Agriculteurs et écologistes ont précisé leurs désaccords sur la question des algues vertes, après la publication mardi d'une note alors «confidentielle» du préfet des Côtes-d'Armor, selon laquelle le phénomène des algues vertes en Bretagne ne peut que «perdurer» car la profession agricole, accusée de rejeter toujours trop d'azote, «n'est pas prête» à «accepter un changement profond (de ses) pratiques». Une possible «guerre civile» est évoquée.
Les premiers, explicitement et unilatéralement mis en cause, dans l'apparition des marées vertes, ont pris de face les formules chocs – et probablement maladroites – du préfet: la plus radicale d'entre elles préconise «l’arrêt total de l’agriculture sur le bassin versant (de la Lieue de Grève, une baie particulièrement touchée, NDLR) avec conversion totale des terres en prairies fauchées mais non fertilisées […], ce qui aurait un impact marquant sur le phénomène des algues vertes».
Les médias locaux et nationaux se sont focalisés sur cette préconisation du préfet Jean-Louis Fargeas, largement retenue parmi d'autres solutions qu'il proposait pour résorber considérablement les flux d'azote d'origine agricole qui se déversent dans les baies bretonnes concernées par la prolifération saisonnière des algues.
En tout état de cause, ces propos du préfet dans un document qui a atterri sur le bureau du Premier ministre ont soulevé un torrent d'indignation chez les agriculteurs, la presse locale allant même jusqu'à évoquer un risque de «guerre civile».
«Y a-t-il un plan de suppression de 19.000 emplois en Bretagne?», s'est interrogée jeudi la profession agricole bretonne (1) dans un communiqué.
Selon elle, c'est le nombre d'emplois liés à l'agriculture qui viendraient à disparaître sur les bassins versants concernés par les algues vertes si la proposition du préfet venait à être appliquée (9.500 emplois sur les exploitations, 7.600 dans les industries agroalimentaires et 1.900 dans l’agroéquipement et les services, détaille le communiqué).
«Un chiffre qui pourrait être bien plus important quand on sait que la contribution minimale de l’agriculture aux emplois des entreprises bretonnes est de 29,7%», insiste la profession.
«Il faut quand même se rappeler d'où on est parti» au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, rappelle Jacques Jaouen, président de la chambre d'agriculture de la Bretagne. Une mission avait alors été impartie à la Bretagne: «Nourrir la France et assurer son autonomie alimentaire.»
L'objectif a été largement atteint, le «modèle agricole breton», un réseau de petites et moyennes exploitations performantes, est devenu «une référence au plan européen», selon M. Jaouen.
«Toutes les sources de pollution doivent être prises en compte. L’agriculture n’est pas seule responsable des algues vertes et les élus locaux doivent avoir le courage de le reconnaître», martèle la profession. Elle souligne que «depuis plusieurs années, les efforts ont abouti à une baisse significative des taux de nitrates dans l’eau».
La Coordination rurale de la Bretagne demande que «l’objectivité scientifique retrouve enfin son droit et supplante l’idéologie et l’émotionnel» suscités par le sujet. Elle se réfère aux travaux «incontestés» de l’Ifremer il y a plus de dix ans, selon lesquels «aucune corrélation ne pouvait être établie entre la présence d’azote dans les cours d’eau et la prolifération des ulves en milieu marin».
Cette prolifération qui «se manifeste ainsi uniquement dans quelques baies propices (conditions géomorphologiques et hydrodynamiques locales), quels que soient les flux d’azote apportés par les cours d’eau», aurait «logiquement dû conduire la communauté scientifique à abandonner l’hypothèse de la responsabilité de l’azote et donc des agriculteurs», soutient le syndicat.
«Même si l’élevage et l’agriculture disparaissaient totalement en Bretagne, cela ne ferait pas pour autant disparaître les ulves» puisqu'«il ne sera jamais possible de tomber à un niveau d’azote suffisamment bas dans le milieu marin, écrit la CR Bretagne.
Pour elle, «la lutte contre les marées vertes doit résolument s’orienter» vers «d’autres objectifs que la réduction de l’azote des cours d’eau», compte tenu, d'une part, de la présence d'azote de «diverses origines» dans les eaux marines et, d'autre part, «des masses considérables en jeu».
Dans sa note, le préfet des Côtes-d'Armor explique que le phénomène des algues vertes est favorisé par la présence, entre autres, des nutriments azotés et phosphorés et que dans le contexte des eaux bretonnes, «le facteur limitant de prolifération algale» est l'azote «principalement d'origine agricole» apporté par les cours d'eau, le phosphore étant présent «en quantité suffisante dans les sédiments».
Les environnementalistes qui ont souvent accusé la puissance publique de fermer les yeux sur la prolifération des algues dans les eaux bretonnes, se félicitent, eux, du retour à «l'Etat de droit».
Pour les Verts de la Bretagne, le modèle agricole breton est bien en cause. «La pression inouïe des productions hors sol sur l’équilibre environnemental de la région est catastrophique. Lorsque 52% de la production nationale de porcs est concentrée sur à peine deux départements», sans compter «les volailles, les bovins, ce qui fait plusieurs dizaines de millions d’animaux sur un territoire où vivent 3.500.000 habitants», il ne faut pas s’étonner des dégâts qui en résultent», indique le parti écologiste.
Les Verts somment la chambre d'agriculture de la Bretagne «de demander le soutien des pouvoirs publics et de la population pour réorienter le modèle agricole breton vers l’élevage lié au sol pour diminuer la pression animale et reconvertir les productions légumières vers la qualité biologique».
En revanche, France Nature Environnement, dans un communiqué du 21 octobre 2009, reconnaît que «la responsabilité du phénomène des marées vertes est collective, partagée entre agriculture, assainissement urbain et tourisme, industrie – particulièrement agroalimentaire – et politique conduite par l’Etat».
FNE précise: «Au-delà de la stigmatisation d’une profession en particulier, c’est bien l’ensemble du modèle économique et social qu’il faudra revoir en profondeur pour réussir à réduire d’au moins 40% les effluents arrivant à la mer d’ici à 2012, engagement pris par l’ensemble des parties prenantes, y compris les organisations professionnelles agricoles, lors du Grenelle de la mer».
L'association écologiste prône pour la Bretagne une stratégie agricole «caractérisée par une faible dépendance aux intrants et une place laissée à la nature», comme «l’agriculture bio» et l'agriculture «de haute valeur environnementale (HVE)».
Du côté de Bruxelles et de la Commission européenne, cette affaire relance pour la France le risque de lourdes sanctions pour la mauvaise gestion de la qualité de ses eaux en Bretagne.
(1) la profession agricole bretonne rassemble la FRSEA et le réseau des FDSEA 22, 29, 35 et 56, la section JA de Bretagne, les chambres d'agriculture de la région et l'UGPVB, l'Union des groupements de producteurs de viande de Bretagne.
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