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Interview

« Paralyser les avancées scientifiques menace notre avenir » (Pr. M. Tubiana)

Publié le jeudi 15 novembre 2012 - 18h05

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Dans son dernier livre « Arrêtons d'avoir peur », paru aux éditions Michel Lafon, le Pr Maurice Tubiana (1), pionnier de la cancérologie française, fustige la défiance actuelle orchestrée à l'égard de la science. Nous l'avons rencontré.

 

 

Comment expliquez-vous le mouvement de défiance à l'égard de la science ?

 

« Les Français sont devenus pessimistes et ont peur de tout. Vis à vis de la science, c'est essentiellement l'écologie qui a joué. Les écologistes leur ont dit que la science était nuisible, qu'elle avait détruit les équilibres naturels, que ce qu'elle avait introduit comme innovation comme les insecticides ou les OGM était très défavorable pour la santé, ce qui est totalement faux. Au contraire, les insecticides ont permis de lutter contre un certain nombre de maladies comme le paludisme et la dengue. Autrefois, des régions entières comme la côte orientale de la Corse ou la région de Montpellier étaient invivables tellement il y avait de moustiques et aujourd'hui elles sont devenues des régions recherchées....

 

On a créé ce sentiment de défiance en disant que la nourriture moderne est mauvaise, que les aliments ne sont plus naturels alors que jamais il y a eu aussi peu de maladies digestives liées à la nourriture. Jamais la santé n'a été meilleure en France comme le prouve le fait que la durée de vie s'allonge continuellement de trois mois par an, ce qui est gigantesque. La qualité de vie des gens âgés n'a jamais été meilleure.

 

Il n'y a aucune base scientifique à la supériorité de l'alimentation bio. C'est l'exemple même d'une vision tout à fait théorique et idéologique qu'ont imposée les écologistes. Si l'alimentation bio a du succès, c'est bien la preuve d'un déficit français en culture scientifique.

 

L'écologie a fait de la nature une divinité. Or la science paraît sacrilège car on l'accuse de ne pas respecter la nature. La France est devenue l'un des pays au monde où les écologistes ont le plus d'influence, notamment les plus radicaux d'entre eux.

 

 

Le principe de précaution a-t-il une responsabilité ?

 

Le principe de précaution a été imposé par Jacques Chirac uniquement dans un but électoraliste. Il y a vu un moyen d'exploiter la peur des français devant la science et le progrès. Je me suis battu pour qu'il ne soit pas inscrit dans la constitution mais dans son entourage Mme Kosciusko Morizet a été l'élément moteur pour finalement le faire voter. Nous avons hérité de la vision la plus radicale de ce principe. Heureusement, les gens commencent à réagir et à se dire que le principe de précaution est une fumisterie !

 

 

Vous pointez aussi du doigt le manque de culture scientifique chez nos élites...

 

La science n'est plus enseignée en France et on peut arriver à des postes importants sans avoir la moindre idée de ce qu'est la science et de ce qu'elle peut apporter, non seulement en pratique mais aussi en tant que formation intellectuelle, comme exigence de rigueur et de vérité. Nos magistrats n'ont pas de culture scientifique. Et l'ENA n'en donne absolument aucune. La plupart des hauts fonctionnaires qui sont passés par cette école n'ont donc aucune formation dans ce domaine et c'est une véritable catastrophe pour le pays !

 

On a en France un déficit qui s'aggrave en scientifiques. Et dans beaucoup de domaines, on ne forme plus assez de jeunes pour prendre la relève de ceux qui partent à la retraite. En plus, c'est mal considéré et mal payé. On présente en effet les scientifiques comme des apprenti-sorciers au lieu de voir en eux, comme autrefois, des bienfaiteurs de l'humanité. Il n'est pas étonnant dans ces conditions que les jeunes se détournent de cette discipline.

 

 

Cette défiance a des impacts importants. « A qui profite le crime » comme vous dites ?

 

Il est évident que si on veut mettre la France en difficulté, il suffit de dresser les Français contre la science et de diminuer les ressources financières affectées à des actions scientifiques pour les diriger vers des projets illusoires ou chimériques.

 

Il y a des groupes de personnes dont la spécialité est d'attiser les peurs. C'est ainsi que des techniques prometteuses sont torpillées avec de graves conséquences. Regardez les cellules souches pour lesquelles on a pris du retard. On les a présentées comme quelque chose de dangereux et de diabolique alors que c'est le principal espoir pour lutter contre le vieillissement. Cela se fera ailleurs... Il en est de même pour les gaz de schiste prescrits comme dangereux, alors qu'aux Etats-Unis, ils constituent une source importante d'énergie sans effet nocif pour la population.

