Le tribunal administratif de Grenoble décidera ce lundi 19 octobre de l'avenir des bouquetins du Bargy (Haute-Savoie), menacés d'abattage afin d'éradiquer une épidémie de brucellose qui menace les vaches laitières du massif et la filière reblochon.
Quelque 70 bouquetins ont déjà été tués début octobre en vertu d'un arrêté préfectoral en date du 16 septembre. Saisi par des associations de défense de l'environnement, le tribunal devra décider lundi à 10H30 si l'abattage massif de cette espèce protégée depuis 1981 doit se poursuivre.
Sur environ 300 bouquetins recensés dans le Bargy (dont 40 % atteints de brucellose), seul un « noyau sain » de 75 bêtes doit être épargné, selon les plans de la préfecture. Cet abattage massif est voué à éviter une transmission de la brucellose aux élevages bovins, comme ce fut le cas en avril 2012. A l'époque, un cheptel laitier de la commune du Grand Bornand avait dû être euthanasié et deux autres placés en soixantaine. Des reblochons vendus dans toute la France avaient été détruits.
Des pertes économiques pour les exploitations
« Certaines exploitations avaient perdu 70.000 euros », rappelle Bernard Mogenet, président de la FDSEA des Savoie, des éleveurs étant contraints d'arrêter la fabrication de lait cru et de détruire des fromages déjà fabriqués. Or, le massif du Bargy ne compte pas moins de 62 élevages bovins laitiers. « On fait courir un risque à toute l'agriculture de montagne. La filière reblochon est en première ligne mais tous les fromages savoyards sont au lait cru », souligne M. Mogenet.
Après la découverte du foyer de brucellose chez les bouquetins du Bargy, plusieurs campagnes d'abattage tuant plus de 300 bêtes ont été lancées, sans éradiquer la maladie. L'abattage ciblé des seuls bouquetins malades après dépistage, décidé en 2014, « prenait du temps et était dangereux », souligne Georges-François Leclerc, préfet de la Haute-Savoie. « On risquait de courir éternellement après la maladie ». Sur un terrain escarpé, il est en effet beaucoup moins risqué d'abattre un animal à 250 mètres de distance, que de le capturer par téléanesthésie, ce qui nécessite d'être à moins de 25 mètres.
Pour justifier son choix de l'abattage massif, le préfet n'hésite pas à affirmer que le statut « indemne de brucellose », acquis par la France en 2005, est menacé. Si ce statut était perdu, « il faudra faire un test sur la moindre vache exportée », souligne-t-il, en assurant qu'il n'est « pas seulement le préfet qui défend le reblochon ».
L'Anses estime le risque « quasi nul »
Pourtant, les contaminations de 2012 (il y avait aussi eu un cas dans le Nord-Pas-de-Calais), vite maîtrisées, n'avaient pas remis en cause ce statut, note l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire) dans un rapport publié en juillet. Dans ce document, l'agence souligne en outre que « le risque actuel de transmission de la brucellose aux cheptels domestiques est estimé, par les experts, comme quasi nul à minime ». Quant au risque de transmission à l'homme, il est « quasi nul », en tout cas « très inférieur » au risque lié à la brucellose importée (80 % des cas en France chaque année).
Les experts estiment en outre impossible de parvenir à un abattage total des bouquetins et suggèrent une combinaison de mesures sur au moins cinq ans pour éviter la propagation de la maladie aux autres massifs : vaccination, euthanasie sélective, surveillance, etc...
« On demande à ce que les avis des experts soient suivis pour revenir à une approche raisonnée. Actuellement, le gouvernement agit en fonction de la pression qui s'exerce, de la capacité de nuisance de chacun », souligne Jean-Pierre Crouzat, porte-parole de la Frapna (Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature). « Les fabricants de fromage veulent se débarrasser de la brucellose et on le comprend. Mais le risque est grossi : c'est une épée de Damoclès petite et lointaine », ajoute-t-il.