La société civile laitière (SCL) a été créée en 2005 pour adapter les structures de production à l'évolution du contexte économique de la filière lait. C'était une époque de mise aux normes dans les zones vulnérables.
« Certains producteurs avaient des installations surdimensionnées par trop d'anticipation et d'autres n'avaient pas les moyens de cette mise aux normes, se souvient René Bourget, conseiller d'entreprise à CER France Mayenne-Sarthe.
Avec la SCL, l'objectif était de faciliter des regroupements d'exploitations qui permettraient de mieux faire face aux besoins de rationalisation du travail et de l'investissement. »
Cette nouvelle structure, qui prenait la suite des Gaec partiels laitiers (GPL), devait aussi permettre de créer les conditions d'une adaptation à la réforme de la Pac, laquelle prévoyait une baisse des prix du lait pour partie compensée par la mise en place d'une aide directe laitière découplée en 2006.
La SCL a donc été ouverte au plus grand nombre, notamment aux personnes morales (EARL, SCEA...) productrices de lait, et pour la première fois le quota a été détaché du foncier. Le législateur a aussi soumis la nouvelle société à des conditions permettant de garantir la participation de tous au travail.
« Mais beaucoup de SCL n'ont pu aboutir ou ont été dissoutes, car les associés se sont aperçus qu'ils n'avaient pas les mêmes méthodes de travail », constate Patrick Pinet, conseiller en regroupement de moyens à CER France Alliance Centre.
Travail effectif
La SCL a pour objet la mise en commun dans la totalité de la seule activité de production laitière des associés. Chacun transfère à la SCL tout le quota dont il dispose, sans prélèvement ni transfert des terres correspondantes. Les quantités apportées par les associés et celles détenues au final par la société ne sont plus limitées.
La participation de chacun à l'activité de production laitière de la société doit être personnelle et effective, et ne pas se limiter à la direction et à la surveillance de l'exploitation.
Une distance maximale (qui ne peut dépasser 30 kilomètres mesurés à vol d'oiseau) entre le lieu de l'atelier de production et le siège des exploitations des associés est fixée par le préfet après avis de la CDOA (commission départementale d'orientation de l'agriculture).
En outre, chaque associé doit consacrer à la production des fourrages nécessaires à l'alimentation du cheptel une superficie minimale déterminée en fonction des quantités de références laitières qu'il a apportées au groupement. Cette superficie est fixée selon des critères arrêtés par le préfet, après avis de la CDOA. Dans la Mayenne, par exemple, c'est un hectare pour 10.000 litres de quotas.
Remise en cause
Ces obligations devaient constituer une garantie de la réalité de l'association. Certaines absorptions se sont faites dans cet esprit de partage du cheptel, du fourrage, du quota, des compétences et du résultat.
Alors que d'autres ont cherché à diminuer l'astreinte à la production laitière et ont réparti le travail de façon différenciée. Limité à un simple apport de quota, ce type de regroupement est remis en cause avec la sortie des quotas en 2015.
« Les contrats qui vont s'y substituer vont se faire au nom de la SCL. Ils se fonderont sur l'historique du quota, qui nécessitera une redistribution des rôles dans nombre de SCL, prédit René Bourget. Car beaucoup se sont constituées sur la valeur des quotas qu'il fallait préserver. Mais on ne sait pas quelle valeur sera attribuée au contrat à partir de 2015. »
Chronologie des structures juridiques
• Montages Ballmann : circulaires du 12 mars 1997 et 13 janvier 2000.
• Gaec partiel laitier : décret du 24 octobre 2002.
• Société civile laitière : décret du 16 novembre 2005 et circulaire du 14 février 2006.
Un récent frein fiscal ?
Le législateur vient de limiter les amortissements liés aux biens loués. A partir de 2012 (revenus de 2012), si les loyers dépassent 5 % des recettes, ils sont assimilés à des revenus fonciers et ne peuvent plus être déduits des amortissements. En deçà, les loyers sont considérés comme des produits accessoires, déductibles de l'amortissement dans la limite du loyer.
