Depuis vingt ans, Andras Varadi élève des moutons sur un lopin de terre à une soixantaine de kilomètres de Budapest, mais comme de nombreux petits agriculteurs, il risque de tout perdre à cause d'une réforme controversée de l'attribution des terres.
Le terrain de 0,4 ha qu'il exploitait fait désormais partie des 750 ha fraîchement acquis par Lorinc Meszaros, maire du village voisin de Felcsut, dans le canton de Fejer, fief du Premier ministre conservateur Viktor Orban. « A présent, je me bats pour ma survie », déclare cet homme de 48 ans, père de deux enfants, accusant le nouveau système de favoriser des proches du parti conservateur Fidesz au pouvoir. Lorinc Meszaros, ami du Premier ministre, est aussi le président de l'Académie de football de Felcsut, fondée par le chef du gouvernement.
Entre 2011 et 2012, sur un total de 500.000 hectares, quelque 60.000 ha de terres, dont le contrat de métayage de 15 à 20 ans arrivait à échéance, ont été proposés via des appels d'offres. A la fin d'octobre, les contrats étaient signés concernant quelque 21.000 ha. Ces terres sont louées en moyenne à 80 euros l'hectare, un montant inférieur aux prix du marché, afin théoriquement d'aider les petites exploitations agricoles. Pourtant, « 85 % du total distribué est allé à des amis, à des proches, et non pas aux véritables cultivateurs locaux », affirme Zoltan Gögös, député de l'opposition socialiste.
Leur intérêt dans l'affaire : les subventions européennes. « La majorité des terres est distribuée pour des gens qui y voient un moyen de toucher les subventions communautaires mais qui ne vont pas ou pas bien l'exploiter », souligne Zoltan Gögös. Ces dernières peuvent aller jusqu'à 200 euros par hectare et par an.
Le maire de Felcsut se défend de tout favoritisme : « J'ai gagné légalement », déclare-t-il. « Mes plans de développement ont été considérés comme les meilleurs ». « Bien sûr, les perdants se plaignent, mais ils peuvent toujours participer à d'autres appels d'offres ailleurs », a-t-il suggéré.
« Les critères sont les mêmes pour tous les candidats » et toutes les offres étaient en ordre, indique le président de la NFA (Fondation nationale de la gestion de la terre), Robert Sebestyen, chargé de désigner les vainqueurs des appels d'offres.
Ces règles, qui font partie d'une réforme plus vaste visant à moderniser le secteur agricole, limitent à 1.200 ha de terre la dimension de la parcelle maximale à mettre en location.
L'exploitant doit avoir une formation ou des connaissances en agriculture, résider dans les 20 km du terrain concerné et avoir « un plan de développement viable ».
Cependant, ces derniers mois, la presse hongroise a rendu publics des exemples de vainqueurs qui auraient utilisé de fausses adresses pour contourner la règle des 20 km ou qui ont fourni un certificat ne montrant qu'une vague connexion avec le monde agricole.
Dans le canton de Fejer, près de 90 % des 5.000 hectares de terre offerts à la location sont tombés dans les mains de sociétés liées au Fidesz, a affirmé Zoltan Gögös. Cela ressemble à « des réseaux mafieux qui s'accaparent la totalité des ressources, de la terre, des subventions et des marchés », avait de son côté dénoncé l'ancien secrétaire d'Etat au ministère de l'Agriculture, Jozsef Angyan, lui-même pourtant membre du parti conservateur. Il avait démissionné, à la fin de janvier 2012, après avoir relevé des anomalies, ignorées, selon lui, par ses supérieurs. Depuis, il a créé un site internet, où il dresse méthodiquement une liste des vainqueurs des appels d'offres et démontre leurs liens de parenté et/ou d'amitiés avec des personnes proches du pouvoir.
Ces pratiques ont provoqué la colère d'agriculteurs locaux. Dans le village de Kajaszo, toujours dans le canton de Fejer, les fermiers ont à plusieurs reprises symboliquement occupé leurs terres en signe de protestation, la dernière action en date remontant au week-end des 10 et 11 novembre 2012.
A partir de cette année et jusqu'en 2014, une deuxième tranche de 80.000 à 90.000 hectares va être offerte à la location, selon la NFA. Mais les exploitants locaux ne donnent pas cher de leurs chances : selon Rebeka Szabo, députée du parti d'opposition écologiste LMP, l'agence NFA est tout simplement incapable de vérifier la conformité aux règles de toutes les candidatures. Environ 40 % des évaluations des offres seraient établies sur des critères subjectifs, comme le plan de développement, ce qui laisse la porte ouverte à la corruption, déclare-t-elle. Le système « n'est pas transparent et doit être réformé », réclame la députée.