Les organisations agricoles ont souligné que la forte hausse du revenu des agriculteurs en 2010, selon les comptes prévisionnels de l'agriculture publiés jeudi, ne parvient pas à infléchir la tendance à la baisse sur plusieurs années et cache une grande disparité de situations.
La hausse du revenu par actif non salarié des exploitations professionnelles serait de 66 % en 2010, après une baisse de 34 % en 2009 et de 20 % en 2008, selon les chiffres officiels. Mais l'étude des tendances à moyen terme réalisée par le service de la statistique du ministère de l'Agriculture montre une tendance à la baisse de 5 % par an sur les cinq dernières années.
La hausse de 66 % du revenu agricole en 2010 montre l'extrême « volatilité » de ces revenus et « masque une toute autre réalité » : « une baisse de 5 % chaque année depuis cinq ans », a ainsi souligné le nouveau président de la FNSEA, Xavier Beulin.
« Beaucoup d'agriculteurs vont tomber de leur chaise quand ils vont voir ces chiffres », a-t-il expliqué de la conférence de presse qui a suivi son élection.
« Quand je vois ce qui se passe dans la production porcine, dans la production laitière, dans la production bovine, les éleveurs vont être désabusés et se demander s'ils ne sont pas sur une autre planète », a-t-il ajouté.
« Cela montre aussi que la volatilité, ce n'est pas un vain mot », a poursuivi Xavier Beulin. « Comment peut-on diriger des exploitations avec -20 %, -30 % deux années de suite, +60 % l'année suivante ? », a-t-il demandé. Il estime que « gérer une exploitation avec de tels écarts (de revenus) est devenu mission impossible ».
« Face à ces variations de revenu sans précédent » les Jeunes agriculteurs (JA) s'interrogent: « comment ne pas décourager les jeunes agriculteurs à se lancer dans des projets porteurs d'innovation ? Quels leviers mettre en place pour apporter stabilité et perspectives de revenu aux futurs entrepreneurs de demain ? Comment continuer à installer dans un secteur stratégique pour l'avenir des générations futures ? »
« Seule la perspective d'un revenu stable garantira le renouvellement des générations en agriculture alors que plus de 40% des agriculteurs partiront à la retraite d'ici à 15 ans », soulignent les JA.
« Mieux gérer les risques sur son exploitation, encourager les projets innovants créateurs de valeur ajoutée, maîtriser ses coûts de production par l'acquisition de nouvelles pratiques et connaissances, obtenir un prix rémunérateur pour les agriculteurs au sein de la chaîne alimentaire...voilà les orientations qui nous permettront de garantir une alimentation aux citoyens-consommateurs et de la visibilité sur leur revenu pour les agriculteurs » déclare le président du syndicat, Jean-Michel Schaeffer.
L'union des grandes cultures, Orama, met elle aussi en avant que ces résultats font « ressortir le caractère de plus en plus aléatoire des résultats des exploitations de grandes cultures ».
« Il est indispensable d'en tenir compte dans la réforme de la Pac pour la période 2014-2020, à la fois en matière de régulation des marchés, sur le plan de l'évolution des aides et en permettant aux agriculteurs de lisser les hauts et les bas de leurs résultats », défend l'organisation syndicale.
Selon les comptes de l'agriculture, le revenu a progressé de 177 % entre 2009 et 2010 pour les exploitations spécialisées en céréales et oléoprotéagineux, après des baisses de 57 % en 2009 et de près de 35 % en 2008.
Les céréaliers retrouvent un niveau de revenu moyen (36.600 €) « en phase avec les capitaux qu'ils investissent, les compétences qu'ils doivent déployer et les risques qu'ils prennent », estime Orama, qui rappelle que l'appréciation de la situation était toute autre au printemps.
Selon les comptes de l'agriculture, « le revenu de l'arboriculture fruitière aurait augmenté de 55% en 2010 comparé en 2009 », note la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF).
Elle rappelle qu'en 2009 « l'ensemble des fruits était en situation de crise conjoncturelle » et le revenu avait chuté de 44% et que les deux années précédentes, la baisse avait été de 37% en 2008 et de 20% en 2007.
Même avec l'augmentation de 2010, « le revenu des producteurs de fruits reste dérisoirement faible et ne retrouve pas le niveau de celui de 1992 », souligne la FNPF.
« Un important travail reste à mener pour redonner de la valeur à nos produits et un revenu au producteurs, digne de ce nom, conclut l'organisation syndicale.
