Si la Russie refuse d'importer les pommes de terre européennes, elle achète en revanche volontiers les plants permettant d'en faire pousser, espérant dynamiser ainsi sa propre production, même si une telle stratégie pourrait s'avérer très coûteuse.
Avant même la décision, cet été, d'imposer un embargo sur la plupart des produits agroalimentaires de l'Union européenne, Moscou avait stoppé ses importations de patates européennes dès janvier 2013, « en raison d'importations de produits infectés », selon Alexeï Krassilnikov, directeur de l'Union des producteurs de pomme de terre, à l'AFP.
Un prétexte « fallacieux », estime Patrick Trillon, président du Comité national interprofessionnel de la pomme de terre (CNIPT), en France. Selon lui, l'Union européenne exportait chaque année 272.000 tonnes de pommes de terre vers la Russie avant l'embargo. Mais en août, tout en décrétant un vaste embargo sur les produits agroalimentaires européens, en rétorsion à la crise ukrainienne, Moscou a retiré de la liste les plants de pommes de terre, indispensables pour développer une production locale.
« De fait, 90 % des variétés de pommes de terres qui poussent chez nous viennent de l'étranger. Parmi elles, 95 % viennent de plants des pays de l'UE », reconnaît M. Krassilnikov. La Russie achète des variétés « à forte reproduction, haut de gamme ». Cette année, les producteurs russes auront besoin de 53.000 tonnes de plants, selon lui.
Les Pays-Bas, premiers fournisseurs de la Russie
La dépendance de la Russie pour ce type d'importations n'est pas nouvelle. « Pendant la Perestroïka, nous avons négligé nos capacités de production d'espèces de qualité. Ne sont restés que des instituts avec des cultures en éprouvette et en serre, mais pas de champs », analyse M. Krassilnikov. Les importations couvrent jusqu'à 30 % de la consommation de certains produits alimentaires. La Russie a importé près de 110.000 tonnes de plants entre 2011 et aujourd'hui, selon les Douanes.
Les Pays-Bas sont de loin le premier fournisseur de plants de la Russie, devant l'Allemagne et très loin devant la France. Ils ont pu exporter pour la saison 2013-14 un peu plus de 10.000 tonnes de plants vers la Russie, selon l'Organisation néerlandaise pour le secteur de la pomme de terre (NAO). « Nous faisons tout en ce moment pour bénéficier d'une nouvelle exception pour la saison 2014-15 et je pense qu'il y a de bonnes chances de l'obtenir car les Russes ont besoin de plants sains pour débuter leur production », a expliqué à l'AFP Jan Gottschall, porte-parole de la NAO.
Une stratégie russe incertaine
Les ventes à la Russie ne représentent que 2 % des exportations néerlandaises de plants. La consolation est donc maigre pour les Pays-Bas, qui étaient aussi le premier exportateur de pommes de terre vers la Russie avant l'embargo, avec un quart du marché. « Les producteurs sont durement touchés », regrette M. Gottschall, même si « d'autres solutions ont été cherchées pour vendre les pommes de terre » dans des pays plus lointains.
La stratégie russe, soumise à des intérêts géopolitiques décidés dans l'urgence et non à une politique de long terme, reste malgré tout soumise à caution. Elle pourrait surtout coûter cher à Moscou : à la fin d'août, le ministère russe de l'Agriculture estimait que le secteur agroalimentaire aurait besoin de 13 milliards d'euros de fonds publics d'ici à 2020 pour compenser les effets de l'embargo. Mais avec le ralentissement économique, les sanctions occidentales et la récente baisse des cours du pétrole, les marges de manœuvre financières du gouvernement sont de plus en plus limitées.