Face à la crise agricole, Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne, propose une montée en gamme de l’agriculture française, une meilleure couverture des besoins des consommateurs, un engagement fort de l’Etat sur ces points et une réorientation des aides Pac pour contenir les hausses de prix dans les rayons.
La France Agricole : Vous appelez à changer de modèle pour sortir de la crise. Y a-t-il, selon vous, un modèle unique ?
Laurent Pinatel : Non. Plutôt que de modèle, je devrais parler de système. C'est moins une question de modèle que d'autonomie, surtout décisionnelle. Nous voulons des exploitations capables de réagir aux crises. Ce qui n'est pas le cas quand on a lourdement investi.
Vous tenez aussi à l'autonomie fourragère ?
L'idéal serait d'avoir des animaux en fonction de la surface qu'on a pour les nourrir, et qui correspondrait à la surface capable de recevoir les déjections. On peut déjà se demander comment limiter les achats extérieurs et s'affranchir des variations des cours des matières premières. La dérive absolue est de couper complètement le lien au sol. Le développement du hors-sol a constitué un gros virage, qui correspondait à une époque où il y avait un besoin de produire beaucoup. Mais on est allé trop loin. Nous sommes conscients qu'on ne va pas remettre tous les porcs dehors, toutes les poules en plein air. Mais pour sortir par le haut, remettons du lien au sol.
Les agricultures paysannes, bio ou sous signe de qualité, apparaîssent très vertueuses, mais restent pour beaucoup des agricultures de niche.
Pourquoi ne pas relever toute l'agriculture d'un niveau de gamme ? Les dix milliards d'euros de la Pac réorientés doivent soutenir une agriculture de qualité. Il y a plusieurs idées : comment rééquilibrer les deux piliers ? A travers le deuxième pilier, comment redéployer, à l'échelle des régions, une agriculture de production locale ? Pas forcément une agriculture de circuits courts, mais peut-être des filières.
Peut-on s'affranchir de la concurrence européenne, et produire un peu plus haut de gamme en France sans être submergés par la production de masse des autres pays ?
Les prix plus bas en Espagne et en Allemagne nous ont fait perdre la bataille des volumes en porc. Mais justement parce que notre porc n'est pas différencié. Donc les acteurs économiques achètent forcément le moins cher. Soit on tente la course aux prix les plus bas, soit on décale la gamme. Sur le créneau du haut de gamme, salaisonnerie, charcuterie de haut de gamme, les Espagnols et les Italiens s'en tirent mieux que nous.
Il y a aussi le problème du pouvoir d'achat.
En bio, nous sommes subventionnés pour absorber nos surcoûts. Les aides bio servent à ça, on pourrait imaginer d'étendre un peu ce principe. Si on ne veut pas faire supporter à tous les consommateurs les surcoûts, et si on ne veut pas aller vers une agriculture duale, le subventionnement public doit être là pour absorber les surcoûts et rendre les produits plus accessibles.
La bataille des volumes est perdue, selon vous ?
Il y a une grosse guerre économique, notamment sur le porc, alors que l'échelle européenne devrait être celle de la complémentarité : on devrait s'organiser entre nous, mais on casse les prix. L'Europe est mal faite, ou alors elle n'est pas finie. On ne règlera pas les problèmes de la filière porcine qu'avec un plan qualité. Cela restera des niches, mais niche plus niche, ça peut permettre à certains éleveurs de retrouver de la marge. Beaucoup ont de lourds investissements, avec la pression psychologique que cela doit entraîner, et la contrainte environnementale est énorme. On entend dire « on a trop de normes », mais heureusement qu'il y a des normes, car sinon le système serait allé encore plus loin dans la dérive. Le jour où les sols seront vraiment bousillés, comment pourra-t-on continuer à travailler ?
Mais pour les Bretons, l'agriculture et l'agroalimentaire sont les principaux secteurs créateurs d'emploi et de valeur ajoutée. Est-ce qu'on peut les démanteler ?
Il y a un bémol : de la valeur ajoutée, ce système n'en crée pas tant que ça, c'est surtout un système de volumes. Jusqu'à récemment, les emplois perdus dans la filière agricole pure étaient recréés dans l'agroalimentaire. Ce n'est plus le cas. L'agroalimentaire licencie. Le transfert de la production va se faire vers d'autres pays où c'est moins cher.
