Faut-il sacrifier le statut du fermage au profit d'une totale liberté contractuelle ? Ce vieux débat est relancé à l'occasion de la future loi d'avenir agricole, qui sera présentée en conseil des ministres cet automne, avant discussions parlementaires cet hiver. Donnant la parole à des juristes, notaires et centres de gestion, un rapport du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), remis au ministère de l'Agriculture en juillet, tranche la question : il insiste sur l'importance d'un ordre public fort « pour assurer la sécurité foncière et la pérennité de l'exploitation agricole ».
« Si le statut du fermage doit rester la référence principale, le bail cessible et le fonds agricole pourraient offrir un cadre juridique complémentaire permettant d'offrir aux fermiers une alternative à la course à l'acquisition foncière pour garantir la sécurité foncière de leur exploitation, de faciliter le développement d'un marché de la terre occupée, ou encore de favoriser le recours au cadre légalisé offert à la pratique du pas-de-porte », précise le rapport.
Encore faut-il rendre plus attractifs ces dispositifs, boudés depuis leur création, en 2006. Selon les personnalités consultées pour l'élaboration de ce rapport (1), « l'une des causes principales de l'échec du bail cessible tient aux imprécisions des textes en ce qui concerne le mode de calcul de l'indemnité de non renouvellement du bail, et, par conséquent, à l'impossibilité des parties d'évaluer, en début de bail, les risques financiers encourus à échéance ». Outre la définition légale d'un mode de calcul d'application simple, avec comme référence « l'écart des prix du marché entre foncier libre et foncier occupé », ils préconisent davantage de liberté contractuelle pour fixer cette indemnité de non-renouvellement, en fonction des projets poursuivis.
Par exemple, pour un bail destiné à être renouvelé, le contrat devrait prévoir « une indemnité forte, protectrice pour le fermier et dissuasive pour le bailleur qui souhaiterait reprendre ». A l'inverse, pour un bail assorti d'une promesse de vente des terres en fin de bail au profit du preneur, il faudrait privilégier « une indemnité d'éviction d'un faible montant pour faciliter la libération des terres à l'initiative du bailleur dans le cas où le preneur, contrairement à ses intentions initiales, n'exercerait pas son option d'achat ».
Autre piste d'amélioration : la durée du bail cessible, et en particulier les périodes de reconduction. « Cette durée restreint la cessibilité effective du bail car, au-delà de la première période de 18 ans, la pérennité de la location peut être remise en cause tous les cinq ans », indique le rapport. La proposition des auteurs : adopter une durée minimale unique de la location et des reconductions de neuf ans, en maintenant une incitation fiscale à consentir des baux à long terme (minimum 18 ans). Ils recommandent également des contrôles plus rigoureux des pas-de-porte, « la poursuite des actions de communication sur le bail cessible par la notariat » et « un aménagement du droit de préemption du fermier en place afin de faciliter un renforcement de la sécurité foncière dans le cadre d'un portage de la terre alternatif à l'acquisition par le fermier ».
« Le fonds agricole devrait aussi contribuer à la mise en place d'un cadre légal pour la cession marchande des exploitations », complète le rapport. Différentes dispositions seraient envisageables pour minimiser « l'obstacle des propriétaires multiples et les inconvénients de l'hétérogénéité des formes de titres avec des dispositions encourageant la transformation des baux. » Par exemple, si un agriculteur vend une exploitation comportant des baux cessibles et des baux non cessibles, ces derniers pourraient être rendus cessibles, uniquement dans le cadre d'une cession globale du fonds, dans les mêmes conditions que s'il s'agissait d'une transmission familiale.
Renforcer le contrôle des structures
Au-delà de ces outils de transmission, le rapport fait une vive critique des assouplissements effectués par la LOA de 2006 en matière de contrôle des structures. « Ces assouplissements ont rendu les fermiers plus vulnérables à la reprise des terres familiales par les ayant droits du propriétaire, et accentuent par conséquent la course à l'acquisition de terres par les fermiers, souligne-t-il. Ils facilitent également l'agrandissement différé sans contrôle, au moment du départ en retraite des parents d'un jeune qui a pu s'installer sur une exploitation voisine sans successeur, en bénéficiant de la priorité accordée à l'installation, et des aides à taux majoré accordé pour les installations hors cadre familial ».
Face à ce constat, le CGAAER recommande une « remise à plat des mécanismes régulateurs, perçus comme inéquitables, pour rétablir une cohérence qui aujourd'hui fait défaut ». La suppression pure et simple du contrôle des structures est une hypothèse envisagée, mais difficilement défendable dans le contexte actuel. Le rapport insiste davantage sur un renforcement du contrôle des structures, en ciblant son contrôle « vers les cumuls ou accaparements, socialement mal acceptés. Pour cela, il est proposé de rétablir le principe d'un contrôle généralisé qui s'exercerait également sur les formes sociétaires, tout en relevant les seuils afin de réduire notablement le nombre de dossiers concernés ».
Quant aux Safer, la mission estime qu'il importe de leur « donner en priorité les moyens d'un accès à une information exhaustive, sans qu'il semble nécessaire a priori de modifier le périmètre du droit de préemption ». Il est ainsi proposé de conforter l'obligation de notification des mutations en définissant des sanctions financières dissuasives dans les cas où le droit de préemption ne s'applique pas, et de rendre obligatoire la notification de toute transaction concernant du foncier, même sous la forme de cession de parts de société.
Enfin, le rapport incite à poursuivre la réflexion sur les éléments favorisant l'installation hors cadre familial, et surtout sur une redéfinition des critères de distribution des aides. « La priorité donnée à l'installation favorise une entrée précoce dans le métier de jeunes issus du milieu agricole, mais l'ensemble du dispositif favorise à l'évidence l'agrandissement anticipé, grâce notamment aux assouplissements du contrôle des structures conjugués avec le recours à des statuts d'exploitation sociétaires », résume le texte.
Ce rapport dresse un bilan sans compromis du statut du fermage et des politiques agricoles poursuivies ces dernières années. Le constat posé, les failles soulignées et les propositions d'amélioration mises sur la table, il reste maintenant à savoir jusqu'où le législateur ira dans ses efforts de modernisation...
(1) Parmi les professionnels consultés : Jean-Marie Gilardeau, spécialiste de droit rural et maître de conférences à l'université de Poitiers, Maître René Le Fur, président de l'Institut notarial de l'espace rural et de l'environnement (Inere), Philippe Boullet, du réseau CER France.
A télécharger :
- Le rapport
- Les annexes
Une injustice qui ne gène personne
jeudi 08 août 2013 - 08h01
Bail cessible ou non, le statut du fermage actuel restera le moyen pour les fermiers de spolier les propriétaires. Quelle injustice pour un propriétaire de foncier -qui ne l'est souvent pas par sa propre volonté- de ne pouvoir disposer de son bien comme il l'entend. Les agriculteurs pourtant très libéraux dans leur esprit, ne le sont plus du tout quand il s'agit de restreindre les droits de leur propriétaires. C'est ma sécurité qui compte avant tout qu'ils disent. Tout pour moi rien pour ces foutus propriétaires...