Philippe Grandin (adhérent de l'Apli, syndiqué de la FDSEA) et Mathieu Perier (délégué départemental de l'Apli, non syndiqué), éleveurs laitiers dans l’Orne ont accordé une interview à "La France agricole". Ils expliquent le rôle de l'Association des producteurs de lait indépendants et leurs motivations au sujet de la grève des livraisons de lait.
La France agricole: Quelle place occupe l'Association des producteurs de lait indépendants (Apli) dans le paysage syndical? Quelles revendications porte-t-elle?
Mathieu Perier: L'Apli est née à l’automne dernier dans l’Aveyron, mais elle a pris de l’envergure au printemps, quand le prix du lait s'est effondré. Depuis, les réunions ont rassemblé 45.000 producteurs en France, ce qui veut dire que la moitié des éleveurs laitiers ont assisté à au moins une réunion, même si ce n'était que «pour voir». Et l’Apli compte désormais 12.000 adhérents.
Philippe Grandin: L’Apli est une association. Elle n’est pas un syndicat et ne le deviendra pas, sinon elle se politisera et ne pourra pas réunir tant de gens différents. Le plus important dans «Apli», c’est le «i» de «indépendant»! Nous voulons nous situer au-dessus de toutes les parties, pour fédérer tous les producteurs laitiers quels qu’ils soient, petits ou grands, dans le but de défendre le prix du lait, changer le système et sauver les exploitations.
M.P. : L’association est née d'un mécontentement de la base. Elle veut porter la remise en cause d’un système, qui a certainement bien marché, mais qui a fait son temps. Nous ne voulons en aucun cas la mort des syndicats, nous souhaitons plutôt qu’ils évoluent. Mais comme nous prônons une remise en cause du système, le syndicat majoritaire se sent directement concerné…
P.G.: Il faudra toujours un syndicalisme fort. Mais pas le syndicalisme actuel. Les instances mises en place il y a plusieurs décennies ont une organisation nationale. Or aujourd’hui, l’échelle est européenne. Je milite à la FDSEA de l’Orne depuis 30 ans. Jusqu’à présent, j’avais vécu des crises conjoncturelles brèves, qui s’arrangeaient rapidement. Je n’ai jamais cherché à comprendre plus avant, tant que je m’y retrouvais. Après la paie d’avril, les responsables nous ont demandé de manifester, j'y suis allé mais je ne voyais pas bien le but. Puis j’ai entendu parler de l’Apli, je suis allé à une réunion par curiosité. Quand j’ai étudié le projet, je m’y suis retrouvé.
M.P.: Quant à moi, je ne suis pas syndiqué. Je cherchais un mouvement non violent, au-dessus de la mêlée. L'Apli correspond à ça.
La France agricole: Ceux qui s’opposent à la grève des livraisons de lait alertent sur les risques de division des éleveurs, ainsi que sur les risques financiers que courront des éleveurs déjà fragilisés.
P.G.: A l’Apli, peu importe la taille des exploitations, l’étiquette syndicale, les responsabilités. Nous ne voulons pas diviser. Nous encourageons au contraire les gens à rester encartés, pour faire évoluer leurs syndicats. Ces derniers ne peuvent pas rester tels qu’ils sont aujourd’hui.
M.P.: La grève est un choix libre, individuel. Aujourd’hui déjà, je n’ai plus de trésorerie. Mais je préfère me battre jusqu’au bout plutôt que ne rien faire. Si je dois couler, je ne serai pas à un mois de lait près!
Nous organiserons des dons de lait pour en jeter le moins possible, des points d'information pour ne pas laisser un éleveur seul face à son tank. Le mot d’ordre est de ne bloquer aucune usine, aucun camion, pour ne pas être accusés de faire subir la grève à d’autres. Nous ne cautionnerons aucun dérapage. Et s’il s’en produit, nous ne nous estimons pas responsables: ce sont les politiques qui n’auront pas répondu aux appels. Sur le terrain, certains n’ont plus rien à perdre. C’est pour cela qu’il ne faut pas que cette grève échoue.
Ailleurs en Europe, les producteurs danois et espagnols, ligotés par leurs banques, ne pourront pas faire grève. Mais ils bloqueront les frontières pour éviter que du lait ne parte vers la France ou l’Allemagne.
La France agricole: Quelles sont vos conditions pour arrêter la grève?
PG: A court terme, nous voulons une réduction des quotas de 5%, pour remettre en phase l’offre et la demande. A plus long terme, le principal objet de la grève est le changement du système libéral. Si on a un changement fondamental, le prix viendra. C'est l'EMB qui négociera au nom de ses membres. Nous visons des interlocuteurs européens. Il faut tout remettre à plat. Mais si on ne s’accorde pas avec les autres pays au niveau européen, on ira dans le mur, comme ajourd'hui. A travers l’Apli, on aura de toute façon tenté quelque chose pour changer le système.
Malheureusement, le Conseil des ministres de l’UE [du 7septembre 2009] ne répond à rien. Aucun changement fondamental n’est proposé, mais je m’y attendais. Ils parlent de contractualisation, mais on n’en veut pas. Le projet de la FNCL, même si ce n’est qu’un projet, donne une direction. Pour nous, c'est de l’intégration. Il y a un autre problème: tout est raisonné au niveau national, alors que l'échelle est désormais européenne.