Comment organiser la transition ?
Pour le porc, il faudrait un gros plan de filière pour voir sur quels créneaux on n'est pas présents, sur lesquels on peut retrouver de la valeur ajoutée. Là, les trois milliards mis sur la table par Manuel Valls révèlent une absence de vue à long terme. Personne n'a le courage de dire « on s'est tous trompés », aussi bien les politiques que la profession agricole dans son ensemble. Individuellement, des gens ont réussi à s'en sortir sur des niches. Si on ramène tout le monde sur ces marchés non concurrentiels, ils vont devenir concurrentiels. Donc il faut toucher à la limitation et à l'organisation de la production. Nous estimons que l'Etat doit intervenir dans l'organisation du marché. Il y a des systèmes qui marchent. Dans la filière du comté, il y a des gens qui se sont pris en main, qui se sont réunis, qui ont créé leur fromage.
Mais ça ne dit pas ce qu'on fait de ces agriculteurs qui sont dans ce système à bout de souffle, comme vous dites. Le risque est que les plus fragiles disparaissent...
Mais c'est ce qui va se passer. Et ceux qui vont rester grossiront encore. A chaque crise, des producteurs de lait disparaissent, mais la production globale se maintient. En porc, même la production globale diminue. Alors, il va falloir des changements assez radicaux, et sans le levier financier des aides Pac. Adapter la production à la demande se fera peut-être en diminuant le nombre de porcs par élevage, dans certains élevages. Mais dans tous les cas il faudra désintensifier et retrouver du lien au sol. L'idée est de remonter d'un créneau de qualité, mais aussi d'améliorer l'image de la production : dès qu'il y a un projet de porcherie, c'est une levée de boucliers. En Haute-Savoie, un projet, qui était soutenu par la Confédération paysanne, a rencontré l'opposition de la population locale parce qu'il y avait 2.000 porcs en système à lisier. Il y avait une cohérence territoriale de faire du porc dans une région où il n'y en pas, et du lisier dans une région où il n'y a pas de paille. Sans compter qu'il valorisait le petit-lait des fruitières locales. Donc vraiment, il n'y a pas de modèle unique. Dans certains endroits, il faudrait peut-être remettre du porc. Mais pas à 1 €/kg.
A taxer l'agriculture française d'agro-industrie, ne risquez-vous pas de jeter l'opprobre sur toute la production française ?
Il y a un risque. Mais n'ayons pas peur d'affronter des dérives. Ce n'est pas une volonté de stigmatiser, mais un discours de réalité. Il y a des produits faits avec des process industriels dans des élevages français, qui n'aboutissent pas à un produit de haut de gamme. Ensuite, le débat est de savoir si nous avons besoin d'une agriculture industrielle pour nourrir les plus pauvres, ou les dix milliards de la Pac peuvent être utilisés pour donner les moyens à cette agriculture-là de remonter d'une gamme.
Comment convaincre les transformateurs et les distributeurs de s'approvisionner en France à des prix plus élevés ?
C'est la question de créer ou de retrouver de la valorisation. Par exemple, la coopérative Jeune Montagne, dans l'Aubrac, s'est rendu compte qu'il y avait quelque chose localement qui pouvait permettre à une centaine d'éleveurs d'imprimer leur marque sur un produit. Et ça c'est très important. Mais cela passe aussi par un cahier des charges : c'est la limite du discours sur le trop-plein de normes et de règles. Oui aux normes, quand il y a une rémunération en face !
L'agriculture française a-t-elle quand même vocation à exporter ?
Il y a des marchés rémunérateurs sur lesquels il faut évidemment aller parce qu'ils valorisent un savoir-faire, des compétences et une image de la France. Mais il y a de l'export qui n'est pas intéressant. Est-ce qu'on ne raisonne pas à l'envers ? Si les éleveurs jugent que le prix du lait devrait être de 350 €/t, on devrait l'imposer aux laiteries. Après, est-ce qu'elles continueraient à le valoriser à 220 €/t en Chine ? Les agriculteurs sont aujourd'hui la variable d'ajustement des mauvais choix commerciaux.
