Dans le silence des caves d'affinage de fromageries des Vosges se prépare une naissance surveillée de très près : au début d'octobre en sortira le Cœur de massif, un nouveau fromage créé pour valoriser la vache vosgienne, une race rustique qui a bien failli disparaître.
Dans sa fromagerie nichée au cœur du Parc régional des Ballons des Vosges, Laura Vaxelaire verse avec précaution du lait fraîchement tiré dans de grands moules carrés. Les futurs Cœurs de massif rejoindront dans la pièce attenante les munsters et les bargkasses que cette jeune agricultrice vosgienne produit déjà.
Sorte de tomme à la pâte pressée non cuite, à la belle couleur ocre, le Cœur de massif pourra se déguster cru ou fondu. « On l'a essayé fondu et il fond très bien, un peu comme la raclette », explique la productrice.
Le troupeau de la famille Vaxelaire se compose essentiellement de vosgiennes, des vaches trapues aux yeux cerclés de noir et à la robe mouchetée, caractérisée par une ligne blanche sur le dos, qui fait écho à la célèbre ligne bleue des Vosges. Une race fortement liée à un terroir, celui du massif des Vosges, qui englobe les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin, des Vosges et de la Haute-Saône.
Un terroir, une vache, un produit : c'est la combinaison de ces trois éléments qu'a voulu mettre en valeur l'organisme de sélection de la race bovine vosgienne, en lançant un nouveau fromage. « On voulait identifier un fromage à notre race », explique Laurine Spieser, chargée de mission dans les circuits locaux et de la diversification au sein de cette organisation. « Les consommateurs ont une image de munster dans la tête quand on dit « vosgienne » ; pourtant, rien ne dit dans le cahier des charges du munster qu'il doit être produit avec du lait de vosgienne », précise-t-elle.
Le Cœur de massif, lui, sera estampillé vache vosgienne. Huit éleveurs férus de cette race participent à son lancement. « La race vosgienne, on n'était pas loin de la perdre, mais des éleveurs se sont pris de passion pour elle », se réjouit Benoît Dumet, conseiller spécialisé en bovins laitiers et à viande à la chambre d'agriculture des Vosges.
Flore des hautes chaumes
Zones d'élevage bombardées, troupeaux réquisitionnés : la vosgienne sort en effet exsangue des deux guerres mondiales. En 1947, elle est même rayée du catalogue des races, ce qui l'empêche de profiter des avancées techniques, comme l'insémination artificielle dont bénéficient les races répertoriées.
Au cours des Trente Glorieuses, des races jugées plus productives sont mises en avant, au détriment des races locales. Au milieu des années 1970, on ne compte plus en France que 3.000 vosgiennes. Un chiffre remonté aujourd'hui à quelque 10.000 têtes.
Rustique et robuste, la vosgienne est pourtant parfaitement adaptée à son environnement, rude, accidenté, aux sols acides, dont les hautes chaumes fournissent un fourrage grossier. « Si on arrive à la valoriser encore plus, un jour on espère voir le massif peuplé uniquement de vosgiennes », rêve Florent Campello, président de l'organisme de sélection, éleveur de vosgiennes et désormais fabricant de Cœur de massif. Renforcer la présence de vosgiennes dans le massif permettrait aussi de garantir la pérennité de ses hautes chaumes et la diversité de leur flore.
Pour décrire le goût du Cœur de massif, c'est d'ailleurs ce décor que les éleveurs convoquent. Vincent Lauler, éleveur à Breitenbach (Bas-Rhin), parle d'« un fromage qui a un goût assez fruité, le goût des fleurs, de la montagne ». Pour Florent Campello, « on y retrouve le même moelleux que dans l'herbe grasse de nos pâtures ». Il ajoute qu'« il a un petit goût lactique, de petit-lait », lié à la teneur très protéique du lait de vosgiennes.
Projet d'IGP
A long terme, les éleveurs espèrent obtenir une indication géographique protégée (IGP) mais, pour l'instant, ils préparent le lancement du fromage, lors des Journées d'octobre de Mulhouse. Le Cœur de massif sera ensuite disponible dans les exploitations et chez des grossistes locaux.
Il faudra attendre le Salon de l'agriculture de Paris, à la fin de février 2016, pour que le Cœur de massif se lance à la conquête des marchés nationaux.
Enfin une nouvelle qui fait plaisir.
mercredi 30 septembre 2015 - 09h25
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