A l’heure des restructurations et de la maîtrise du temps de travail, la ration sèche joue sur du velours. Nourrir son troupeau avec 7 kg de foin et 20 kg de concentré par vache laitière (VL) et par jour permet en effet un gain de 15 à 25% de la productivité par VL. Une aubaine pour augmenter son quota sans investir dans un bâtiment. La ration sèche permet aussi de diminuer le temps de travail conséquent lié au maïs ensilage. Elle peut enfin être une opportunité pour réduire certains investissements comme la construction de nouveaux silos ou le renouvellement d’une remorque mélangeuse.
Mais qu’en est-il sur le plan économique? La question est cruciale. Choisir la ration sèche revient en effet à bouleverser l’ensemble de son système à travers la baisse du nombre de vaches laitières, la modification de l’assolement, l’utilisation des surfaces en herbe... Soucieux d’apporter une réponse, les réseaux d’élevage du grand Est ont réalisé des simulations dans six exploitations types (1). Ces dernières balisent différents systèmes de production laitière (avec boeufs, vaches allaitantes ou culture de vente) dans des conditions normales de culture pour le maïs (sans déficit fourrager à répétition). Ces systèmes se différencient également par l’importance de l’herbe utilisée par les laitières avec un gradiant allant d’un pâturage du 15 avril au 15 novembre sans maïs en hiver jusqu’au zéro pâturage avec maïs toute l’année.
Inadaptée aux systèmes herbagers
Du côté des hypothèses de simulation, on ne peut pas reprocher à cette étude de minimiser les performances techniques de la ration sèche. Elle reprend une augmentation de production allant de 1.000 à 2.500 kg de lait par VL et par jour pour 18,5 à 21,5 kg de concentré/VL/j, une baisse du taux butyreux (TB) de 4g/kg et un maintien du taux protéïque (TP). Principal constat: mener à l’année ses vaches laitières en ration sèche est économiquement inadapté aux systèmes herbagers. Et cela, d’autant plus que la part d’herbe est importante. Le manque à gagner sur l’EBE peut aller jusqu’à 100 €/1.000 litres dans un système très herbager sans maïs avec un aliment à 200 €/t (voir le tableau ci-dessous). Pour y maintenir l’EBE, il faudrait que le prix de l’aliment soit plus que divisé par deux, soit moins de 97 €/t. "Rien d’étonnant à cela, souligne Arnaud Leclair, de la chambre d’agriculture de la Meuse. En système herbager, la ration sèche libère peu de maïs à convertir en culture de vente. En revanche, elle libère beaucoup d’herbe dont la valorisation passe par de la viande via des boeufs ou des allaitantes qui ne sont plus primés et à moins forte marge. Par ailleurs, ces systèmes herbagers ont initialement des niveaux de charges opérationnelles faibles, liés à une forte autoconsommation de céréales et un niveau de production laitière plus dans la moyenne. La ration sèche se traduit donc par une augmentation très importante des coûts de production, via les concentrés."
L’option ration sèche est beaucoup moins pénalisante dans les systèmes intensifs avec une forte proportion de maïs. Elle s’y traduit en effet simplement par une substitution maïs-ensilage/colza ou maïs grains. Cela dit, dans le meilleur des cas, avec des vaches en zéro pâturage et au maïs toute l’année, la baisse d’EBE est tout de même de 30 euros par 1.000 litres en moyenne. Pour y maintenir l’EBE, il ne faudrait pas que le concentré dépasse 154 €/t. Or, son prix tourne au mieux autour de 180 €/t.
Téléchargez le tableau " Impact économique de la ration sèche: 100% paturage ou maïs toute l'année (279.41 Ko)".
D’éventuelles économies sur les investissements
Ces baisses d’EBE s’expliquent par une augmentation des charges opérationnelles, principalement liée à l’explosion du poste concentré, non compensée par l’augmentation du produit brut et la baisse des dépenses de mécanisation. L’analyse des charges directes de carburants et d’entretien du matériel montre en effet peu d’économies à attendre sur ce poste (3% au maximum). Cet impact systématiquement négatif sur l’EBE, évalué hors amortissement et frais financiers, doit toutefois être pondéré. "En effet, l’impact réel sur le revenu peut être atténué par d’éventuelles économies sur les investissements (mélangeuse distributrice, silos, bâtiment pour les VL) ou une baisse des charges salariales, à condition d’avoir un salarié temporaire", souligne l’étude. A contrario, le passage à la ration sèche peut aussi se traduire par des investissements pour adapter la chaîne de fenaison, distribuer les balles rondes ou stocker le foin et les concentrés qui arrivent en grosse quantité.
