Une grève du lait sans précédent a pris fin en Alllemagne mais elle va laisser des cicatrices: dans certains villages, grévistes et non-grévistes en sont venus aux mains, et les clivages restent profonds.
Des listes étaient affichées à l'entrée de certains villages du sud du pays, déclinant l'identité des producteurs en grève et des «traîtres» qui continuaient à assurer leurs livraisons, raconte Brigitte Scholz, porte-parole de la fédération des agriculteurs de Bavière.
Ailleurs, les non-grévistes ont été l'objet de sabotages, leurs cuves de lait vidées pendant la nuit. Près de Ratisbonne, un exploitant a reçu des menaces de mort et été placé sous protection policière. «C'en est fini de la paix sociale dans les villages pour un bout de temps», commente Mme Scholz.
«Des fossés se sont creusés», confirme Hans-Ulrich von Laer, maire de Missen-Wilhams, une commune de 1.400 âmes à la frontière autrichienne qui compte une centaine d'exploitations laitières familiales et où grévistes et non-grévistes «se sont accrochés, verbalement et physiquement».
Pendant dix jours, emmenés par la Fédération allemande des producteurs de lait (BDM), une partie des éleveurs a cessé ses livraisons pour protester contre des prix jugés trop bas. Dans tout le pays, c'est environ un tiers des volumes fournis d'ordinaire qui n'est pas parvenu aux laiteries.
Les grévistes ont obtenu gain de cause en fin de semaine dernière, quand un certain nombre de chaînes de distribution ont consenti à relever leurs prix, et ils ont mis fin au mouvement vendredi.
Mais les problèmes des producteurs sont loin d'être terminés. Certes, la grande distribution a consenti à relever le prix du lait – de 10 centimes par litre en général – mais «qu'est-ce-qui va vraiment arriver dans la poche des fermiers?», s'interroge Mme Scholz, de la fédération bavaroise.
L'accord trouvé avec la distribution concerne le lait mais ne mentionne pas le beurre, le fromage ou les yaourts, note-t-elle. Et les 10 centimes supplémentaires iront d'abord aux laiteries, qui les répercuteront à loisir sur les producteurs.
Le président de la fédération BDM Romuald Schaber a d'ores et déjà prévenu: «Les laiteries devraient faire attention, parce qu'une chose est sûre, nous les paysans, nous sommes très vite sur le pied de guerre», déclarait-il mardi dans les colonnes du quotidien Bild.
Même si la grève ne reprend pas, la mal est fait. «Il faudra encore beaucoup de semaines et de mois» pour réparer les dégâts humains qu'elle a causés, explique un spécialiste du secteur.
«Il y a beaucoup d'émotion en jeu» dans ces villages de poupée nichés dans les montagnes du sud de l'Allemagne, en Bavière et dans le Bade-Wurtemberg voisin, ajoute-t-il. Et ce d'autant plus que l'Allemagne, et à plus forte raison ses agriculteurs, est moins rompue à la pratique des grèves que d'autres nations, la France en tête.
Un certain nombre de producteurs n'ont pas participé au mouvement, par nécessité financière pour certains, horreur du gaspillage pour d'autres, ou bien encore parce qu'ils ne croyaient pas à la grève comme moyen de pression.
Par endroits, en Souabe par exemple, les clivages couraient au sein même des familles, raconte un autre connaisseur du secteur. «Un jour on livrait parce que la femme voulait livrer, le lendemain on faisait grève parce que le mari voulait faire grève.» Dans son village de Missen-Wilhams, le maire M. von Laer veut panser les plaies. «Je vais essayer de faire l'intermédiaire», dit-il, «mais cela laisse des traces, dans une petite commune comme ça».