En cas de construction d'un bâtiment neuf, l'amortissement étant souvent bien plus important que les loyers, ce sera pénalisant. La question se posera alors de mettre le bâtiment au nom de la SCL. Choix qui peut poser un autre problème : si la société construit sur le terrain appartenant à un des associés, ce dernier deviendra propriétaire de l'immeuble.
Expert : YVES LEGUAY, spécialiste des relations humaines
« Les responsabilités, les règles seront clairement établies. Et le leader désigné »
« Même quand la mise en commun des moyens de production est partielle, les agriculteurs qui s'engagent veilleront à établir des règles claires. Car les risques de mésentente, de relations de domination-soumission, d'échec économique existent comme dans tout groupe.
Pour éviter ces écueils, il faut prendre le temps de s'interroger sur la vision que chacun a sur son environnement économique et social : à qui vend-on ? Veut-on aller vers le bio ? Veut-on être en lien avec le territoire ? Cela demande au moins deux ans pour aboutir. Et certains projets, même de réunion partielle, sont inconciliables. Les responsabilités et les règles doivent être clairement définies.
Dans un projet d'assolement en commun sur 600 hectares, l'un voulait déléguer ses cultures pour se consacrer à sa vigne. L'autre aspirait à devenir le chef de ces cultures. Un autre enfin voulait juste faire des heures de tracteur. Il peut y avoir disparité de responsabilité, contrairement à ce qui se passe dans un Gaec, si la répartition est claire et acceptée.
Tout groupe a besoin d'un leader reconnu par ses membres et par l'extérieur. Le leader le conduira vers ses objectifs, l'animera, fera fonctionner la collégialité. Il est facteur de paix, même si parfois il est contesté.
Les luttes de pouvoir s'épanouissent dans le flou. La fonction de leader doit être exercée. Et les autres n'en seront pas moins agriculteurs. Il ne s'agit pas d'une relation de domination. L'éthique est la première qualité du leader qui doit respecter, plus que les autres, les règles du groupe.
Les règles à édicter concernent l'argent, le travail, le pouvoir et l'information. Tout ce qui touche à l'argent et à sa répartition sera précisé. Car chacun n'investit pas les mêmes sommes, le même temps, les mêmes responsabilités.
Les associés discuteront aussi du travail en quantité et en qualité : qui fait quoi ? Que vaut le travail aux champs, au bureau, les astreintes ? Ensuite, comment sont prises les décisions suivant leur importance : à l'unanimité, à la majorité, au consensus, avec zéro objection ? Qui assure la gérance ? Le leader effectif du groupe n'est pas forcément le gérant.
Vient enfin l'information : un groupe n'existe que s'il se réunit au-delà des affinités de personnes. Quel est le rythme des réunions suivant leur nature (décisions sur le quotidien, sur la stratégie, sur les régulations des relations entre associés). Chaque réunion est préparée, animée et suivie d'un compte rendu.
Dans certains groupes, le début de la réunion mensuelle est systématiquement dévolu à la régulation : chacun prend la parole pour dire son état d'esprit, parler de ce qui impacte la vie du groupe. D'autres règles sont à établir : quelles limites entre professionnel et privé ? Qui gère les relations avec les salariés ? Mieux vaut qu'ils aient un seul interlocuteur.
Enfin, avant de franchir le pas, chaque personne se posera ces trois questions : est-ce que je juge le projet définitif équitable (cela correspond-il à mes valeurs, mes principes, mes exigences) ? Est-ce qu'il répond à mes intérêts (est-il réaliste ou au contraire utopique) ? Enfin, est-ce qu'il me plaît et que j'y vais avec enthousiasme ? (Propos recueillis par Marie-Gabrielle Miossec)
Arielle Delest (publié le 4 mai 2012)
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