Les grandes difficultés financières auxquelles se heurtent les agriculteurs ukrainiens menacent la production céréalière pour le pays et les marchés internationaux.
Dans la longue récession qui frappe l'Ukraine de manière quasi ininterrompue depuis près de deux ans, la production agricole est sans doute l'une des rares sources de satisfaction, contrairement à une industrie métallurgique en difficulté. La production de céréales a atteint l'été dernier un niveau record (63 millions de tonnes) qui a permis au pays de ravir cette année à la Russie, pourtant un plus gros producteur, sa troisième place parmi les exportateurs mondiaux de céréales. Avec ses terres noires parmi les plus fertiles au monde, le pays est aussi depuis longtemps considéré comme le grenier à blé de l'Europe.
Cependant, les conséquences économiques dévastatrices (effondrement de la monnaie, crise bancaire) relatives au chaos politique actuel commencent à se faire sentir sur un monde agricole fragile et touchent directement les agriculteurs ukrainiens.
Les céréaliers ukrainiens se retrouvent confrontés à une envolée des prix des produits importés (carburants, semences, engrais, matériel) due à l'effondrement de la monnaie. Un manque de trésorerie les contraint alors aux économies, au risque d'éroder une production céréalière vitale pour le pays mais aussi pour les marchés internationaux.
« Il y a des soucis de financement de fin de campagne », concède Henri Barnabot, conseiller au ministère ukrainien de l'Agriculture dans le cadre de la coopération avec la France, interrogé par l'AFP. Pour boucler la campagne, les agriculteurs pourraient être amenés à acheter des semences, et surtout des engrais locaux plutôt que des produits importés, avec pour résultat des rendements moins élevés.
Dans ce contexte critique, les banques n'acceptent de prêter qu'à des taux qui dépassent parfois les 30 %, ingérables pour les agriculteurs. Les céréaliers sont alors tentés de semer moins en maïs, céréale la plus couteuse à l'implantation et gourmande en engrais, et se tournent vers le soja.
En pleine période de semis de printemps, l'inquiétude commence alors à monter concernant la production de l'été prochaine. Le cabinet français Agritel a abaissé nettement en avril ses prévisions de production de maïs et de blé, respectivement à 23,3 millions et 18,3 millions de tonnes, ce qui correspond à des reculs de 18 % et 16 % par rapport à l'an dernier.
L'expert Volodymyr Lapa, directeur du Club ukrainien du secteur agraire, confirme « une petite baisse des semis » mais ajoute qu'elle « ne sera pas critique ». Il reconnaît cependant le besoin de faire des économies en achetant par exemple des engrais ou du matériel meilleur marché.
Jean-Jacques Hervé, du Crédit Agricole à Kiev, relativise aussi les prévisions d'Agritel. « Il n'y a pas de problème aujourd'hui sur les semences et sur les engrais qu'il fallait mettre avant les semis » mais émet certaines inquiétudes pour le futur.
« Il pourrait y avoir des problèmes si on a une période très humide et s'il faut racheter des produits phytosanitaires, qui sont presque tous importés et qui ont subi la dévaluation ». « Je ne sens pas de défaitisme ni de risque majeur. Comme d'habitude, c'est le temps qui va se montrer déterminant », conclut-il.