Les ministres du Travail des Vingt-Huit vont tenter de trouver un accord lundi sur les moyens d'empêcher les fraudes concernant les travailleurs détachés, un sujet explosif à quelques mois des élections européennes et qui réveille le spectre du « plombier polonais ».
En cas d'échec, le texte n'a quasi aucune chance d'être adopté dans la législature actuelle, ce qui entraînera « un statu quo, voire une régression », a prévenu le lundi 9 décembre 2013 le ministre français, Michel Sapin devant ses homologues européens à Bruxelles.
« S'il n'y a pas de révision de cette directive, [...] une fois de plus la construction européenne s'apparentera à un démantèlement de protections acquises de longue lutte et de longue date », a renchéri Benoît Hamon, le ministre de l'Economie sociale et solidaire, à Paris.
D'après une directive [loi européenne] datant de 1996, une entreprise peut « détacher » des salariés dans un autre pays de l'UE pendant deux ans au maximum, à condition d'appliquer certaines règles du pays d'accueil (salaires, conditions de travail) tout en versant les cotisations sociales dans le pays d'origine.
Faute de contrôle efficace, ces principes sont régulièrement bafoués, notamment dans le secteur du bâtiment où nombre de travailleurs détachés sont payés en deçà du salaire minimum.
Si les ministres ne souhaitent remettre en cause la libre-circulation des travailleurs, ils sont divisés sur les moyens de lutter contre les fraudes et les discussions s'annoncent âpres pour renforcer le texte initial.
Deux fronts se dessinent : les pays favorables à plus de contrôles comme la France, à la pointe du combat, et ceux qui craignent de mettre en place un cadre trop contraignant, remettant progressivement en cause le principe du détachement. Parmi eux, on compte plusieurs pays de l'Est (Pologne, Hongrie, République tchèque...), ainsi que le Royaume-Uni et l'Irlande.
A la recherche d'un compromis
Les débats se focalisent sur deux points assez techniques.
Le premier est l'idée, défendue notamment par Paris et Berlin, d'une « liste ouverte » de documents qui peuvent être réclamées à une entreprise détachant des travailleurs, ce à quoi s'opposent les Britanniques qui veulent une liste de documents ferme et définitive.
Il reste également à décider comment impliquer la Commission européenne dans ce processus où elle sera chargée de vérifier la pertinence des contrôles.
Le second point concerne la mise en cause des entreprises donneuses d'ordre comme des filiales impliquées dans les fraudes de travailleurs détachés. Une dizaine d'Etats membres dont la France souhaitent que ce principe de responsabilité soit « obligatoire ». Certains Etats veulent au contraire que ce principe soit optionnel.
Pour que le système soit efficace, « cela suppose qu'il existe dans chaque pays. C'est pour cela que nous ne pouvons accepter un régime optionnel », a souligné lundi le ministre français du Travail.
Pour parvenir à un compromis, Paris évoque notamment la possibilité de lâcher du lest sur « les seuils » (durée de la prestation ou montant des impayés de salaires) à partir desquels le mécanisme pourrait être mis en action lorsqu'un donneur d'ordre fait appel à un sous-traitant.
Vendredi, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, s'est invité dans le débat en appelant la France au « réalisme ». « Je fais un appel à la France pour le compromis, mais aussi à l'Angleterre et à tous les autres pays », a-t-il déclaré. « On doit travailler à un compromis qui puisse aller aussi loin que possible, mais aussi avec un certain réalisme », a-t-il affirmé.
A l'inverse, les syndicats européens plaident eux pour un accord le plus ambitieux possible.
Environ 250 militants syndicaux se sont rassemblés lundi matin devant le siège du Conseil européen, à Bruxelles pour dénoncer une « Europe sociale à deux vitesses ».
« Cette directive est insuffisante et inacceptable », a déclaré Paul Lootens, secrétaire général de la Centrale générale de la FGTB. « Il faut absolument harmoniser les règles sociales européennes pour le bien-être de la population, ou bien ça deviendra un cimetière social. »
Le nombre de travailleurs détachés au sein de l'UE atteindrait 1,5 million aujourd'hui. Rien qu'en France, jusqu'à 350.000 personnes seraient concernées, et seulement une part déclarées : 170.000 en 2012 et 210.000 en 2013 (+23 %).