Un litre d'eau potable sur cinq est perdu dans des fuites en France chaque année, soit un flot de 430.000 piscines olympiques, selon une enquête publiée jeudi, qui suggère de doubler les investissements.
Chaque année, 1.300 milliards de litres d'eau potable, sur les quelque 6.000 produits au total, se perdent en route quelque part au fil des 850.000 kilomètres de canalisations desservant le consommateur, selon cette étude menée par 60 millions de consommateurs et France Libertés.
Sur la base des données de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema) de 2011, l'organisation de défense des consommateurs a dressé un palmarès des fuites dans les 101 villes préfectures de métropole et des DOM.
Celui-ci montre que deux de ces villes sur trois « n'atteignent pas l'objectif national fixé par la loi Grenelle II de 2010, visant à limiter le taux de fuites à 15 % de l'eau produite ».
Dans un quart des préfectures, le taux dépasse même les 25 % : il atteint ainsi 54 % à Digne-les-Bains, 48 % à Bar-le-Duc, 46 % à Saint-Denis de la Réunion, 41 % à Fort-de-France, ou encore 37 % à Nîmes.
Parmi les meilleurs élèves se trouvent 33 préfectures sous la barre des 15 %, avec en tête Le Mans et Rennes avec 4 %, devant les 5 % de Blois et les 7 % d'Orléans et Moulins.
Du côté des grandes villes (agglomérations, communautés de communes ou métropoles), Paris intra-muros est à 8,3 %, Lyon 17,8 %, Marseille 15 %, Toulouse 11 %, Lille 18 %, Bordeaux 15,7 % et Nice 19 %.
Collectivités au pain sec
« Notre idée n'est pas de mettre à l'index tel ou tel, mais de montrer que le problème est important, et que si on attend trop, la situation va se dégrader », a souligné Thomas Laurenceau, le rédacteur en chef du mensuel de protection des consommateurs, lors d'une conférence de presse.
D'autant que le taux de fuite de 20 % « est d'ailleurs probablement sous-estimé », puisque les fuites sont en théorie plus élevées en zone rurale.
Pour éviter ce « grand gaspillage », il faudrait selon « 60 millions » engager 1,5 à 2 milliards d'euros par an d'investissements, soit environ le double du rythme actuel. Le mensuel défend aussi des regroupements de communes.
Actuellement, environ 1 % du réseau d'eau est changé chaque année, selon des chiffres cités par la Fédération des professionnels de l'eau (FP2E).
Où trouver l'argent ? En France, le réseau d'eau potable appartient aux collectivités, qui doivent l'entretenir, aidées par les agences publiques de l'eau.
« C'est un vrai problème, mais il n'y a pas de solution miracle », souligne Michel Desmars, chef du département de l'eau de la FNCCR, une des principales associations de collectivités.
L'Etat a ponctionné cette année 200 millions d'euros qui allaient jusque-là aux agences de l'eau, et « le gouvernement demande aux collectivités de faire des économies sur leurs budgets. Pour augmenter les travaux, c'est la quadrature du cercle », se défend-il.
D'autant que si les investissements marquent le pas, le taux de fuite a eu tendance à s'améliorer ces dernières années, selon Tristan Mathieu, délégué général de la FP2E.
« Il y a dix ans, on était plutôt sur des rendements de réseau de l'ordre de 75 % », selon lui, soit un taux de fuite de 25 %. « Cela coûte plus cher d'éviter des fuites que de produire de l'eau. Mais aujourd'hui, on ajoute à ce simple calcul économique des engagements environnementaux », souligne le représentant des entreprises du secteur.
Outre la baisse des subventions, il s'inquiète d'« une attirance pour les prix bas (de l'eau dans les marchés publics) qui va être au détriment de l'investissement ». Mais la hausse des prix de l'eau (entre 3 et 4 euros du mètre cube en moyenne en France) n'est pas exactement la tasse de thé des candidats en campagne pour les élections municipales.
Quoi que globalement méconnue du grand public, l'ampleur des fuites est un phénomène identifié. Sur la liste des suspects : un réseau vieillissant, des branchements (les tuyaux partant des canalisations principales) ou des poses défectueux, mais aussi des mouvements de sols, naturels ou liés à l'activité humaine comme des travaux publics. L'eau du réseau utilisée contre les incendies rentre également dans les « fuites », a nuancé M. Desmars.