Alors que le ministère de l'Agriculture veut encadrer la contractualisation des filières (particulièrement dans le secteur laitier) dans la loi de modernisation de l'agriculture qui vient d'être déposée pour avis en Conseil d'Etat, le droit de la concurrence s'invite dans le débat agricole.
Dans le cadre de ses "Rencontres de droit rural" le 26 novembre 2009 à Paris, la Saf-Agriculteurs de France a remis en perspective les marges de manoeuvre de la France en matière de contractualisation et de réorganisation des filières avec le droit de la concurrence national et communautaire.
«La libre concurrence est comprise en France comme l'ultralibéralisme alors que c'est un droit de régulation du marché, rappelle Catherine Prieto, professeur à l'université Panthéon-Sorbonne (Paris I). Le droit de la concurrence peut donc aussi servir les intérêts de l'agriculture.» En effet, il permet de sanctionner les «abus de position dominante» et les «abus de dépendance économique». Le premier peut être reproché à une simple coopérative qui pourrait contrecarrer l'accès au marché d'un producteur. Le second nécessite de prouver l'impossibilité de trouver un partenaire commercial alternatif.
«L'Autorité (nationale) de la concurrence peut aussi jouer un rôle préventif et renforcer le pouvoir de négociation des producteurs qui ont plutôt tendance à subir le marché», souligne-t-elle. Ainsi, elle préconise de créer de grosses coopératives ou de contractualiser les relations entre organisations de producteurs et distributeurs (à condition que l'équilibre économique soit respecter). «Ces modes d'organisation ont été jugés plus efficaces que les ententes», explique l'universitaire. L'Autorité a également reconnu une large efficacité à une différenciation des produits par une démarche de qualité, tant qu'il n'y a recommandation des prix.
En effet, ce que le droit de la concurrence bannit formellement, c'est la «recommandation des prix». Or, c'est précisément ce que que souhaite une partie de la profession agricole. Les juristes mettent en garde. A la demande du Sénat, l'Autorité de la concurrence a examiné les discussions régionales sur la formation du prix du lait. «Nous sommes très réservés, explique Jean-Marc Belorgey, rapporteur général adjoint à l'Autorité de la concurrence. Il va être difficile de justifier qu'il n'y a pas d'impact sur le marché européen.» Pour lui, la contractualisation sera très difficile sans garde-fous publics (communautaires ou nationaux): durée du contrat, modalités de révision en cours de contrat, formules d'indexation des prix peuvent jouer. «L'idée serait qu'une fois le cadre législatif défini pour chaque organisation, le producteur garde l'autonomie du comportement.»
«Il est très difficile de forcer quelqu'un à acheter notre production et, de plus, à nos conditions, rappelle Philippe Rincazeaux, avocat à la Cour. Il faut donc trouver des instruments pour régler cela. Le contrat ne pourra y parvenir seul.» Pour lui, le contrat n'est pas affaire de juriste mais de négociation commerciale. «Le contrat doit contenir trois choses:
- la durée de la relation,
- la désignation du produit vendu,
- à quelles conditions et à quel prix (ndlr: toujours sans recommandation de prix de la part d'une OP).
Il faut que le contrat réponde aux attentes des deux parties. Il ne faut pas attendre une réponse du juriste. Ce que peut faire le droit, c'est faire en sorte que le contrat soit conclu et qu'il soit vraiment appliqué.»
Concernant l'organisation des filières, Jean-Marc Belorgey estime qu'il y a des pistes à explorer: «On peut imaginer un mécanisme de regroupement de l'offre sans pour autant avoir un transfert de propriété (sous la forme d'un mandat). Le producteur déciderait d'un prix de retrait individuel. Le cadre de l'OCM fruits et légumes est plus souple que les autres. Nous avons proposé d'élargir cette souplesse au secteur laitier.»