D'après une note du préfet des Côtes-d'Armor, Jean-Louis Fargeas, le phénomène des algues vertes en Bretagne ne peut que «perdurer» car la profession agricole «n'est pas prête» à «accepter un changement profond (de ses) pratiques».
Cette note «confidentielle» de 11 pages datée du 7 août 2009 vient finalement de transpirer mardi dans la presse quotidienne locale, accompagnée d'une synthèse de 3 pages récapitulant le «phénomène des marées vertes dans les Côtes-d'Armor» et les actions mises en place par l'Etat pour le contrer. La note a été adressée le 4 septembre 2009 au Premier ministre, au ministre de l'Intérieur et à la secrétaire d'Etat à l'Ecologie.
Après avoir énoncé les actions déjà engagées (1) pour enrayer les marées vertes qui se produisent de manière saisonnière au printemps et durant l'été, le préfet en arrive à la conclusion que «la diminution visible et notable de ce phénomène ne pourra passer que par un changement profond des pratiques agricoles sur les secteurs concernés (2) , ce que la profession agricole n'est pas prête à accepter pour le moment».
«Il s'agit de révolutionner sur ces secteurs, qui représentent 2.190 exploitations (soit 25% des exploitations agricoles dans les Côtes-d'Armor), les pratiques agricoles et de changer complètement le modèle économique existant», ajoute cette note.
«Cette évolution n'est pas envisageable pour le moment, le phénomène des algues vertes ne peut donc que perdurer», poursuit la note.
Cela dit, «afin de proposer de nouvelles mesures visant à renforcer l'action de l'Etat» pour limiter ce phénomène, sans pouvoir pour autant le supprimer, pour en limiter les principales nuisances, et «afin d'éviter que l'Etat soit de nouveau mis en cause» (il a été condamné par le tribunal administratif en 2007, et le préfet des Côtes-d'Armor a fait l'objet d'un dépôt de 323 plaintes auprès du procureur de Guingamp pour «mise en danger délibérée de la vie d'autrui» le 3 septembre, ndlr), «il importe néanmoins d'afficher une politique volontariste pérenne» pour stabiliser ou limiter ce phénomène, écrit encore le préfet.
«En coordination avec la préfecture de la Région», le préfet des Côtes-d'Armor a mis en place «deux comités de pilotage (ciblés sur les deux bassins versants les plus touchés) [...]» afin de «réfléchir, proposer et suivre les mesures qui pourraient être prises en cette matière.»
Le préfet préconise un renforcement du dispositif réglementaire, avec en particulier la mise en place de programmes ZSCE (zones soumises à contraintes environnementales) sur les bassins versants à algues vertes, d'un programme spécifique pour les algues vertes qui devra prendre en compte l'obligation d'une réduction d'au moins 30% du flux d'azote dans ces zones, conformément au Sdage (schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux) sur le bassin Loire-Bretagne qui sera adopté à la fin de 2009 et qui imposera de fait la révision de l'actuelle directive relative aux nitrates vers le quatrième programme, pour le département.
Le rapport évoque aussi la «mise en oeuvre de mesures incitatives pour la profession agricole» (nouvelles MAE «algues vertes», aides à la réduction du cheptel, au traitement des déjections animales ou à l'exportation des déjections animales).
La préfecture envisage également «le lancement d'une opération pilote sur le bassin versant de la Lieue de Grève ou de «renforcer la pression sur la profession agricole».
Le phénomène des algues vertes, apparu dans les années 1970, est favorisé notamment par la présence des nutriments azotés et phosphorés. Dans le contexte des eaux bretonnes, indique le préfet, «le facteur limitant de prolifération algale est en fait l'azote (apporté par les cours d'eau et principalement d'origine agricole), le phosphore étant présent en quantité suffisante dans les sédiments».
Pointés du doigt depuis des années, les agriculteurs bretons ont récemment redit qu'ils refusaient d'être les seuls "boucs émissaires" et insistent sur l'évolution de leurs pratiques et les efforts réalisés.
«Je suis très en colère, choqué, révolté», a déclaré Jacques Jaouen, président de la chambre d'agriculture de la Bretagne, mercredi. «Si l'Etat écrit de telles choses, qu'il vienne sur le terrain dire aux agriculteurs de partir!», s'est exclamé M. Jaouen. «On a enrichi la Bretagne et se faire salir de cette manière, c'est inadmissible», a-t-il poursuivi.
Propos «irresponsables», a renchéri Olivier Allain, président de la FDSEA des Côtes-d'Armor.
Mercredi, la préfecture temporisait, précisant que le document résultait de réunions «internes» et que les appréciations formulées «reflètent une évaluation de l'état des esprits en juin 2009 et nullement la position définitive de l'Etat sur ce point».
De son côté, l'association Eau et Rivières de Bretagne, qui lutte contre la prolifération de ces algues vertes sur le littoral breton, a salué la note du préfet, «précise» et «synthétique», tout en regrettant une prise de conscience aussi tardive après tant de mises en garde des associations.
Une mission interministérielle sur la prolifération des algues vertes est en cours. Elle doit remettre ses conclusions à François Fillon en décembre.
La mission avait été décidée après la confirmation à la fin d'août par un rapport que l'hydrogène sulfuré, un gaz qui émane notamment des algues vertes en décomposition, pouvait être «mortel» en cas de concentration importante. Ce rapport faisait suite à la mort d'un cheval à la fin de juillet sur une plage de Saint-Michel-en-Grève (Côtes-d'Armor).
(1) La note de synthèse du préfet des Côtes-d'Armor rappelle que «sur le fond», la lutte contre le développement du phénomène des algues vertes «s'inscrit dans le cadre général du dossier de la reconquête de la qualité de l'eau en Bretagne» et qu'elle ne date pas d'aujourd'hui. Elle mentionne les «outils» d'ores et déjà «mis en oeuvre pour reconquérir cette qualité de l'eau», dont le détail apparaît dans la note générale du 7 août 2009: - les programmes d'action "Directive nitrates", - les programmes "Bassins versants" (BV) contentieux appelés BV «algues vertes», - la mise en place de moyens financiers incitatifs à l'attention des agriculteurs pour changer leurs pratiques agricoles (les MAE – mesures agri-environnementales – agriculture biologique, système fourrager économe en intrants ou SFEI, et directive-cadre sur l'eau ou DCE), - les contrôles des exploitations, - l'accompagnement financier des communes par l'Etat, - et les actions de prévention. «La mise en oeuvre de ces mesures a permis, au mieux, de stabiliser les taux de nitrates présents dans les rivières, sans obtenir un résultat visible de diminution des marées vertes», indique la note. (2) En se basant sur une étude de l'Inra (mars 2009) sur le bassin versant de la Lieue de Grève, la note de la préfecture préconise «la transformation profonde sur ces secteurs des exploitations vers une agriculture fondée sur un système fourrager économe en intrants et la conversion des zones hydromorphes en prairies permanentes non fertilisées». Ce qui aurait pour conséquence, selon elle, d'assurer des baisses de concentration en nitrates de l'ordre de 22,5 mg/l en 2020, permettant une «limitation mesurée» de la prolifération des algues. Plus radical, la préfecture des Côtes-d'Armor prétend que «l’arrêt total de l’agriculture sur le bassin versant avec conversion totale des terres en prairies fauchées mais non fertilisées permettrait d’atteindre 10 mg/l (de nitrates) en 2020, ce qui aurait un impact marquant sur le phénomène des algues vertes». |
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