 

Des ONG luttent délibérément contre la science et le progrès. Je pense en particulier à Greenpeace. Ces ONG ont souvent leur siège et leur centre de commandement dans un paradis fiscal, ce qui interdit de savoir d'où proviennent les fonds. Elles peuvent très bien être manipulées par des pays ou des personnes qui ont intérêt à nuire à la France et à bloquer certaines initiatives.

 

 

Quelle est la responsabilité des médias dans ce mouvement ?

 

Les médias donnent de l'importance à des pseudo-scientifiques qui n'ont aucune formation, qui n'ont pas d'audience auprès de leurs pairs et qui n'ont jamais rien publié de sérieux. Cela tient au fait que beaucoup de journalistes eux-mêmes n'ont pas ou peu de culture scientifique. Ils se laissent prendre par les apparences : c'est comme cela que certains médecins (une minorité heureusement) peuvent tenir des discours absolument délirants. La peur stimule les ventes, stimule l'intérêt alors que rassurer n'attire pas le lecteur !

 

 

A contrario, n'êtes-vous pas en train de demander un retour au scientisme des trente glorieuses ? La science peut aussi se tromper...

 

Je ne demande pas du tout un retour au scientisme. Je demande que l'on fasse comprendre ce qu'est véritablement la science sans la caricaturer et que l'on réalise qu'un pays qui a une industrie ne peut pas se passer de la science.

 

La France est malheureusement devenue un pays où la capacité d'innovation a beaucoup baissé. Nous ne pointons plus qu'au dixième rang de l'UE ! On a laissé détruire l'industrie faute de substratum scientifique suffisant ».

 

_____

(1) Le Pr Maurice Tubiana a dirigé l'Institut Gustave Roussy de Villejuif, est membre de l'Académie des sciences et de l'Académie nationale de médecine qu'il a présidée.

 

Propos recueillis par Philippe Pavard


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Les commentaires de nos abonnés (3)
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mes yeux fonctionnent bien

mardi 27 novembre 2012 - 13h10

Peut-être serait-il bon de rappeler que l'on a quasiment débarassé la France métropolitaine du paludisme bien avant que l'on utilise des pesticides de synthèse. On pourrait aussi se poser la question suivante : si les insecticides sont la solution du paludisme, alors pourquoi ne pas en étendre un bon coup sur les zones infectées de par le monde notamment dans les pays pauvres, ce qui permettrait de "sauver la planète". Tout simplement, les insecticides ne sont pas la solution de lutte durable à mettre en place pour ça, mais la solution d'urgence face à la crise du moment. Et encore une chose : quand on parle de dégâts collatéraux et d'effet négatif, il faut aussi accepter de ne pas être trop égocentrique et d'envisager la possibilité considérer les autres êtres vivant que l'homme dans le tableau des effets positifs et négatifs. Mais c'est vrai que pour notre propre petit confort, on est capable de tellement de chose...
commentaires agriculteurs

quentin.vidal
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mal lu

vendredi 16 novembre 2012 - 15h32

non, vous avez mal lu ce que dit le P.Tubiana. Il dit qu'il faut mesurer les avantages et inconvénients. Les exemples qu'il donne par exemple, sur les régions infestées par le paludisme sont éclairants. Les bénéfices apportés par l'utilisation d'insecticides sont sans commune mesure avec les inconvénients. C'est parce que nous n'avons plus la mémoire des inconvénients passés que nous refusons la science et la technique.

Science sans conscience n'est que ruine de l'âme

vendredi 16 novembre 2012 - 11h12

M Tubiana nous parle de la science sans nous parler de la technique et de tous les dégâts collatéraux qu'elle peut produire. Selon lui, la sicence résoudra tous les problèmes, les personnes se méfiant des effets négatifs ne sont que des obsurantistes. On sait pourtant que de nombreux cas bien documentés existent, sur toute science confondues. Les extrémistes sont toujours dans les 2 camps. Encore une fois, en présentant les extrémistes face à face, on n'obtient guère plus que de la révulsion et de la négation d'un côté comme de l'autre. Peut-être serait-il temps de se poser la question du bon usage de la science dans ce temps où toute nouveauté doit être breveté, vendue et rentabilisée au plus vite ?
commentaires agriculteurs

quentin.vidal
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