Un rapport, commandé par le Centre d'études et de prospective (CEP) du ministère de l'Agriculture, publié le 24 octobre 2013, fait le lien entre la financiarisation des marchés agricoles et la corrélation de leurs cours avec d'autres matières premières ou classes d'actifs (actions, devises...).
Les auteurs de l'étude (un trio d'économistes, Benoit Guilleminot et Jean-Jacques Ohana, du cabinet de gestion du risque de prix Riskelia, ainsi que Steve Ohana, de l'ESCP Europe) analysent les effets du développement à grande échelle du « trading algorithmique », c'est-à-dire sans intervention humaine, mais via des algorithmes qui automatisent les ordres sur les marchés en utilisant des variables macro-économiques, les prix, les volumes...
Selon l'étude, « il existe bien des canaux de transmission entre le positionnement des acteurs financiers sur les marchés à terme et la formation des prix au comptant ». Ainsi, « la dernière décennie a connu des fluctuations des prix des matières premières inédites par leur ampleur et surtout par leur caractère remarquablement synchronisé », souligne le document. La financiarisation et le trading algorithmique auraient participé à cette tendance.
Le rapport différencie deux types d'investisseurs : les hedge funds et les investissements indiciels. « Les hedge funds ont un positionnement net moins important en moyenne et plus fluctuant dans le temps que les investisseurs indiciels sur les marchés dérivés », expliquent les économistes.
Ils expliquent : « L'investissement des hedge funds est très fortement corrélé aux tendances passées des prix ; ainsi, la stratégie de suivi de tendance est très représentative du positionnement des hedge funds sur les marchés dérivés de matières premières. » Par ailleurs, « les flux des investisseurs indiciels sur les marchés à terme agricoles sont équilibrés, non par les hedge funds, mais par les opérateurs commerciaux (producteurs, négociants) ; leur impact sur les prix de marché en est sans doute aggravé », souligne l'étude.
Le document chiffre ainsi l'effet des investisseurs indiciels sur les prix des grains et estime qu'un retrait de 1 % des investisseurs indiciels sur les positions ouvertes sur un marché à terme agricole provoque en moyenne une baisse de 1 % à 1,3 % des prix des grains.
Ces investisseurs apportent cependant de la liquidité au marché en étant la contrepartie des opérateurs qui utilisent le marché à terme comme une assurance prix et l'étude indique que les effets sur les prix seraient d'autant plus forts si le marché disposait de moins de liquidités.
L'étude indique aussi que, « même si l'estimation précise de l'impact des hedge funds sur les prix est encore hors de portée, ces investisseurs sont probablement en partie responsables de la connexion croissante entre marchés de matières premières et autres classes d'actifs ; les corrélations de très court terme trouvées au sein du complexe des matières premières et entre matières premières et autres classes d'actifs semblent en particulier être la marque de stratégies algorithmiques d'arbitrage déconnectées des fondamentaux.
Le rapport conclut par quelques recommandations aux régulateurs :
D'abord, « le niveau de transparence doit être renforcé sur les marchés dérivés non américains en suivant le modèle de la CFTC2 (organe de reporting des opérations et de régulation des marchés à terme aux Etats-Unis) pour mieux caractériser les comportements des investisseurs et évaluer leur impact possible sur les prix ».
Ensuite, « l'approche actuelle de la régulation se focalise essentiellement sur les manipulations de marché, qu'elle tente de prévenir en imposant des limites de position par acteurs ; cette approche doit être renforcée davantage en empêchant les arbitrages entre les différentes places financières par une régulation harmonisée sur le plan international ».
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