La Confédération paysanne souligne la grande disparité de revenu entre les agriculteurs et le faible niveau de celui des éleveurs.
« Faudra-t-il un jour séparer la comptabilité nationale agricole entre, d'une part, la grande viticulture, les céréales et les grandes cultures et, d'autre part, tout le monde de l'élevage, du maraîchage, de l'arboriculture et de la viticulture courante pour mieux relever les énormes et injustes disparités de revenu au sein de la profession agricole, et inversement proportionnel au temps de travail exigé ? », interroge le syndicat.
« La stupidité de l'arithmétique rappelle une nouvelle fois, qu'après une baisse de 46 % sur 2008 et 2009, une augmentation de 66 % ne permet pas de retrouver les niveaux de revenus de 2007 », ajoute-t-elle.
Pour la Coordination rurale, la volatilité des revenus agricoles « n'est pas le résultat d'une quelconque fatalité mais de choix sous forme d'abandons politiques, tant au niveau national qu'européen ».
La hausse de 66 % en 2010 est un « chiffre faramineux, hypothétique car prévisionnel » qui « dissimule une réalité bien moins réjouissante », juge l'organisation syndicale.
« L'ensemble des productions connaît une baisse moyenne de revenu de 5 % par an sur les cinq dernières années, le taux d'endettement des agriculteurs, jeunes comme plus âgés, atteint des sommets inégalés au cours de ces vingt dernières années et près d'un tiers des exploitations agricoles affichent un résultat courant avant impôt déficitaire », explique-t-elle.
« La réalité qui s'impose aux agriculteurs dans quasi tous les secteurs de production, c'est que le démantèlement de la politique agricole européenne se traduit par des revenus qui se détériorent globalement, malgré les à-coups liés à la volatilité des cours qui les empêche d'envisager sereinement l'avenir », estime-t-elle.
L'Organisation des producteurs de grains (OPG), branche spécialisée de la Coordination rurale souligne que « le cumul triennal du revenu des exploitations en grandes cultures reste orienté à la baisse de 7 % sur la dernière année ainsi qu'à moyen terme dans l'ensemble des orientations végétales ».
« Rappelons que la dernière évolution annuelle favorable qui avait été observée en 2007, avait conduit à une augmentation très significative des intrants. Le virage vers une libéralisation débridée de marchés s'est ensuite traduit par une baisse sans précédent du prix de nos grains, nous conduisant, en 2009, à la pire des situations économiques pour nos exploitations », poursuit-elle.
« Convaincu d'une embellie pérenne de nos marchés, le cabinet de Michel Barnier n'avait pas hésité à réduire le montant des aides aux grandes cultures d'environ 20 % », rappelle-t-elle également.
L'OPG « compte donc sur l'appui du ministre de l'Agriculture pour une Pac digne de ce nom qui permette de stabiliser l'ensemble des marchés agricoles et donc les prix, à un niveau suffisamment élevé pour les agriculteurs, seul moyen d'assurer l'avenir de nos exploitations ».
Pour les chambres d'agriculture (APCA), « l'embellie des chiffres ne doit pas masquer la dure réalité ».
« Le revenu moyen en 2010 se situe à 24.400 € et le décrochage par rapport au revenu moyen des ménages se poursuit », analyse l'APCA. « L'instabilité majeure des prix à la production et des intrants, à laquelle le secteur agricole est désormais soumise, oblige à dépasser les effets d'optique des variations annuelles pour considérer les tendances sur une plus longue période. Ainsi, le revenu moyen en 2010 est inférieur de 11 % à celui de 2007 », précise-t-elle.
Pour l'APCA, il faut « réinventer la régulation des marchés et mettre en place de véritables filets de sécurité », « mettre en place une véritable politique de l'élevage qui doit pouvoir s'appuyer sur une meilleure complémentarité entre les filières » et « conforter le pouvoir de marché des producteurs dans la chaîne alimentaire . « C'est tout l'enjeu de la future Pac », estiment les chambres d'agriculture.
Enfin, selon le ministère de l'Agriculture, « ces fortes variations des revenus agricoles confirment pleinement la nécessité des différentes initiatives prises par le gouvernement tant au niveau national (au travers de la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche) qu'aux plans communautaire et international (dans la perspective de la réforme de la Pac et de la présidence française du G20) en faveur des outils d'intervention et d'une meilleure régulation des marchés des produits agricoles ».
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