagne sont défavorables aux positions françaises », a renchéri Alina Buera.
Le droit européen de la concurrence autorise « les groupes de négociation collective au niveau régional à condition qu'ils représentent moins de 40 millions de chiffre d'affaires et pèsent moins de 5 % de part de marché (ndlr, leur marché de référence) ». Les OP peuvent vendre ensemble des produits si leur part de marché ne dépasse pas 15 % et qu'elles passent par un agent mandaté pour vendre au meilleur prix. Concrètement, chaque agriculteur doit fixer avec l'agent un « prix de réserve », puis l'agent peut réunir le volume de plusieurs producteurs pour mieux négocier. Cet agent peut par exemple prendre la forme d'un GIE (groupement d'intérêt économique).
Troisième solution : il est possible de se regrouper et de vendre à prix unique si c'est à la demande d'une acheteur de grande taille et pour lancer une nouvelle marque. Autre possibilité : les agriculteurs peuvent se mettre d'accord sur un prix si la collecte est commune (deux agriculteurs, une association...) Et les possibilités offertes par le droit de la concurrence sont encore nombreuses.
A noter qu'en deçà de ces seuils, les Etats membres sont libres de déterminer quand les règles nationales s'appliquent. Au-delà, les regroupements ne sont pas interdits, mais leur impact sur le marché est analysé au cas par cas.