La compensation des atteintes portées à la biodiversité par tous les projets de travaux est une exigence juridique de plus en plus importante pour les maîtres d'ouvrage. La dernière évolution est issue du dispositif de l'étude d'impact entré en vigueur le 1er juin 2012. Les agriculteurs sont concernés car ce dispositif suppose des mesures de restauration, de réhabilitation, de création ou de préservation d'habitats qui mobilisent au moins autant de foncier que l'emprise des travaux eux-mêmes.
Or, « il n'existe aucune définition de la compensation écologique ». C'est ce qu'a expliqué Marthe Lucas, doctorante et attachée d'enseignement à la faculté de droit de l'Université de Strasbourg, lors du colloque organisé par l'Association française de droit rural (AFDR) et la Saf (Société des agriculteurs de France) à Paris le 22 novembre 2012 sur le thème « l'agriculteur producteur de biodiversité : l'exemple des mesures compensatoires ».
La compensation écologique est prise à la suite des effets négatifs causés par l'homme sur la biodiversité, qu'elle soit ordinaire ou remarquable. Il ne faut pas la confondre avec la compensation environnementale qui fait suite aux effets négatifs sur la santé de l'homme, l'eau ou l'air.
Autant, les maîtres d'ouvrage disposent de moyens de contraindre les acquisitions de terrain liées à l'emprise de leur projet, via l'expropriation, autant ils n'ont aucun outil contraignant pour acquérir les surfaces nécessaires à la compensation des ouvrages.
« Nous n'avons pas de solution miracle, avoue Patrick Linsale, responsable de l'action foncière chez Réseau Ferré de France (RFF). Nous fonctionnons avec la servitude d'utilité publique, les acquisitions amiables, les rétrocessions Safer et parfois, lorsque les agriculteurs sont volontaires, via des baux environnementaux. Nous avons également la possibilité d'accompagner les agriculteurs dans des projets de reconversion ou à travers des aides. » Un fonds de compensation est actuellement à l'étude.
La première fois en 1971
La notion de compensation écologique est apparue pour la première fois en 1971 dans le cadre d'une réglementation internationale sur les zones humides. En France, la notion est prise en compte petit à petit. D'abord en 1976, dans le cadre des études d'impact. Puis en 1997, avec la réglementation sur les installations classées (ICPE) ou encore en 1992 avec Natura 2000, et plus récemment dans le cadre de la trame verte et bleue (2010). « Ces textes sont de plus en plus précis sur les modalités de la compensation, note la juriste. Les actions préconisées sont toujours en nature (création, restauration, réhabilitation de sites naturels), jamais monétaire (deux exceptions légales). »
Le principe de la compensation écologique est de réparer la perte de biodiversité induite par un projet. Les textes exigent une « équivalence » « et si possible » l'« additionnalité écologique » : « Au minimum, l'effet sur la faune et la flore doit être neutralisé. Cela passe par la restauration de milieu, le réaménagement de mares, etc. La compensation est fonction de l'impact et de l'espèce concernée », explique Anne Guerrero, chargée de mission dans le domaine de l'environnement et du développement durable à RFF.
« L'activité humaine et économique est un thème fort dans nos études d'impact », rassure Patrick Linsale. Pour l'instant, la compensation écologique d'un ouvrage se mesure essentiellement en termes d'hectares. Ce qui pose des difficultés sur le terrain. Par exemple, un éleveur peut être compensé hectare pour hectare, mais avec des terres qui ne peuvent être support d'épandage. Son exploitation est alors en péril. Il faudrait un inventaire de la qualité des terres en France. Autre difficulté : assurer l'efficacité écologique des mesures dans le temps.
Double peine
La compensation écologique est souvent interprétée comme une double peine pour les agriculteurs. Mais Lionel Manteau, avocat et membre de l'AFDR Picardie, s'interroge sur les opportunités juridiques de la compensation pour l'activité agricole, autrement dit, la rémunération des services rendus par les agriculteurs. « Ne faut-il pas développer la contractualisation » soit avec les agriculteurs individuellement (comme dans le cadre des MAET), soit à travers les sociétés d'assolement en commun, les associations foncières ou pastorales ou encore, les coopératives de services ? Plusieurs formules juridiques existantes peuvent être adaptées.
« Selon les situations, on peut aussi utiliser le bail environnemental ou le bail emphytéotique avec éventuellement des clauses particulières. Ce dernier aurait l'avantage de répondre au souci d'inscrire les mesures compensatoires dans la durée », souligne l'avocat. Pour lui, ces options permettrait à « l'agriculteur d'être acteur de la protection de l'environnement tout en conservant la maîtrise de son action ».