Les députés ont reconnu mardi soir aux animaux la qualité symbolique « d'être vivants doués de sensibilité », alors que jusqu'à maintenant le code civil les considère comme « des biens meubles ». Ce vote contredit la prise de position du président de la République, à la fin de février dans les colonnes de La France Agricole.
Cette modification législative fait suite à une pétition lancée il y a près de deux ans par la fondation de protection animale 30 millions d'amis, et qui a reçu le soutien de plusieurs intellectuels.
Au terme d'un débat long et animé, les députés ont voté un amendement socialiste en ce sens, dans le cadre d'un projet de loi de modernisation et de simplification du droit, texte fourre-tout qui traite aussi bien des tribunaux fonciers en Polynésie, des procédures de tutelle ou du droit des obligations et dont l'examen se poursuivra mercredi.
Actuellement, le code rural et le code pénal « reconnaissent, explicitement ou implicitement, les animaux comme “des êtres vivants et sensibles” » mais pas le code civil, expliquent les auteurs de l'amendement, au premier chef le député des Hautes-Pyrénées et ancien ministre de l'Agriculture Jean Glavany (PS).
L'amendement doit permettre, selon eux, de « concilier la qualification juridique et la valeur affective » de l'animal. « Pour parvenir à un régime juridique de l'animal cohérent, dans un souci d'harmonisation de nos différents codes et de modernisation du droit, l'amendement donne une définition juridique de l'animal, être vivant et doué de sensibilité, et soumet expressément les animaux au régime juridique des biens corporels en mettant l'accent sur les lois spéciales qui les protègent. »
« C'est un amendement de cohérence avec le code rural et le code pénal. Cet amendement n'entraîne aucune conséquence juridique, aucun effet juridique non maitrisé », a assuré la rapporteure Colette Capdevielle (PS).
Actuellement, la reconnaissance de la qualité d'êtres sensibles aux animaux figure dans le code rural. En revanche, le code civil les classe dans le régime des biens meubles. Les auteurs de l'amendement veulent donner une valeur propre aux animaux, eu égard à leur valeur « affective ».
Pour Stéphane Devillers, juriste à l'Unceia qui suit depuis plusieurs années cette question, ce texte est stupéfiant en droit. « C'est un amendement cavalier qui surgit dans une loi de simplification où il n'a pas juridiquement sa place, nous indiquait-il mardi alors que l'amendement n'avait encore été voté qu'en commission des lois de l'Assemblée. Au surplus, les auteurs de l'amendement insèrent le régime juridique des animaux à la suite des articles concernant les mesures de protection des victimes de violence, soit les femmes et les enfants. Il ne définit pas précisément la notion de sensibilité et exclut en l'état la très grande majorité du règne animal. Il y a une grande incohérence dans tout cela, surtout après l'affirmation du président de la République, il y a deux mois, qu'il ne toucherait pas au code civil. Si le bon sens juridique et le bon sens paysan sont un tant soit peu présents à l'Assemblée nationale, ce soir et demain, le texte ne devrait pas passer. Il est plus qu'imparfait et se poserait la question de sa constitutionalité. »
De son côté, la Fondation Brigitte Bardot a estimé que cette modification était « une simple évolution juridique » et « en aucun cas une révolution pour les animaux ».
« Que le statut de l'animal passe de “bien meuble” à “être vivant doué de sensibilité” est normal. Ce qui est anormal en revanche, c'est de ne pas l'avoir fait plus tôt », a déclaré à l'AFP Christophe Marie, porte-parole de la Fondation.
« Il s'agit simplement d'harmoniser les textes, mais en aucun cas de remettre en cause l'exploitation animale », a-t-il ajouté.
89 % des Français sont favorables à une telle modification du code civil, selon un sondage Ifop réalisé à la fin d'octobre pour 30 millions d'amis.
A la même période, une vingtaine d'intellectuels, philosophes, écrivains, historiens et scientifiques français se sont également prononcé en ce sens.
Il s'agit notamment des philosophes Michel Onfray et Luc Ferry, de l'écrivain Erik Orsenna, de l'Académie française, de l'astrophysicien Hubert Reeves, président de Humanité et Biodiversité, et de Matthieu Ricard, moine bouddhiste et docteur en génétique cellulaire.
L'écologiste Laurence Abeille s'est étonnée de cet amendement alors qu'un groupe d'études sur la protection animale à l'Assemblée prépare une « proposition de loi bien plus ambitieuse sur le statut de l'animal ».
Mme Abeille a présenté des sous-amendements pour remettre en cause des pratiques qui nient, selon elle, cette sensibilité animale comme l'élevage intensif.
Elle a été soutenue par la socialiste Geneviève Gaillard, également membre du groupe de protection animale.
Mais ils ont été rejetés, de même qu'un amendement pour interdire la corrida et les combats de coqs, pratiques qui vont, selon Mme Abeille, à l'encontre du caractère sensible de l'animal. Cet amendement a été jugé « hors sujet » par la rapporteure Colette Capdevielle, députée des Pyrénées-Atlantiques où la tauromachie est répandue.