Cette différence d’approche entre l’EBE et le revenu final (après annuités) explique sans doute en partie le fossé existant entre l’impact systématiquement négatif mesuré par ces simulations et celui parfois positif de simulations de firmes d’aliments. "Il s’explique surtout par le fait que notre approche compare deux systèmes de production initiale et finale optimisés. En partant d’un système maïs initial qui ne serait pas totalement maîtrisé, on minimise l’impact réel du passage à la ration sèchesur l’EBE. Par ailleurs, ce type de simulation ne doit pas se résumer à basculer les hectares de maïs en colza et à faire du foin sur les surfaces en herbe. Il convient d’avoir une approche fine du nouveau système fourrager en prévoyant le développement d’un atelier viande pour utiliser des hectares d’herbe libérés ou envisager de ressemer de la prairie temporaire, ce qui peut être nécessaire dans des systèmes intensifs", précise Arnaud Leclair.
Pour lui, "la ration sèche répond à des problématiques particulières principalement là où les déficits fourragers sont chroniques. Ce peut être aussi un choix d’éleveur pour des questions de temps et de confortde travail, de facilité de conduite technique du troupeau ou de recherche de productivité. A eux de l’assumer dans une conjoncture de prix à la baisse, car ce choix a un coût." Il est vrai que -30 euros pour 1.000 litres d’EBE pour un quota de 300.000 litres représente une perte de 9.000 euros, soit la charge d’un tiers de salarié.
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D’après "rations sèches. Plus de lait, moins de travail, mais à quel prix" des réseaux d’élevage de l’Est (tél. : 03.83.93.39.10).
Témoignage: GILLES et VALERIE BOURY "Nous assumons notre choix"Malgré son impact économique, les Boury ont opté pour la ration sèche.
65 hectares avec 210.000 litres de quota et des boeufs, ce n’est pas pour gagner du temps que Gilles et Valérie Boury, de Maizey (Meuse), ont choisi, il y a dix-huit mois, la ration sèche. L’éleveur apprécie toutefois de ne plus consacrer que deux heures par semaine aux soins du troupeau, tombé à vingt VL. Sa tâche se résume à dérouler une ou deux balles rondes et à recharger le godet du télescopique posé devant le cornadis. C’est pour répondre à un besoin particulier que la ration sèche est arrivée ici. Sans pâture à proximité, le zéro pâturage des laitières y est la règle. Confrontés à de gros soucis d’échauffement sur le maïs en été, les Boury avaient pris l’habitude de fermer les silos d’avril à septembre. Les "fins de lactation" étaient alors conduites sur une base foin-concentrés. "Les vêlages démarrant en août, nous n’avions, malgré tout, toujours pas assez d’animaux à la réouverture du silo pour avancer assez vite. On avait aussi de la casse sur les vaches vêlées démarrées au foin, puis passées au maïs." Pour mieux gérer ces débuts de lactation, les Boury décident d’essayer la ration sèche de juillet à octobre. Facilité du travail, progression spectaculaire du lait par VL sans problème particulier, fin du souci récurrent de butyriques, l’essai est si concluant que la réflexion est poussée plus loin. Et si l’on passait en ration sèche à l’année? La simulation économique prudente (+1.000 l/VL) de leur coop (EMC2) fait apparaître une perte d’EBE conséquente de 5.000 euros hors MSA. Les Boury se lancent quand même, misant sur un gain de productivité supérieur, la fin des 15 euros par 1.000 litres de pénalité mensuelle pour les butyriques et la perspective d’une alternative au maïs. L’hiver leur donne raison. Les VL passent de 7.500 à 10.000 kg et les butyriques disparaissent." Certes, cette option a un coût. Mais nous l’assumons. La perspective de ne pas avoir à renouveler notre télescopique en bout de course pour continuer de distribuer l’ensilage a pesé aussi dans notre choix. Tout comme celle de produire plus de lait dans lemême bâtiment sans investir si des opportunités se présentent." |
par Jean-Michel Vocoret (publié le 2 octobre 2006)
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