Le centre d'étude et de prospective du ministère de l'Agriculture a publié le 21 juin 2012 un document de travail qui tente de réaliser un scanner des comportements alimentaires des Français, et d'anticiper l’évolution de leurs comportements alimentaires sur une longue période. Pour cela, il a décortiqué les différentes sources à sa disposition à la façon d'une « méta-analyse », tentant d'en réaliser une synthèse (1).
« Les Français mangent-ils aujourd’hui comme ils mangeaient hier ? Et surtout, si cette mutation se poursuit, mangeront-ils demain comme on mange encore aujourd’hui ? », nous interroge l'auteure, Céline Laisney.
« Au final, davantage qu'une typologie des mangeurs, émerge le portrait d’un consommateur à plusieurs facettes, moins prévisible et moins “cohérent” que par le passé, et dont les comportements représentent un nouveau défi pour les politiques nutritionnelles et alimentaires », résume ce document de travail.
Dans un premier temps, l'auteure dégage les principales tendances lourdes à l’œuvre dans les comportements alimentaires de nos compatriotes : baisse de la part du budget consacré à l’alimentation (même si le budget en valeur absolue augmente) par rapport à d'autres dépenses de première nécessité, et évolution de la composition du panier des ménages (au détriment notamment des produits carnés, la viande rouge en particulier), persistance des inégalités alimentaires, essor des produits transformés au détriment du frais et de la restauration hors foyer, diversification des lieux d'achat... Mais malgré tout elle constate que le modèle d'alimentation à la française a encore de beaux jours devant lui, dans un contexte ou notre gastronomie est inscrite depuis bientôt deux ans (16 novembre 2010) au patrimoine mondial de l’humanité par l'Unesco (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture).
Dans cet état des lieux de nos habitudes alimentaires, l'analyse a volontairement laissé de côté « les problèmes liés à la production ou la disponibilité des produits, qui relèvent d’une tout autre problématique », prévient le document.
La deuxième partie « s’attache aux tendances émergentes et aux ruptures possibles, en observant tout d’abord l’essor des produits sous labels (produits locaux, biologiques, équitables, bien-être animal, etc.), puis en s’intéressant aux contradictions auxquelles les consommateurs sont confrontés : plaisir de cuisiner versus médicalisation de l’alimentation, différences selon les générations, risque de résistance possible contre les impératifs nutritionnels ou écologiques, etc. », détaille le document.
Pour les labels par exemple, entre le « bien-être animal », l'étiquetage carbone, l'indication d’origine des produits, ou encore la mention « nourri sans OGM », l'étude considère qu'ils sont trop nombreux : « Près des deux tiers des Français pensent qu’il y a trop de labels pour les produits durables », assure-t-elle.
« Il existe plus d’une centaine de labels en Europe, dont certains n’ont pas de caractère officiel, relève l'auteure. Cela peut créer de la confusion », une certaine lassitude et une « banalisation – et une moindre attractivité – de ces signaux ». Et d'estimer qu'il est possible « aussi qu’une situation de crise devant la profusion des labels débouche sur un rapprochement, voire la fusion de certains d’entre eux. On perçoit d’ores et déjà un mouvement de convergence entre le bio et l’équitable », prévient C. Laisney.
Autres ruptures possibles : l'auteure avance le risque d'apparition marquée d'une « rébellion contre les impératifs écologiques et nutritionnels », avec la montée de mouvements de contre-tendances, antibio, profastfood ou antilowfood au choix en opposition à la « vague verte ».
Elle pointe également une probable montée du végétarisme en France, une pratique qui jusqu'ici est très marginale (1 % de la population de 12 à 75 ans), dans un contexte postcrise de la vache folle de diminution de la consommation. Les antiviande appuient sur l'impact environnemental de l'élevage, et notamment son impact climatique (dont les implications sont contestées par la filière), et la promotion d'une « journée sans viande », pronée par les associations environnementales, fait son chemin dans l'opinion publique. L'idée a d'ailleurs déjà été reprise dans la restauration scolaire, note le document.
Finalement, l'auteur avance l’hypothèse que « nous allons vers un éclatement des modèles (alimentaires), une “polyalimentation” où les pratiques les plus opposées, parfois même les plus contradictoires (industrielles, écolabellisées, médicales, éthiques, gastronomiques, etc.) coexistent, réfractant ainsi une société elle-même de plus en plus composite » allant vers des « typologies de consommateurs de moins en moins pertinentes ».
Ces bouleversements « auront des implications pour l’industrie agroalimentaire, la distribution et la restauration, qui sauront, comme elles le font déjà, en tirer profit en proposant de nouveaux produits – et, de plus en plus, de nouveaux services », conclut le document. Ils pèseront également dans la mise en place des politiques nutritionnelle et alimentaire à venir.
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