«Il y a interdépendance entre le développement de l'agriculture vivrière au Sud et la réorientation de l'agriculture au Nord», affirment quatre anciens ministres de l'Agriculture français, Pierre Méhaignerie, Henri Nallet, Michel Rocard et Philippe Vasseur, dans une tribune publiée dans Le Monde daté du jeudi 1er mai.
Face aux émeutes de la faim, les responsables de la communauté internationale prennent des mesures d'urgence. «Mais l'émotion retombée, si des mesures plus radicales et structurelles ne sont pas prises, les drames auxquels nous assistons pourraient se reproduire, à une plus grande échelle encore, sous le simple effet de la croissance démographique et l'augmentation de la demande des pays émergents», soulignent les quatre anciens ministres.
Le développement des agricultures vivrières des pays du Sud est «la tâche urgente et prioritaire que doit se donner la communauté internationale, car c'est d'abord dans ces pays que la population va croître très vite dans les prochaines années», déclarent-ils.
«C'est dans le Sud que se jouera l'avenir alimentaire de l'humanité. Il ne peut pas être laissé aux seuls soins du marché, des surplus du Nord et des bonnes opérations des spéculateurs», poursuivent-ils.
«Il faut qu'il soit l'affaire des paysans du Sud et de leurs responsables avec le soutien et la protection des pays mieux dotés. Il faut que les actes suivent et que l'aide publique au développement revienne au coeur des politiques de solidarité», estiment Pierre Méhaignerie, Henri Nallet, Michel Rocard et Philippe Vasseur.
«Cet effort pour l'autonomie alimentaire des pays du Sud correspond à l'intérêt bien compris des pays du Nord», ajoutent-ils.
«En effet, si la demande alimentaire est pour partie satisfaite localement en Afrique et en Asie, les grands pays producteurs du Nord pourront à leur tour modifier radicalement leur politique agricole dans le sens exigé par l'opinion publique: plus de qualité et moins de pollution consécutive au grand mouvement d'intensification qui a permis à la fois la libéralisation des marchés et la baisse des prix», expliquent-ils.
«Ils pourront même, sans mauvaise conscience, consacrer une petite fraction de leurs terres arables à produire des biocarburants afin de contribuer à la diversification nécessaire de leurs sources d'énergie, dès lors que leur bénéfice pour l'environnement est globalement démontré», proposent les quatre anciens ministres de l'Agriculture.
Dans l'Union européenne, «les céréales que l'on se propose de transformer en carburant représentent de 5% à 7% de la production européenne, exactement les surplus dégagés jusqu'ici par le marché et bradés aux pays déficitaires avec des subventions à l'exportation qui ont justement mis à mal les productions agricoles du Sud!», argumentent-ils
«Ajoutons que les biocarburants contribueront à stabiliser les prix des céréales et des graines à un niveau relativement élevé, ce qui est absolument nécessaire pour les paysans du Sud. Enfin, certains biocarburants, produits à partir d'oléagineux, fournissent des tourteaux riches en protéines qui se substituent aux céréales et aux tourteaux de soja importés pour l'alimentation animale», ajoutent-ils.
Ils soulignent que «ce programme, simple, forme un tout». «Il peut, aujourd'hui, être entendu de l'opinion publique et recevra l'appui de la majorité des agronomes et des économistes ruraux. Pour en décider, il faudra cependant une détermination politique farouche, mais elle commande, en partie, le reste de l'histoire. La présidence française de l'Union européenne sera une occasion de placer l'Europe au premier rang de cette belle bataille pour l'humanité», concluent-ils.