Et en viande bovine ?
Là ce ne sont pas des marchés en surproduction, mais des marchés où l'offre n'est plus adaptée à la demande. Les Français consomment par exemple de la génisse à l'herbe, qu'on n'arrive pas à fournir. Mais à côté, nous envoyons du taurillon sur le Maghreb et ailleurs. Les primes devraient être un levier. Pour pouvoir mieux coller au marché local, la Confédération paysanne proposait la PMTR : prime au maintien du troupeau de ruminants. Ce serait une prime à l'UGB, pas forcément à la vache, qui laisse l'éleveur libre dans ses choix stratégiques. Par exemple, avec 50 droits à prime, il pourrait ne faire que 30 vaches et engraisser des génisses ou des taurillons à l'herbe s'il y a un débouché. Soyons encore plus large : on est loin d'être autosuffisants en légumes. Elaborons un plan de reconquête, et rééquilibrons les productions légumières et céréalières dans les régions où c'est cohérent.
Vous expliquez que les politiques publiques ont mené aux excès actuels, mais c'est par une politique publique que vous espérez sortir de la crise.
Ce que des politiques publiques ont défait, d'autres politiques publiques peuvent le refaire. La Pac a oublié la porte d'entrée alimentaire pour privilégier une agriculture export-compatible, c'est-à-dire capable de produire des volumes à bas coût. Si on décide que tout le monde doit avoir une alimentation de qualité, il va falloir réorienter les aides de la Pac au service de l'alimentation, et non pas au service de la production agricole. On veut une maîtirse de l'offre, mais par la répartition, pas par l'ultraspécialisation régionale. Chaque territoire national a vocation à produire pour lui-même d'abord et ensuite à commercer avec les autres pays de l'Europe. L'échelon régional peut être un bon levier pour relocaliser l'économie. Tous les paysans n'ont pas vocation à faire de la transformation et de la vente directe. Comment garder l'acte de production tout en maîtrisant la filière ? C'est forcément en organisant des outils collectifs. Ça peut même être des GIEE, ou des sortes de fruitières, des ateliers collectifs, etc. Avec un but de servir des marchés locaux.
Il y a déjà des coopératives ...
Quand on voit Sodiaal, c'est devenu un monstre économique sur lequel on n'arrivera jamais à reprendre la main. Et aujourd'hui c'est Sodiaal qui exerce la plus grosse pression sur les prix. Dommage, l'idée était bonne au départ. Il faudrait recréer en parallèle des outils collectifs avec la possibilité de fournir un marché défini. C'est aussi une question de fierté : savoir ce qui est fait de nos produits, au lieu d'être complètement noyés dans la masse.
A propos d'outils collectifs et de retrouver de la valeur ajoutée : c'est le but de la ferme des 1.000 taurillons, qui vise à engraisser localement des broutards et que vous condamnez...
La démarche est louable au départ. Mais ils seront nourris avec du maïs produit à 150 km, et seront ensuite exportés sur des marchés concurrentiels, sujets à des aléas géopolitiques. Certes c'est facile de critiquer de loin, mais on peut se demander si la démarche n'aurait pas pu aller plus loin pour essayer de répondre à un marché local, qui lui n'est pas satisfait.
Etes-vous favorables aux regroupements d'exploitations ?
Si c'est pour porter à plusieurs des soucis trop lourds, pour respirer un peu et pour jouer la complémentarité : « Oui. » Mais si c'est pour économiser de la main-d'œuvre – donc éliminer des paysans – ou rationaliser à outrance en aboutissant à des process industriels qui coupent le lien au sol, alors c'est : « Non ».
Dans l'urgence de la crise, quelles mesures souhaitez-vous voir adopter ?
Les mesures de trésorerie étaient nécessaires. Ensuite, sur le lait, il faut relever immédiatement le prix d'intervention et réguler l'offre : on pousse fort avec la Coordination rurale là-dessus. Sur la viande, l'urgence est d'arrêter les négociations commerciales avec les Etats-Unis.
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mercredi 30 septembre 2015 - 14h02
Un seul syndicat: non merci; je veux avoir plusieurs possiblités de choix et dans tous les cas, pas la conf! Beaucoup trop à gauche et irréaliste.