Depuis que sa petite bananeraie des environs de Kampala est atteinte par une maladie destructrice, Charles Semakula milite pour que le Parlement ougandais autorise les cultures OGM, seule façon, selon lui, de sauver sa plantation.
Le matooke, type de banane plantain cultivé dans la région, est aussi le nom du mets qui en est tiré, une purée très populaire qui se doit d'accompagner quasi chaque repas en Ouganda.
OGM contre « flétrissement bactérien du bananier »
Mais ces dernières années, une bactérie, responsable du « flétrissement bactérien du bananier » (« banana wilt ») a décimé les bananeraies du pays, poussant certains agriculteurs à abandonner leur culture et déclenchant en Ouganda les débats et controverses autour des organismes génétiquement modifiés (OGM) qui agitent depuis plusieurs années de nombreux pays du monde.
Dans le domaine agricole, modifier le génome de végétaux permet notamment de les rendre résistants à certaines maladies, parasites ou aux herbicides.
Les partisans des OGM assurent qu'ils garantiront en outre des cultures tolérantes à la sécheresse et protégées des insectes, limitant ainsi le recours aux insecticides.
Les opposants ne veulent pas de dépendance aux multinationales
Les opposants dénoncent les effets encore peu connus sur la santé, les risques d'une dissémination dans la nature de graines génétiquement modifiées et la contamination des espèces non-OGM, mais aussi la dépendance des agriculteurs envers les multinationales de l'agroalimentaire détenant les brevets des organismes modifiés, ainsi que la mainmise de celles-ci sur les espèces naturelles.
« Ce qui nous intéresse est de résoudre un problème », se défend le Pr Wilberforce Tushemereirwe, directeur de recherche sur la banane au Laboratoire national de recherche agricole, assurant qu'une loi sur les OGM est à la fois sans danger et indispensable.
Des recherches publiques sur la banane mais aussi le riz et le maïs
Les scientifiques de ce laboratoire public ougandais mènent depuis 2007 des essais de bananes génétiquement modifiées. Depuis 2010, un autre laboratoire public a étendu les recherches au riz, au maïs, au manioc et aux patates douces.
Charles Semakula, qui a dû réduire la taille de sa plantation et y consacrer plus de temps pour la protéger du fléau, voit surtout des avantages aux OGM. « Si les OGM offrent une banane résistante à la bactérie, je pourrai consacrer moins de temps » à combattre la maladie, souligne-t-il, balayant du revers de la main les éventuels dangers.
Les pro-OGM font confiance au gouvernement
« C'est la même chose que pour les vaccins ou les médicaments, je n'ai pas besoin de savoir où ça a été fabriqué et comment. Si le gouvernement les autorise, j'en bénéficie », explique-t-il.
Edie Mukiibi, qui cultive douze variétés de bananes dans sa ferme de Mukono, dans le centre de l'Ouganda, est d'un avis contraire. Les OGM, « c'est un complot néocolonial destiné à rendre les pays en développement plus dépendants des aliments et des semences des gouvernements et entreprises des pays riches », estime l'agriculteur de 28 ans.
Les opposants aux OGM rappellent notamment que les multinationales propriétaires des brevets interdisent la réutilisation gratuite des graines comme semis, voire commercialisent des espèces stériles, obligeant les agriculteurs à racheter des semences chaque année. Ils estiment aussi que celles-ci menacent les terroirs et la biodiversité.
Le mouvement Slow Food prône la diversité des cultures
« On ne se nourrit correctement que quand on a une diversité de cultures [...], pas en ayant la même culture partout », souligne M. Mukiibi, également vice-président de la branche locale de Slow Food International, ONG adversaire des OGM qui défend « une alimentation saine, de bonne qualité et équitable ».
Malgré les oppositions au texte, le Pr Tushemereirwe espère que le projet de loi sur la biotechnologie et la sécurité biologique, déposé au Parlement en avril 2013, sera rapidement débattu et voté. Il assure avoir le soutien du président Yoweri Museveni.
Le président ougandais favorable aux OGM
« La dernière fois que je lui ai parlé, M. Museveni a dit : “Continuez à faire de la science, quand vous aurez besoin d'une loi, je vous la donnerai” », affirme-t-il.
Edie Mukiibi admet lui-même que la question n'est pas si, mais quand la loi sera votée, et promet néanmoins d'intensifier l'opposition aux OGM.
« Nous allons intensifier la campagne pour préserver notre biodiversité, mais aussi pour faire connaître aux consommateurs les problèmes liés aux OGM », dit-il, demandant aussi à ce que les agriculteurs soient informés par des « organismes indépendants » et pas seulement par des institutions gouvernementales.
« On ne peut pas rester assis et regarder quelques individus et entreprises qui veulent s'accaparer toutes les semences de la terre nous arracher nos droits à semer, à faire des récoltes saisonnières et à préserver nos espèces locales », lance-t-il.